David de Vleeschauwer: «J’ai des contacts qu’aucune agence de voyages ne pourrait avoir»

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Garder des moutons dans les Abruzzes pour 250 euros ou une semaine dans l’Antarctique à un million d’euros. David de Vleeschauwer «met en scène» les voyages les plus fous. Avec «Remote Experiences», il est aujourd’hui le premier Belge à publier un livre sous la houlette de la prestigieuse maison d’édition Taschen. «Les destinations intéressantes ne résument pas aux hôtels et aux gîtes, mais aux expériences.»

Un ample pantalon en lin beige, une chemise assortie et un foulard en soie autour du cou… une valise Rimowa argentée qu’il glisse devant lui. Nous rencontrons David de Vleeschauwer à l’aéroport de Saint-Martin. Car ce n’est pas évident de coincer pour une visio quelqu’un qui passe neuf mois de l’année dans des endroits reculés. Quelques jours plus tard, David et journaliste Debbie Pappyn sillonnent déjà l’océan Austral à bord du très luxueux «Le Commandant Charcot», le premier brise-glace commercial au monde, fleuron de la compagnie maritime française Ponant et propriété du milliardaire français Pinault. Un voyage d’un mois de la Nouvelle-Zélande à l’Argentine le long d’un exceptionnel demi-cercle autour de l’Antarctique. «L’été prochain, Le Commandant Charcot naviguera de l’Alaska au pôle Nord jusqu’au Svalbard pour la première fois de l’histoire, ce qui n’a été fait par aucune autre compagnie. Ce navire peut briser de la glace de cinq mètres d’épaisseur et peut naviguer si loin au sud de l’Antarctique que l’on peut observer des manchots empereurs.»

“Nous avons encore trop souvent une attitude jugeante en voyage et devrions être beaucoup plus tolérants et essayer de mieux nous comprendre les uns les autres

«Remote Experiences» est le premier livre de Belges publié par Taschen. Comment avez-vous réussi cette prouesse?

DAVID DE VLEESCHAUWER. «Je connaissais l’assistant berlinois de Benedikt Taschen. Après l’avoir pressé par e-mail pendant près de trois ans, il a finalement accepté de me rencontrer. J’ai été invité chez lui à Los Angeles, dans le célèbre vaisseau spatial de John Lautner à Hollywood Hills, qui a notamment été le lieu de tournage de Charlie et ses drôles de dames. Nous avons discuté pendant une heure ou deux et, après un long moment de réflexion, j’ai reçu le feu vert.»

Qu’est-ce qui fait de «Remote Experiences» un livre si singulier?

DE VLEESCHAUWER. «Ce nouveau livre est la suite logique de “Remote Places to Stay”, un livre qui présentait 22 hôtels super intéressants entre 100 et 3 500 euros. Mais selon moi, les destinations intéressantes ne se résument pas aux hôtels ou aux gîtes. Dans “Remote Experiences”, il s’agit d’expériences.»

Est-ce ainsi qu’est née votre agence de conception de voyages «Remote Experiences»?

DE VLEESCHAUWER. «Tout s’est fait de manière très organique. Il y a une dizaine d’années, en voyant que nous, les journalistes de voyage, disposions d’un vaste réseau auquel une agence de voyages n’aurait pas pu avoir accès, des gens m’ont demandé si je pouvais leur organiser un voyage. J’ai déjà organisé quelques voyages titanesques, mais ce n’est pas comme si j’avais une brochure à proposer. On sait toujours comment me trouver. Je trouve aussi qu’il est important d’être ouvert d’esprit pour voyager. Voyager aide à comprendre les autres cultures, mais nous devons être encore beaucoup plus tolérants et essayer de mieux nous comprendre les uns les autres.»

En quoi votre service de consultant en voyages est-il si particulier?

DE VLEESCHAUWER. «Grâce à notre vaste réseau de contacts, nous proposons une forme unique de voyages sur mesure. Quelques clients nous ont contactés pour organiser un voyage dans l’Atacama après leur séjour à Buenos Aires en janvier. Ils voulaient y manger dans des restaurants qui affichent complet depuis des mois. Grâce à mes contacts, j’ai pu leur réserver des tables tous les soirs dans ces restaurants. Des pilotes aux guides, en passant par les chefs cuisiniers, je puise dans mon vivier de contacts privés. Une agence de voyages peut réserver un avion privé, mais moi, je veux l’avion ou l’hélicoptère avec le bon pilote. J’ai fait un voyage de repérage en Éthiopie pour une célèbre famille autrichienne, mais je n’ai pas trop aimé les propositions des Destination Management Companies (DMC) d’Éthiopie. Sentant que la nourriture allait être un problème, j’ai directement contacté le sous-chef du Noma pour qu’il vienne cuisiner sur place.»

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Que recommandez-vous au voyageur exigeant?

DE VLEESCHAUWER. «Le plus passionnant, selon moi, ce sont les associations insolites d’expériences, des hauts et des bas: dormir dans un hôtel très chic, puis dîner dans un resto ultra-local. Bien sûr, dans une ville, il y aura toujours une adresse du guide San Pellegrino ou du Michelin, mais il faut aussi découvrir les coins authentiques. Ce n’est pas l’argent qui m’importe, je veux trouver ce qu’il y a de mieux partout. Tout peut être bon. Un truc à 50 euros peut être fantastique et un truc à 1 000 euros peut être génial, mais le second peut aussi être extrêmement surfait. Ce que j’aime faire, c’est alterner ces différents types d’expériences. Je travaille comme un metteur en scène et je songe aux moments précis pour programmer chaque détail. J’essaie d’écrire un scénario de film qui tend vers un aboutissement, mais qui surprend dès le début. De temps en temps, je veux stimuler mes clients par une surprise et il faut toujours une activité exceptionnelle dès le premier jour. Tout ce que j’organise est bien réfléchi.»

Pour un industriel belge, vous avez organisé un voyage pour près de deux millions de dollars? Que reçoit-on pour une telle somme?

DE VLEESCHAUWER. «L’expérience antarctique ultime, entièrement privée et sur mesure, neuf jours avec 20 personnes. Vous en saurez tout dans le chapitre 12 de mon livre, le brise-glace superyacht que l’une de nos connaissances a construit et vendu à Eric Smith, l’ancien CEO de Google. Les montants s’envolent quand on organise un voyage privé dans une destination éloignée. Déjà rien que la nourriture… La plupart des aliments sont acheminés de Rotterdam à Santiago, puis jusqu’à Punta Arenas et enfin en Antarctique. La dernière étape entre Punta Arenas et l’Antarctique coûte 25 dollars le kilo, ce qui signifie que votre bouteille d’Évian va vous revenir à 26 euros plutôt qu’à 1 euro. Quand on est loin de tout, les prix sont élevés, car il n’y a pas de concurrence et les risques liés sont aussi énormes.»

Mais ces itinéraires inexplorés et cette nature intacte sont devenus votre spécialité?

DE VLEESCHAUWER. «Oui, et contrairement à ce que l’on pourrait penser, ils ne sont pas si difficiles à trouver. Même sillonner l’Espagne en voiture sans rien planifier, faire une sorte de road trip sauvage, peut être une fantastique expérience d’authenticité. Ou l’Islande. Il y a encore tant de choses intéressantes à faire dans cette région, loin du tourisme ordinaire. Même en Antarctique. Il y a tellement de bateaux qui naviguent ici aujourd’hui, mais ils s’adressent tous au même tourisme de niche. C’est un peu comme si vous alliez en Grèce. La plupart des touristes vont à Rhodes, Kos, Santorin… alors qu’il y a tant de choses qui sont peu visitées. Il suffit de penser à l’Alentejo au Portugal, à des parties entières du Danemark, de la Suède… aux îles autour.»

“Personnellement, je ne pars jamais en vacances à l’étranger. J’ai hérité d’une ferme à Watou de ma famille de cultivateurs de houblon. J’y trouve la tranquillité

Tout le monde a envie de savoir: quel est le top trois de votre liste d’envies?

DE VLEESCHAUWER. «Le Tchad, très hot en ce moment dans les milieux huppés. Un territoire africain totalement inexploré où se passent des choses très intéressantes. Ce n’est pas tout à fait sans danger, mais en travaillant avec le bon voyagiste, cela se passe très bien. Le Sud-Soudan est une autre de ces régions. Elle avait le problème d’être politiquement instable, mais je veux absolument y aller. Ne vous méprenez pas, je ne suis pas particulièrement attiré par les régions instables. Je cherche surtout des endroits intéressants. Le pôle Sud géographique (la pointe, 90° sud) est un autre de ces endroits. Ce n’est pas si évident d’y parvenir.»

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La plupart des gens voyagent pour faire une pause, mais pour vous, voyager est un travail. Que faites-vous pour vous détendre?

DE VLEESCHAUWER. «Personnellement, je ne pars jamais en vacances à l’étranger. J’ai la chance d’avoir hérité d’une ferme à Watou de ma famille de cultivateurs de houblon. Depuis sept ans, j’y plante des arbres fruitiers à haute tige dans le verger. La ferme compte aujourd’hui plus de deux-cents anciennes variétés de fruits et plus de 140 variétés d’herbes aromatiques. En collaboration avec quelques brasseurs belges bien connus, pas les marques commerciales, pensez plutôt à Brussels Beer Project, j’embouteille également de la bière et je travaille aussi avec un célèbre fabricant de cidre normand. Je fais mille et une choses à la fois et cette diversification m’apporte la tranquillité.»

Comment arrivez-vous à faire tout cela alors que vous passez neuf mois par an à l’étranger?

DE VLEESCHAUWER. «Avant la pandémie, je voyageais en effet au moins neuf mois par an. Je partageais le reste de mon temps. Près de deux mois par an à la ferme et un mois dans mon appartement à Anvers. Les arbres fruitiers ne doivent être taillés que deux fois par an et ne nécessitent pas beaucoup de soin. Certains agriculteurs scrutent leurs cultures tous les jours, ce qui donne l’impression que rien ne change. Je plante des herbes aromatiques et quand je reviens deux mois plus tard, je vois une énorme différence. C’est presque plus beau parce que je voyage.»

Vous êtes récemment devenu père, comment allez-vous combiner tout cela?

DE VLEESCHAUWER. «Je me réjouis déjà de pouvoir emmener mon fils en voyage dans quelques années. J’espère que j’arriverai à lui transmettre à quel point j’ai une vie privilégiée et qu’il pourra découvrir le monde comme moi. La première destination sera l’Afrique, peut-être le Botswana, lorsqu’il aura au moins cinq ans. Mais tout ne doit pas forcément être extrême. Tout est possible. L’Islande aussi.»

Vous avez mentionné l’Islande plusieurs fois, alors que vous avez vu beaucoup de choses dans le monde. Est-ce un hasard?

DE VLEESCHAUWER. «L’Islande est une destination formidable, mais comme elle est devenue très touristique, j’aurais tendance à ne pas l’ajouter à ma liste. Le Portugal aussi est merveilleux, la Grèce, le Japon, de nombreux pays africains et même les États-Unis… L’Islande fait partie de mon top 5, mais le tourisme y est fortement sous pression et, avant le COVID, il avait augmenté de près de cinquante pour cent par an. En 2006, presque personne n’allait en Islande. Aujourd’hui, c’est l’une des destinations les plus touristiques d’Europe. L’industrie du tourisme est toujours très fluctuante. Pinault construisant un brise-glace pour sillonner le pôle Nord ou l’Antarctique, qui aurait pu le prédire? Nous travaillons sur ces destinations depuis toujours et c’est un sujet assez sensible. Je suis heureux de partager certains secrets, mais je ne veux pas que mes découvertes soient gâchées en les rendant trop touristiques.»

Voyagez-vous différemment avec l’âge?

DE VLEESCHAUWER. «Avant, nos voyages étaient high density. Nous bourlinguions neuf mois par an, en prenant plus d’une centaine de vols. Je ne pense pas retrouver un jour cette intensité, après le COVID. Je trouve aussi que j’ai vu assez de choses dans le monde, ce qui me donne envie de me concentrer sur ce que je veux faire. À nos débuts de journalistes de voyage, nous avions envie de voir énormément de choses et de savoir de quoi nous parlions. Aujourd’hui, j’ai envie de voyager moins, mais mieux et, surtout, continuer à voir beaucoup de choses, mais pas au même rythme. Cela n’a rien à voir avec le COVID ni avec l’âge, mais plutôt avec la conscience qu’à un moment donné, on a fait assez de choses et que dorénavant, on a uniquement envie de faire les bonnes choses.»

www.remoteexperiences.com

@remoteexperiences

Qui est David de Vleeschauwer?

– Il est né à Courtrai le 22 novembre 1974

– Il a fait des études de design industriel à la Design Academy d’Eindhoven

– Il est photographe pour des magazines, comme Condé Nast Traveller, Travel & Leisure, Departures, National Geographic, Monocle…

– «Remote Places to Stay», son premier livre rédigé en collaboration avec la journaliste de voyage Debbie Pappyn a été publié en 2014 aux éditions Lannoo et est désormais édité par Gestalten.

– Remote Experiences. Extraordinary Travel Adventures from North to South, publié par Taschen, est leur deuxième livre, 50 euros, www.taschen.com

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