L’European Long Term Investment Fund (ELTIF): en privé et à long terme
Véhicule d’investissement assez différent des fonds de placement et sicav classiques, l’European Long Term Investment Fund (ELTIF) fera peau neuve le 10 janvier prochain. Investisseurs particuliers bienvenus!
Si la législation relative aux ELTIF met l’accent sur leur approche de long terme, c’est en pratique le monde des investissements privés qui est visé par ces fonds, à savoir les entreprises non cotées (private equity), ainsi que la dette privée. Ceci explique d’ailleurs cela: de tels investissements étant infiniment moins liquides que les valeurs cotées en Bourse, il ne saurait être question de devoir rembourser l’investisseur n’importe quand et il serait hasardeux de se fier à une cotation boursière.
Le petit monde des ELTIF ne sera pas bouleversé du jour au lendemain, tempère Wim Nagler, head of institutional chez Schroders Benelux: nombre de gestionnaires vont vouloir attendre que la réglementation nouvelle soit implémentée dans la plupart des pays avant de se lancer. Par contre, un très gros changement se profile dans la composition des portefeuilles: “Jusqu’ici, un ELTIF devait être investi en direct et ‘essentiellement’ en Europe, soit officieusement pour plus de 50%. Ces contraintes sautent. A l’avenir, il pourra investir dans d’autres fonds, offrant dès lors une diversification beaucoup plus large. Il pourra également davantage viser l’international, en particulier les marchés américain et asiatique”. Ce qui disparaît également, c’est l’obligation pour l’investisseur ayant un patrimoine de moins de 500.000 euros de déclarer qu’il n’a pas placé plus de 10% de son portefeuille en ELTIF. Pas facile à vérifier! Et donc, gros frein pour les intermédiaires financiers.
“Ceci va ouvrir la voie aux plateformes, notamment via internet, explique le responsable Benelux. En Belgique comme à l’étranger, les grandes banques sont par ailleurs en ce moment assez réticentes, craignant que l’illiquidité du produit ne puisse susciter des malentendus… Ceci ne concerne toutefois pas la banque privée, plus coutumière des actifs privés.” Les ELTIF sont et seront sans doute essentiellement investis en private equity, car ils offrent une belle prime d’illiquidité par rapport aux actifs cotés. Soit historiquement quelque 12% de return annuel, contre 8% pour la Bourse. C’est moins évident pour la dette privée, estime Wim Nagler. Et pourtant…
Certaines fintechs envisagent d’organiser un marché secondaire pour les ELTIF.” – WIM NAGLER (SCHRODERS BENELUX)
Beaucoup à taux variable
C’est d’ailleurs sur ce dernier terrain qu’un autre gestionnaire britannique, M&G, s’est manifesté à la mi-novembre en lançant un ELTIF investi en crédit privé: le M&G Corporate Credit Opportunities. La dette privée représente au niveau mondial moins de 1.500 milliards de dollars, soit un gros pour cent à peine de la masse des obligations publiques, situe la gestionnaire Fiona Hagdrup. Comme le private equity, elle est assez largement liée au financement des rachats d’entreprises (buy-out). Son gros atout est d’offrir des rendements sensiblement plus élevés que les emprunts publics: au cours des 10 années arrêtées à la mi-2023, la dette privée a dégagé un rendement annuel moyen de 10%, soit le double des obligations européennes à haut rendement. Elle offre aussi une protection contre le risque de taux, compte tenu de son univers essentiellement à taux variable, souligne la gestionnaire. Cette variabilité concerne particulièrement les senior secured syndicated loans, qui représenteront 70 à 85% du portefeuille. Le solde, présenté comme illiquide, sera le fait de prêts directs aux entreprises.
Qu’en est-il du taux de défaut? Il n’est pas plus élevé que celui des obligations à haut rendement, c’est-à-dire très faible, de l’ordre de 3%. Et en Europe, on recouvre 70 à 80% des capitaux, précise Fiona Hagdrup, car on se met facilement autour de la table pour négocier. Il n’en va pas de même aux Etats-Unis, où le recouvrement est souvent inférieur à 30%. Ce n’est pas la seule raison de la préférence clairement donnée à l’Europe par le fonds. Intervient aussi, et même surtout, la plus large palette des possibilités dont témoigne la forte proportion des prêts syndiqués à taux variable.
Pas totalement illiquides?
Placement de long terme, l’ELTIF est un fonds fermé non coté en Bourse. N’y a-t-il vraiment pas moyen d’en sortir plus tôt? La réponse n’est pas encore très claire, car “les textes légaux contiennent une suggestion en faveur d’une certaine liquidité, observe Wim Nagler. Il est toutefois également souhaité qu’il ‘ne faut pas dénaturer le produit’, sans plus de détails. Une certaine liquidité pourrait être proposée pour la partie du portefeuille qui est plus liquide, à savoir les fonds par exemple”. La porte de sortie ne vaudrait sans doute pas durant les deux ou trois premières années, soit la période d’investissement. Certaines fintechs songent à organiser un marché secondaire, précise encore le responsable Benelux de Schroders.
Les ELTIF 2.0, c’est pour demain
Le 19 mai 2015, le Journal officiel de l’Union européenne publiait le règlement relatif aux European Long-Term Investment Funds, connus sous l’acronyme ELTIF, avec entrée en application le 9 décembre. Il s’agit d’un statut particulier que peuvent revêtir les fonds d’investissement alternatifs (FIA), mieux connus sous le vocable anglais hedge funds. Régis par la directive européenne AIFM, et non par la directive UCITS qui coiffe les organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM, soit les fonds communs de placement et les sicav), les fonds alternatifs peuvent en réalité être définis comme… tous les fonds n’étant pas des OPCVM. Ils bénéficient d’un choix d’actifs plus large et de méthodes de gestion plus réactives, mais ne sont pas nécessairement spéculatifs, contrairement à l’image classique des hedge funds. Bon nombre se veulent même très défensifs.
Les ELTIF étaient au départ axés sur un nombre assez limité de catégories d’actifs, dont les infrastructures et les PME, avec pour but de stimuler les investissements en Europe. Ils visent spécifiquement le long terme et ne sont remboursables qu’à une date annoncée au départ. Compte tenu de cela, et pour ne pas accroître sa volatilité, l’ELTIF ne peut ni pratiquer la vente à découvert, ni utiliser des produits dérivés, sauf à des fins de couverture du risque.
Avec 57 fonds et 2,4 milliards à peine d’actifs au bout d’un lustre, les ELTIF furent un demi-échec, de sorte que la Commission européenne a proposé d’en assouplir le cadre, à la fois pour les gestionnaires et pour les investisseurs particuliers. Les ELTIF 2.0 pourront, dès le 10 janvier 2024, investir dans les obligations vertes, des entreprises cotées valant moins de 1,5 milliard d’euros (au lieu de 500 millions), des actifs réels quasiment sans limitations, sans oublier dans d’autres fonds investis en actifs privés. Et l’investisseur particulier pourra en acheter pour moins de 10.000 euros.
Investir en 2024
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