Le come-back des obligations: comment investir?

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Ilse De Witte Journaliste chez Trends Magazine

Le net redressement des taux d’intérêt rend les obligations à nouveau attrayantes. Comment investir dans ces emprunts contractés par les Etats ou certaines entreprises?

Il y a quelques mois, un collègue chargé de répondre à la question d’un lecteur soupirait: “On dirait que les gens ont complètement oublié comment investir en obligations”. Ce à quoi un autre membre de la rédaction a rétorqué: “Je n’ai jamais acheté d’obligations de ma vie. Je me contente de garder une réserve suffisante sur un compte d’épargne. Le reste, je l’investis dans des actions”.

Certes, investir en obligations comporte des inconvénients que les actions ne connaissent pas. Mais investir tout son argent dans des actions n’est sûrement pas la meilleure chose à faire… D’autant plus que les obligations rapportent aujourd’hui bien plus qu’un compte d’épargne.

“Investir en obligations est un peu plus compliqué, explique Pieter De Ryck, gestionnaire de fonds au sein de la banque privée Van Lanschot. Alors que pour les actions, Google et les autres moteurs de recherche fourmillent d’informations. On peut investir en actions chez à peu près n’importe quel courtier. Par ailleurs, rares sont les obligations disponibles au prix de 1.000 euros seulement. Or, même pour les clients les plus aisés, diversifier son portefeuille avec des obligations qui coûtent 100.000 euros, sinon plus, c’est difficile.”

De faibles montants sont possibles

Mais à chaque problème, sa solution… La société de Bourse belge Goldwasser Exchange (www.oblis.be) collecte et publie ainsi des données sur les obligations. Il y a quelques mois, toutefois, elle a cloisonné son site, rendant payantes les informations sur les prix et les rendements des obligations et sur la solvabilité de leurs émetteurs.

La liste proposée sur www.oblis.be n’en reste pas moins une source d’inspiration pour l’investisseur qui souhaite acquérir des obligations à bas prix. Elle comprend, par exemple, des Bundesobligationen du Trésor allemand et des obligations assimilables de l’Etat français, accessibles à partir de 1 euro, voire à partir de 1 centime. Les obligations émises par des entreprises sont, elles, disponibles dès 1.000 euros. “Plusieurs constructeurs automobiles allemands offrent régulièrement des titres au prix de 1.000 euros, mais il faut éviter de trop s’exposer à un unique secteur”, rappelle Pieter De Ryck.

“La différence de rendement entre les obligations souveraines et les actions est aujourd’hui ténue.” GÉRALDINE SUNDSTROM (PIMCO)

Le courtier allemand Trade Republic est le seul en Europe à proposer d’investir d’une manière fractionnée: le client peut accéder à partir de 1 euro à des portions d’un demi-millier d’obligations souveraines et d’entreprises. Nous ignorons comment Trade Republic gère les apports et protège les droits que les investisseurs détiennent sur ces parties de titres. Le système impose en outre de disposer d’un compte à l’étranger qui doit être déclaré au point de contact central de la Banque nationale de Belgique. Trade Republic ne prélevant aucun impôt à la source, le précompte mobilier est dû en Belgique.

Il existe par ailleurs des fonds qui investissent dans des obligations. Vous trouverez davantage d’informations à ce sujet dans le guide qui vous est proposé ici. Leurs gestionnaires explorant les marchés obligataires pour le client, celui-ci n’a pas grand-chose à faire. Aux fonds classiques, dans lesquels on peut monter et dont on peut descendre comme s’il s’agissait d’un train, s’ajoutent des fonds assortis d’un point de départ et d’un point d’arrivée, c’est-à-dire d’une date d’expiration bien précise. L’avantage des fonds obligataires à maturité fixe est qu’ils se comportent comme des obligations, que l’investisseur souscrit à l’émission, qu’il conserve jusqu’à l’échéance finale.

Moins chères que les actions

“Les actions sont aujourd’hui valorisées ‘pour la perfection’, estime Géraldine Sundstrom, gestionnaire de portefeuille chez Pimco. Leur cours intègre des prévisions allant dans le sens d’une accélération de l’économie et d’une augmentation des bénéfices des entreprises alors même que les observateurs annoncent un ralentissement. Les investisseurs craignaient une récession cette année ; elle ne s’est pas produite mais rien ne dit qu’elle n’est pas pour l’an prochain. En outre, les marchés d’actions sont assez vulnérables car seule une poignée de grandes entreprises les tirent vers le haut. C’est pourquoi nous considérons les obligations d’entreprises et les actions avec prudence. Nous n’achetons que des obligations d’entreprises de haute qualité, émises par des sociétés actives dans des secteurs peu sensibles à la conjoncture, et de préférence assorties de sûretés. Les obligations d’entreprises et les actions sont par ailleurs plus chères que les obligations d’Etat.”

Maud Reinalter, stratégiste en chef chez Belfius Asset Management, juge elle aussi les actions valorisées à l’excès. “Regardez les ratios cours/bénéfice: vous constaterez que les actions sont légèrement plus chères que la moyenne historique, explique-t-elle. Selon nous, les bénéfices des entreprises vont continuer à marquer le pas pendant un ou deux trimestres encore, après quoi la situation devrait s’améliorer. Vu sous cet angle, les actions sont chères dans l’immédiat mais correctement valorisées sur un terme un peu plus long.” Maud Reinalter conseille surtout d’éviter les obligations d’entreprises à haut rendement (dont les capacités de remboursement de l’émetteur peuvent être sujettes à caution), qui pourraient “encore pâtir de la situation économique”.

Pour Géraldine Sundstrom, le surcroît de rendement qu’offrent les actions par rapport aux taux dits sans risque des obligations d’Etat est le meilleur critère de valorisation qui soit. “La différence de rendement entre les obligations souveraines et les actions est aujourd’hui ténue, précise-t-elle. Il est bien sûr arrivé qu’elle le soit davantage encore, comme lors des périodes qui ont précédé le krach de 1929 ou l’éclatement de la bulle technologique en 2000, mais ces épisodes sont plutôt rares. Aujourd’hui, le moment est tout simplement propice à l’achat d’obligations.”

Allonger la durée

“A l’exception de celles de maturité longue, les obligations sont lentement rentrées en grâce cette année. Or, je pense qu’il est temps de s’exposer davantage aux emprunts remboursables dans cinq à sept ans, qui constituent ce que l’on appelle le ventre de la courbe. La queue – ou extrémité longue – de la courbe comporte trop de risques. Quant à l’extrémité courte, elle dépend exagérément des banques centrales. Que ce soit aux Etats-Unis ou en Europe, les taux d’intérêt semblent avoir atteint leur maximum ; l’investisseur veillera donc à se les attacher sur la durée. D’autant qu’il peut déjà bénéficier de taux bien moins pénalisants quand il achète des obligations à cinq ans qu’il y a six mois, par exemple”, résume Geraldine Sundstrom.

“Si vous commencez à investir dans des obligations aujourd’hui, sélectionnez celles dont les échéances vont d’un à dix ans.” PIETER DE RYCK (VAN LANSCHOT)

Maud Reinalter estime que cinq ans environ est actuellement la durée idéale. “Au contraire des obligations souveraines, les obligations d’entreprises assorties d’une échéance plus longue sont rares. Faire entrer dans le portefeuille des obligations de l’Etat allemand à 10 ans peut constituer une stratégie défensive opportune.” Ces Bunds allemands promettent à l’heure actuelle un rendement brut de 2,5% environ, soit 1,75% après déduction des 30% de précompte mobilier. Ce qui reste inférieur aux 2% d’inflation visés par la Banque centrale européenne (BCE) et n’offre par conséquent pas de protection contre la perte de pouvoir d’achat. Mais lorsque dans quelques mois ou dans un an, l’investisseur devra remplacer les obligations arrivées à échéance, il risque de devoir se contenter de coupons moins élevés.

Géraldine Sundstrom rappelle que les obligations constituent une sorte d’assurance contre les ralentissements de l’économie. “Supposons que la situation se dégrade effectivement l’année prochaine: la demande d’obligations va s’accélérer, ce qui fera partir à la hausse la valeur des obligations en portefeuille. Il est difficile de dire combien d’obligations il est recommandé de détenir ; tout dépend de l’horizon d’investissement, de l’appétence au risque, etc., de chacun. Mais sur une échelle de 1 à 10, où 1 signifierait ‘pas d’obligations’ et 10 ‘rien que des obligations’, je dirais que nous sommes actuellement à 7 et que si nous entrons en récession, mieux vaudra atteindre 10.”

Durée Selon certains experts, cinq ans est actuellement l’idéal pour une obligation.
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Pour Pieter De Ryck, opter pour une approche échelonnée est la meilleure stratégie qui soit pour l’investisseur particulier. “Si vous commencez à investir dans des obligations aujourd’hui, sélectionnez celles dont les échéances vont de 1 à 10 ans. Placez un dixième des capitaux dans celles qui arriveront à maturité dans un an, un dixième dans celles remboursables dans deux ans, et ainsi de suite. L’an prochain, lorsque les premières arriveront à expiration, vous réinvestirez les fonds qui vous auront été remboursés dans des obligations à 10 ans. La maturité moyenne de votre portefeuille sera de la sorte toujours de cinq ans approximativement. Vous n’aurez pas à vous préoccuper des échéances et le portefeuille sera relativement peu sensible aux fluctuations de taux d’intérêt.”

Pieter De Ryck et Maud Reinalter ont la même opinion sur le risque de change: “Pour nos clients en gestion patrimoniale, nous n’achetons généralement que des obligations en euros car les taux de change sont imprévisibles, affirme le premier. Nous savons d’expérience que les devises font davantage fluctuer les portefeuilles, sans garantir en échange de rendements plus élevés à moyen ou long terme.” Maud Reinalter approuve: “Nous achetons quelques bons du Trésor américain, histoire de nous diversifier, mais notre exposition au billet vert est faible. D’autant que celui-ci pourrait bien être actuellement trop cher par rapport à l’euro. Je ne recommande pas d’intégrer énormément de devises dans les portefeuilles”. Geraldine Sundstrom s’inquiète elle aussi d’une possible chute du dollar.

Le monde tourne à l’envers

En temps normal, l’entreprise ou l’Etat récompense l’investisseur pour chaque année supplémentaire pendant laquelle il lui prête de l’argent, le risque qu’une société saine fasse faillite dans l’année étant beaucoup plus faible que celui de la voir mettre la clé sous le paillasson dans 10 ou 30 ans. Mais cela fait un an et demi que la courbe des taux est inversée. Dit en d’autres termes, cela fait un an et demi qu’avec des obligations à trois mois, six mois ou un an plus rentables que celles à 10 ans, le monde tourne à l’envers. Même les investisseurs âgés et chevronnés ont peu d’expérience de cette inversion de la courbe des taux, un phénomène qui ne s’est produit que sept fois depuis les années 1970! On considère souvent cela comme un signe avant-coureur d’une récession, même si celle-ci se fait aujourd’hui attendre.

“D’après nous, les banques centrales vont diminuer leurs taux directeurs après l’été.” MAUD REINALTER (BELFIUS ASSET MANAGEMENT)

La courbe devrait se normaliser dès l’an prochain. “D’après nous, les banques centrales vont diminuer leurs taux directeurs après l’été, ce qui aura surtout une influence sur les taux courts”, déclare Maud Reinalter. L’experte estime que les taux sur les titres de créance de maturité courte baisseront davantage ces prochains mois que ceux sur les titres à plus long terme, jusqu’à ce que les investisseurs soient à nouveau rémunérés pour le risque temporel, ce qui est loin d’être le cas pour l’heure. En raison de cette bizarrerie, les investisseurs optent principalement pour des obligations de maturité courte.

En septembre, l’Etat belge a sorti de son chapeau un bon à un an, dont l’objet était de forcer les banques à booster leurs comptes d’épargne. Ce faisant, il a récolté la bagatelle de 22 milliards d’euros. Un bon d’Etat n’est ni plus ni moins qu’une obligation émise par la Belgique à destination des investisseurs particuliers. En novembre, l’entreprise pharmaceutique belge UCB a levé en une seule journée 300 millions d’euros avec une obligation à six ans. “Je ne comprends pas cette précipitation, s’étonne Pieter De Ryck. Il y a aujourd’hui sur le marché secondaire beaucoup d’obligations bien plus rentables.” Encore faut-il, pour l’investisseur, comprendre le mécanisme sous-jacent…

Marchés primaire et secondaire

Il existe un marché primaire et un marché secondaire. Le premier est celui sur lequel les actions et les obligations nouvellement créées sont proposées à la souscription, le second, celui sur lequel elles changent de mains par la suite, un ‘‘marché de l’occasion’’, si l’on peut dire. La taxe sur les opérations de bourse (TOB) ne s’applique pas en cas d’achat d’actions ou d’obligations à l’émission. Les opérations en actions sur le marché secondaire sont, elles, grevées d’une taxe de 0,35%, qui ne peut toutefois pas dépasser 1.600 euros par transaction. Les achats et ventes d’obligations sur le marché secondaire sont taxés à 0,12% avec, à chaque fois, un plafond fixé à 1.300 euros.

Comprendre l’étonnement exprimé par Pieter De Ryck impose d’avoir certaines connaissances: pourquoi, en effet, serait-il actuellement plus intéressant d’acheter une obligation sur le marché secondaire que sur le marché primaire? Parce que les obligations émises il y a un certain temps peuvent être disponibles moyennant une forte décote (dans le jargon, on dit qu’elles se négocient en dessous du pair, ou sous leur valeur nominale). La BCE a relevé ses taux directeurs à 10 reprises depuis juillet 2022. Ses efforts ont payé puisque, que ce soit auprès des banques ou auprès des investisseurs (par le biais d’obligations), il est en 2023 beaucoup plus coûteux pour les entreprises d’emprunter qu’auparavant. Si les taux sur le marché augmentent, si les taux des emprunts nouveaux partent à la hausse, les cours des obligations plus anciennes diminuent, ce qui crée des opportunités de nature fiscale pour l’investisseur belge.

Prenons, pour illustrer cette réflexion, le bon d’Etat à huit ans émis en décembre à 100 euros par coupure et assorti d’un coupon brut de 2,9%, soit 2,03% net. Un investissement de 1.000 euros rapportera donc 20,30 euros net chaque année. Mais l’investisseur aurait tout aussi bien pu acheter l’obligation linéaire (OLO, pour obligation linéaire-lineaire obligatie) remboursable le 22 octobre 2031, assortie d’un coupon de 0% brut et dont le cours tourne autour de 79% de sa valeur nominale. Ce qui serait revenu à payer 790 euros pour une obligation qui sera remboursée à l’échéance 1.000 euros, sans être taxée, soit un rendement net de 3% l’an. Pour que la comparaison soit tout à fait précise, il faut tenir compte de la TOB et des frais de transaction payés à l’achat sur le marché secondaire, qui ne sont pas d’application sur le marché primaire. En fonction du courtier, le rendement net de l’OLO pourrait descendre jusqu’à 2,9%, ce qui resterait bien plus élevé que le rendement du bon d’Etat à huit ans.

De l’importance du timing

Peu importe la date à laquelle on achète une action: les dividendes iront de toute façon à la personne qui détiendra le titre au moment de leur versement. En revanche, si l’on envisage d’acheter une obligation, mieux vaut commencer par vérifier quand les intérêts seront versés, parce que ce sera à l’acquéreur de payer les intérêts échus au vendeur. Si vous achetez une obligation la veille du détachement du coupon, vous payerez au vendeur 364/365e des intérêts en plus du prix du titre. Pour certaines obligations belges, dont le code ISIN commence par BE, les courtiers belges annoncent des montants nets. Pour les obligations étrangères, l’acheteur paye et le vendeur perçoit les intérêts exprimés en montants bruts. L’investisseur belge déclare ensuite les intérêts perçus à l’impôt des personnes physiques, où le précompte mobilier de 30% est alors calculé. Les intérêts bruts payés ne sont pas déductibles.

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