Les coupe-faim peuvent-ils bouleverser l’économie?

77% des personnes traitées au GLP-1ont déclaré qu’elles fréquentaient moins souvent les fast-foods. © Getty Images
Camille Delannois Journaliste Trends-Tendances  

Les médicaments antidiabétiques dont l’usage a été détourné pour profiter de leurs effets amaigrissants peuvent-ils bouleverser des secteurs entiers de l’économie mondiale? Trends-Tendances pointe les gagnants et perdants potentiels.

Ozempic, Wegovy, Mounjaro: les médicaments GLP-1 efficaces contre le diabète de type 2 ont montré une efficacité redoutable dans la perte de poids. A long terme, et avec une utilisation généralisée, ces médicaments pourraient affecter de nombreux secteurs.

Certaines entreprises ont d’ailleurs déjà vu d’importantes fluctuations du cours de leurs actions. A commencer par les multinationales Mondelez (propriétaire de Milka, Oreo et Toblerone), Coca-Cola, Pepsi ou encore McDonald’s qui ont chuté de près de 6% en Bourse début octobre avant de rattraper une partie de leurs pertes. “Selon moi, cela va rester un phénomène de marché, pas forcément observable sur le plan macroéconomique”, avance Guillaume Duchesne, head of investment à la Banque Transatlantique Belgium. Ce jour-là, John Furner, le patron de la chaîne américaine de supermarchés Walmart, affirmait que ses clients utilisateurs des nouveaux médicaments antidiabétiques aux effets de coupe-faim achetaient “un peu moins de nourriture” et surtout des produits moins caloriques.

Ce CEO est perçu comme un oracle en matière de grandes tendances de consommation. En cause? L’enseigne est passée maître en analyse des comportements d’achat avec des sondages et autres questionnaires qui lui permettent d’accumuler une mine d’informations sur les consommateurs. Il n’en fallait pas plus pour faire paniquer les marchés. “C’est le raisonnement typique des investisseurs américains, ces derniers ne font pas de quartier”, rappelle Guillaume Duchesne.

Les analogues de GLP-1 donnant un sentiment de satiété, les consommateurs ont besoin de 20 à 30% d’apport calorique en moins par jour. De quoi menacer l’industrie agroalimentaire? Pas si vite. “Les consommateurs ne vont pas changer leurs habitudes du jour au lendemain”, pointe Guillaume Duchesne. A ce jour, la Fédération de l’industrie alimentaire belge (Fevia) ne “constate pas vraiment de conséquence de la prise de médicaments pour la perte de poids sur l’industrie agroalimentaire”, enchérit Aurélie Gerth, porte- parole.

A noter que le marché belge est plus petit et moins touché par cette euphorie médicamenteuse puisque l’usage de ces médicaments y est restreint (Wegovy et Mounjaro ne sont pas encore disponibles) et le cadre plus contrôlé. Si l’utilisation devait se généraliser, la Fevia rappelle en outre que l’industrie agroalimentaire réalise des améliorations en matière de santé depuis des années et est donc capable de répondre à la demande des consommateurs soucieux de leur poids.

“Les innovations santé dans l’alimentaire précèdent l’arrivée de ces médicaments”, analyse Christophe Sancy, rédacteur en chef de la plateforme spécialisée Gondola, qui nuance. “Les consommateurs précarisés se tournent encore vers des produits gras ou sucrés, c’est ce qu’on appelle la comfort food.” Partant du principe que les prix de tels médicaments ne vont pas drastiquement diminuer, ceux-ci restent inaccessibles pour cette tranche de la population. Par ailleurs, les “aliments destinés à la gestion de la perte de poids” tels que les boissons ou barres protéinées devraient continuer de croître.

Selon les analystes de Morgan Stanley, ce sont les producteurs de boissons alcoolisées axés sur le marché américain qui sont les plus exposés à l’utilisation accrue de médicaments contre l’obésité. Ceux-ci s’attendent à une baisse d’environ 2% de la consommation d’alcool d’ici 2035. Près d’un quart des patients consommant du GLP-1 ont en effet complètement arrêté d’en boire et près de 20% ont renoncé aux boissons sucrées. Mais les consommateurs européens étant déjà en demande de boissons sans alcool ou moins sucrées, nos entreprises devraient être moins touchées.

Par exemple, la FIEB (Fédération royale de l’industrie belge des eaux et boissons rafraîchissantes) rappelle que la réduction totale de sucre dans son offre a atteint 42% depuis 2012. “Les distributeurs et les marques européennes sont bien plus avancés en la matière”, souligne Christophe Sancy.

Selon moi, ça va rester un phénomène de marché, pas forcément observable sur le plan macroéconomique.” – GUILLAUME DUCHESNE (BANQUE TRANSATLANTIQUE BELGIUM)

McDonald’s, Domino’s, KFC

En revanche, partout dans le monde, les chaînes de restauration rapide comme McDonald’s, Domino’s Pizza ou KFC risquent de pâtir de l’utilisation de coupe-faim. D’après les résultats d’une enquête de Morgan Stanley, 77% des personnes traitées au GLP-1 ont déclaré qu’elles fréquentaient moins souvent les fast-foods et 74% ont déclaré qu’elles fréquentaient moins les pizzerias. Bien qu’il n’existe pas encore suffisamment de recherche sur l’homme à ce stade, les médicaments pourraient également diminuer d’autres comportements addictifs.

Selon une étude de The Lancet, la prise de GLP-1 “abolit la récompense nicotinique et diminue la consommation de nicotine”. Une mauvaise nouvelle pour les grands fabricants de tabac comme Altria et Philip Morris si suffisamment de personnes commencent à prendre les médicaments GLP-1. Une fois ces traitements généralisés, le marché du diabète pourrait également diminuer et les dispositifs médicaux tels que les pompes à insuline seraient alors inutiles. De même que les appareils destinés à l’apnée du sommeil puisque ces médicaments réduisent également des tels soucis de santé.

WW (anciennement Weight Watchers), dont l’activité est centrée sur la perte de poids, a pris les devants. L’entreprise s’est déjà reconvertie dans l’e-santé avec le rachat – pour 132 millions de dollars – de la start-up américaine Séquence. Celle-ci propose des prescriptions de médicaments contre l’obésité. Jusque-là, WW avait refusé de s’associer à une offre médicamenteuse mais son approche semble avoir évolué. “En tant que marque leader, nous avons la responsabilité d’examiner les progrès récents dans la science et le traitement de l’obésité et de réfléchir à la manière dont ils s’intègrent dans l’écosystème de notre entreprise”, a déclaré Sima Sistani, son CEO.

Outre les entreprises pharmaceutiques, d’autres industries pourraient toutefois bénéficier directement de cet usage massif de coupe-faim. Les marques de fitness pourraient ainsi également sortir gagnantes. Puisque la prise de ces médicaments favorise aussi bien la perte de graisse que de muscle, cela pourrait inciter les consommateurs à reprendre le sport. D’autant que les médecins insistent sur la nécessité d’un mode de vie sain et de la pratique du sport afin de conserver son poids idéal.

L’aérien et le textile…

L’aérien pourrait également profiter d’une utilisation généralisée de GLP-1. D’après les analyses de la banque Jefferies Financial, United Airlines pourrait économiser 80 millions de dollars par an si le poids moyen de ses passagers diminuait de 4,5 kg. Une économie cruciale pour l’industrie aérienne dont 25% des dépenses sont consacrées au carburant.

L’industrie textile – si les personnes avec quelques kilos de moins renouvellent leur garde-robe – pourrait également figurer parmi les gagnants potentiels. Cependant, cette industrie produit beaucoup plus rapidement qu’avant et a déjà démontré qu’elle s’adaptait à la diversification de la demande.

En résumé, les conséquences à long terme des médicaments GLP-1 pourraient être considérables dans diverses industries. Certaines, plus exposées, devront faire preuve de résilience, d’autres devront diversifier leurs activités. Reste que pour le moment, ces médicaments sont chers et l’offre limitée. Les entreprises ont donc encore un peu de temps pour s’adapter.

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