CFE: “Ce qui n’est pas durable n’a plus d’avenir”

Raymund Trost, CEO de CFE: "Nous sommes aujourd’hui de plus en plus une société de technologie." © PG

La nouvelle stratégie du groupe belge de construction et de promotion immobilière CFE semble porter ses fruits malgré un contexte compliqué lié à des hausses de coûts et de taux. La demande élevée pour des immeubles durables et intelligents remplit le carnet de commandes. Un retour aux rentables recettes du passé est exclu, explique son CEO, Raymund Trost.

Délesté de sa lourde filiale DEME en juin dernier, le groupe belge CFE a ouvert un nouveau chapitre de son histoire dans la foulée. Avec dorénavant un nouveau CEO à sa barre et un nouveau positionnement axé sur la durabilité et l’innovation. De quoi donner de nouvelles ailes à ce groupe multidisciplinaire présent dans trois pays (Belgique, Luxembourg et Pologne) et actif dans la promotion immobilière (BPI), le multitechnique (VMA), la construction et la rénovation et les investissements durables.

TRENDS-TENDANCES. Six mois après la refonte du groupe CFE, quel bilan tirez-vous de cette réorganisation et de ce nouveau positionnement?

RAYMUND TROST. Nous sommes très satisfaits, tant en interne qu’en externe. Les différents métiers de CFE étaient méconnus. Ce repositionnement nous permet de clarifier notre stratégie. Il s’agit d’un nouveau chapitre de notre histoire.

CFE reste associé au secteur de la construction. La volonté est de s’en détacher?

C’est en effet un point à régler. Nous sommes toujours considérés dans les médias comme un groupe de construction. Or, nous sommes bien plus que cela aujourd’hui. Nous sommes bien évidemment actifs dans la construction et la rénovation mais c’est loin d’être notre activité principale. Nous sommes aujourd’hui de plus en plus une société de technologie.

C’est-à-dire?

Nous sommes devenus un groupe multidisciplinaire actif dans trois secteurs clés pour la transformation du monde de demain. Avec nos compétences, nous pouvons devenir leader sur les marchés des bâtiments durables, des industries intelligentes et des infrastructures pour la mobilité et l’énergie de demain. Notre positionnement est unique en Belgique. Il faut bien s’en rendre compte. Or, pour relever les problématiques du futur, je suis convaincu qu’il faudra travailler dans un large écosystème.

Malgré un contexte de hausse des coûts de construction et des taux d’intérêt, vos résultats financiers restent bons. Comment CFE a-t-il réussi à passer entre les gouttes?

Nos résultats démontrent surtout la force de notre groupe interdisciplinaire. Nous avons fait preuve d’agilité pour trouver des solutions dans un contexte difficile, en tentant notamment de transposer les hausses de prix des matériaux dans les contrats, de manière à nous protéger. Depuis mars 2022, tous les nouveaux contrats ont été adaptés dans ce sens.

Cette situation compliquée qui perdure vous inquiète-t-elle aujourd’hui?

On observe en tout cas un retard entre ce qui se passe sur le marché et l’impact que cela peut avoir sur le plan industriel. Les premiers mois de 2023 montrent par exemple une forte baisse dans l’octroi de crédits hypothécaires. Nous nous attendons donc à un ralentissement temporaire du marché résidentiel. Pourquoi? Car d’un côté, il n’y a pas assez d’offre, de l’autre, les prix deviennent trop élevés dans certaines régions par rapport aux revenus des habitants.

Et pour les autres segments où vous êtes actifs?

Pour les bureaux, le marché se maintient. Il y a une vraie demande pour les bureaux durables et intelligents. Or, l’offre est assez réduite. Il y a donc des perspectives intéressantes, tant pour la partie construction et rénovation que pour la partie multitechnique. Un cadre réglementaire favorisant la durabilité est d’ailleurs défini par l’Europe. Il sera même de plus en plus contraignant. Les investisseurs exigent des immeubles avec les plus hautes certifications. L’obtention des permis reste par contre un vrai frein.

“Il est presque déjà possible de construire des bâtiments zéro énergie.”

Les immeubles ZIN (quartier nord) et Wood Hub (Auderghem) sont-ils désormais les deux exemples de projets vers lesquels tous vos nouveaux développements doivent tendre?

Essayer du moins (sourire). Il s’agit de deux projets emblématiques. Le ZIN, tout le monde sait à quel point sa rénovation est mise en avant à Bruxelles. Les premières livraisons sont attendues pour décembre 2023. Pour Wood Hub, où nous déménagerons fin 2023, ce sera une vraie vitrine de nos compétences: BPI Real Estate est en charge de son développement, BPC Group et Wood Shapers des travaux de construction, Benelmat des solutions de matériel, et VMA du volet technique et du logiciel Smart Building, qui permet d’exploiter les données issues de toutes les installations techniques de manière à optimiser la consommation d’énergie et le confort des utilisateurs.

Le fait que, à Bruxelles, les rénovations seront privilégiées au détriment des reconstructions peut-il freiner l’apparition d’immeubles durables et intelligents?

Non, les deux procédés ne sont pas plus complexes l’un que l’autre. Il va de toute façon y avoir un shift du marché neuf vers la rénovation. De même que le volet technologique va clairement augmenter, tout comme la partie durabilité. La rénovation permet de repenser un immeuble de manière plus raisonnable. La structure d’un bâtiment représente 70% de son empreinte carbone. Il faut donc travailler pour pouvoir la maintenir. Avec le ZIN, nous avons gardé 65% de la structure. Et l’un de ses principaux intérêts est qu’il est adaptable dans le temps pour faire face à une évolution des fonctions. Les besoins changent, ce volet est donc essentiel. D’une manière générale, l’objectif est donc surtout de parvenir à standardiser les travaux pour pouvoir accélérer les rénovations.

L’immeuble Wood Hub, à Auderghem, vient d’être racheté par Ethias. Il fait office de vitrine du savoir-faire de CFE qui y accueillera ses équipes fin 2023, ainsi que le gestionnaire de patrimoine Capital at Work.
L’immeuble Wood Hub, à Auderghem, vient d’être racheté par Ethias. Il fait office de vitrine du savoir-faire de CFE qui y accueillera ses équipes fin 2023, ainsi que le gestionnaire de patrimoine Capital at Work. © Archi2000

Avec quelles perspectives?

Il est déjà possible de faire des bâtiments zéro énergie fossile. Il est presque possible de construire des bâtiments zéro énergie. Et demain, la norme sera les communautés d’énergie. Ce sont la digitalisation et les données qui permettront cela. Il faut donc progresser rapidement dans ce domaine.

Le volet construction et rénovation tire les revenus du groupe vers le haut. Comment expliquer que votre carnet de commandes soit aussi rempli (1,7 milliard) dans un tel contexte d’incertitudes?

En Belgique, il dépasse pour la première fois la barre symbolique du milliard d’euros. Le marché a été porteur en 2022. La hausse est liée à la combinaison d’une prise de commandes prudente qui intègre les hausses de prix et de la révision des prix des commandes existantes pour les marchés révisables. Les marchés publics ont également été un segment important. Et d’une manière générale, nous avons été sélectifs dans nos choix, vu que les marges bénéficiaires sont faibles. Parmi nos succès commerciaux de 2022, je relèverais la construction d’une tour de 25 étages dans le quartier Nieuw Zuid à Anvers, d’un immeuble de 12 étages pour l’hôpital universitaire de Gand, d’une tour résidentielle à Ostende ou encore de deux nouvelles phases du complexe immobilier City Dox à Anderlecht.

Etes-vous plus inquiet pour 2023?

En résidentiel, on observe moins de lancements de nouveaux projets. Nous avons toutefois entamé l’année avec un carnet de commandes bien rempli. Il n’y aura donc pas de problème pour cette année. Il y a davantage d’incertitudes pour 2024.

Quel est l’impact de la guerre en Ukraine pour CFE?

Lors du déclenchement de la guerre, il y a eu une flambée des coûts des matériaux à laquelle nous n’étions pas préparés. Tant pour la promotion que pour la construction. L’impact de la hausse des coûts a surtout été marqué en Pologne. Le marché résidentiel y est toujours à l’arrêt. Les taux d’intérêt variables sont passés de 3 à 10%. Ce marché est toutefois très réactif. Nous espérons une reprise du marché d’ici l’été.

Visez-vous d’autres marchés que la Pologne en Europe centrale?

“La vraie interrogation est de savoir comment on peut réduire structurellement le prix d’un bien de qualité.”

C’est encore prématuré d’en parler. Mais je suis persuadé que des investissements majeurs seront réalisés en Ukraine et dans les pays limitrophes. Nous y croyons et nous sommes prêts à mettre davantage de moyens.

Quel regard portez-vous sur l’évolution du logement neuf: les prix ne sont-ils pas doucement en train d’atteindre un plafond?

Cette question tracasse clairement le secteur. La sous-offre maintient actuellement des prix élevés. La vraie interrogation est de savoir comment on peut réduire structurellement le prix d’un bien de qualité. Le secteur doit trouver de nouvelles réponses à cette problématique. Je pense que cela passera par une plus grande systématisation de l’approche et une industrialisation des procédés de construction. Le secteur immobilier est encore trop dans l’artisanat à ce niveau.

Les développements résidentiels de BPI alimentent en partie votre carnet de commandes. On relève 52 chantiers en cours de construction et 151 projets à l’étude. Etes-vous satisfait du rythme de développement de projets, en Belgique principalement?

Son rôle n’est pas d’alimenter la filiale de construction et de rénovation. Il est avant tout de développer des projets urbains de qualité. Pour l’heure, il y 452.000 m2 dans le pipeline, avec une valeur de sortie de 1,6 milliard. Je suis donc très content des résultats de BPI. Pour le reste, nous sommes mécontents des retards pris dans le développement de nos projets bruxellois suite à des manquements dans la délivrance des permis définitifs. Cela pèse énormément sur le capital investi. Et d’une manière générale, cela freine le renouveau de la ville et la construction d’une nouvelle qualité de vie. On espère recevoir les permis pour Brouck’R (38.000 m2), Key West (63.000 m2), Arlon 53 (19.000 m2) d’ici l’été 2023, et Move’Hub (51.000 m2) un peu plus tard.

Ces projets intègrent-ils déjà votre nouvelle stratégie en matière de durabilité?

Pas suffisamment pour tous. Mais dorénavant, quand BPI sélectionne un projet, il doit respecter une grille de neuf critères contraignants liés à la durabilité. Et s’il n’y en a pas minimum cinq qui sont rencontrés, ils ne poursuivent pas l’étude du dossier. Qu’importe si le projet est ultra-rentable. C’est un choix difficile en tant que dirigeant mais je pense qu’à long terme, il s’agit d’une bonne stratégie. Sinon, ces projets seront impossibles à revendre dans le futur. Une étude allemande montre que la différence de valeur entre un logement résidentiel qui possède un excellent PEB et un autre avec un score mauvais s’élève jusqu’à 40%.

Qu’attendez-vous des prochains mois?

Nos trois marchés devraient connaître une croissance soutenue. Et ce de manière structurelle. Qu’il s’agisse des bâtiments durables, des industries intelligentes et des infrastructures pour l’énergie et la mobilité de demain. Pour le reste, nous voulons surtout accentuer le développement de la technologie avec VMA et la maintenance des bâtiments. Et investir plus dans les infrastructures pour l’énergie, comme les parcs de batteries. Le développement immobilier reste aussi un volet important. Alors que plus spécifiquement, on aimerait accélérer le développement de la construction en bois. Pour les immeubles de six à huit étages, ce type de construction a d’énormes avantages.

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