Transport & Environment: une ONG de poids pour encourager les transports sans émission
Basée à Bruxelles, Transport & Environment est peu connue du grand public. Elle a nourri les critiques envers les jets privés et contribué à la décision d’arrêter la vente de voitures thermiques à partir de 2035.
Si les voitures vendues à partir de 2035 devront être zéro émission, c’est un peu grâce à – ou à cause de – Transport & Environment. Il s’agit d’une ONG basée à Bruxelles, square de Meeûs, près du Parlement européen. Elle est dirigée par un Belge, William Todts, et occupe 70 personnes. Elle a été fondée il y a une trentaine d’années pour promouvoir les transports sans émission.
“Nous sommes à la fois un think tank et un campaign group, précise William Todts. Nous consacrons 30 à 35% de notre budget à des recherches. Beaucoup d’autres ONG ne dépensent pas autant dans ce genre de travaux.” Transport & Environment (T&E en abrégé) publie régulièrement des études et des recommandations de plus en plus citées par les médias pour que les bateaux, les voitures, les autocars ou les camions passent à des motorisations sans émission.
L’approche consiste à obtenir des changements réglementaires argumentés par des études, publiées et distillées à la Commission européenne, au Parlement européen ou dans les instances politiques nationales. Elle pratique plutôt l’influence argumentée que l’indignation médiatisée.
T&E estime que les camions seront rapidement moins chers à opérer en électrique qu’en diesel d’ici 2035, même pour les longs trajets.
Dernier dossier en date: les poids lourds. T&E estime, sur la base d’une étude de TNO, une organisation de recherche néerlandaise, que les camions seront rapidement moins chers à opérer en électrique qu’en diesel d’ici 2035, même pour les longs trajets. Pour que les constructeurs s’y mettent sérieusement, l’ONG demande, comme pour les voitures, que les poids lourds commercialisés à partir de 2035 soient zéro émission.
T&E n’est pas seule à militer contre le réchauffement climatique. Il y a aussi Greenpeace, WWF, ICCT (à l’origine de la dénonciation du dieselgate). Les moyens et les approches ne sont pas les mêmes. Greenpeace ou Extinction Rebellion aiment les actions spectaculaires qui passent à la télé. T&E, elle, joue la carte du pragmatisme et des solutions. Ses chiffres servent d’arguments. Comme ce fut le cas tout l’été au sujet des jets privés, dénoncés par des politiques belges et français de divers bords et qui parfois en demandaient l’interdiction, comme le député vert français Julien Bayou. “Notre rapport montre que les jets privés sont 5 à 14 fois plus polluants que les avions commerciaux (par passager) et 50 fois plus polluants que les trains”, indique un rapport de l’ONG souvent mentionné.
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Oui aux jets privés propres
T&E préfère que les riches utilisent leurs moyens pour financer la décarbonation des vols privés. “Au lieu de dire qu’il faut punir les riches, leur interdire les jets privés, nous pensons qu’ils peuvent payer des carburants ou des avions plus propres”, avance William Todts. L’ONG propose que les jets d’affaires soient remplacés à partir de 2030 par des avions utilisant l’hydrogène ou une motorisation électrique pour les trajets sous les 1.000 km. Le Financial Times a applaudi. “Bannir les jets privés rendrait pas mal de gens heureux, mais ce serait mieux pour le climat de les maintenir en vol”, commente le quotidien financier dans un édito titré Don’t ban private jets – make them a green testing ground.
Au lieu de dire qu’il faut punir les riches, leur interdire les jets privés, nous pensons qu’ils peuvent payer des carburants ou des avions plus propres.
William Todts (Transport & Environment)
T&E a la même approche pour la décarbonation des vols commerciaux, autre sujet de polémique. “On entend beaucoup de gens, d’organisations, dire que l’on devrait tous prendre le train, mais ça ne marche pas, relève William Todts. La plupart des voyages en avion ne peuvent se faire en train, deux tiers des parcours aériens sont longs-courriers, vers l’Asie ou l’Amérique. Même au sein de l’Europe, il y a une limite au développement des trains à grande vitesse.” T&E pousse l’usage obligatoire et progressif de carburants alternatifs, les SAF (sustainable advanced fuels). A condition qu’ils ne proviennent pas de cultures générant indirectement une déforestation (huile de palme) ou concurrentes à des plantes à usage alimentaire. Une directive européenne est en cours d’adoption sur le sujet. Elle exclut l’huile de palme.
Qui est derrière T&E? Le site publie la liste des donateurs. Ce sont généralement des fondations, comme Climate Imperative Foundation, European Climate Foundation ou Schwab Charitable Fund. Parmi les plus importants, citons Rockefeller Brothers Fund, la Hewlett Foundation, la Packard Foundation, le ministère allemand de l’Environnement, la Commission européenne (sans en être le porte-parole, précise T&E).
Une certaine indépendance
“Nous ne recevons pas d’argent de l’industrie, insiste William Todts. Nous sommes totalement indépendants. Nos financements proviennent surtout de fondations philanthropiques. Nos ressources augmentent car le monde de la philanthropie s’intéresse de plus en plus aux questions environnementales.”
Les moyens ne cessent en effet d’augmenter. En 2021, T&E a obtenu quasiment 10 millions d’euros de financement, contre 1,3 million d’euros en 2010. Elle occupe environ 70 personnes, quatre fois plus qu’en 2010. Ces moyens nouveaux permettent d’augmenter l’ambition dans les études et d’ouvrir des bureaux nationaux. “Nous sommes présents en France, en Allemagne, en Italie, en Espagne, à Londres, en Pologne, poursuit le boss de T&E. Le niveau européen est important, mais beaucoup de décisions se prennent aussi nationalement. Toutefois, 10 millions d’euros, c’est à la fois beaucoup et peu, juste le prix d’une campagne de publicité dans l’industrie automobile.”
2035 plutôt que 2030
Quels sont les rapports avec les industries? “Les entreprises cherchent à faire de l’argent pour des actionnaires, je n’ai rien contre. C’est très bien. Mais si l’on veut contrer le changement climatique, il faut créer les mêmes règles pour tout le monde pour aller vers la décarbonation et donner de la sécurité à tous. Certains parlaient d’arrêter les moteurs thermiques en 2025 ou 2030, nous disons que la date de 2035 donne le temps à tout le monde de s’adapter.” William Todts est persuadé que l’objectif 2035 crée les conditions pour que l’industrie puisse produire un grand volume de voitures électriques à des tarifs acceptables. “Les autos à batteries seront plus accessibles si elles sont produites par millions, par dizaines de millions.”
Le dossier des camions propres
Il est vrai que plusieurs constructeurs ont voté en faveur de la fin du véhicule à carburant en 2035 en Europe: le groupe VW, Volvo, Ford. “Nous avons souvent été d’accord avec VW sur une série de sujets ; sur d’autres, ce n’était pas le cas, continue le responsable de T&E. Pour l’aviation, nous avons contribué à convaincre la Commission européenne de mettre en place des objectifs pour changer progressivement de carburant. Nous travaillons avec l’industrie aérienne sur ce sujet, mais quand elle demande de limiter les obligations aux vols intra- européens, nous ne sommes pas d’accord, cela ne représente qu’un tiers des vols. “La dernière sortie de T&E demandant la fin des camions à carburant pour 2035 et poussant la traction électrique n’a pas été accueillie par une levée de boucliers. “Les choses évoluent très vite, explique Michaël Reul, secrétaire secrétaire général de l’association de transporteurs UPTR. Dans l’état actuel de la technologie, c’est très difficile d’imaginer rouler en électrique sur le temps de conduite maximum de 4h30. Les batteries sont encore fort lourdes. Ce qui fait consensus actuellement, pour les longs trajets, c’est l’hydrogène. Enfin, si vous m’appelez dans cinq ans, les choses seront peut-être différentes.”
En 2021, T&E a obtenu quasiment 10 millions d’euros de financement.
L’Association européenne des constructeurs automobiles (ACEA) se montre aussi très mesurée. “Les Etats membres devront s’engager à mettre en place un cadre pour accélérer les investissements pour les camions partout dans l’UE”, nous indique Cara McLaughlin, porte-parole de l’association. Le point clé est le coût d’utilisation des camions électriques, qui reste très élevé. “La parité des coûts n’arrivera pas toute seule, poursuit Cara McLaughlin. Nous avons besoin d’améliorations technologiques, d’innovations. Et aussi d’interventions politiques (notamment via le coût du carbone, l’Eurovignette, etc.) pour systématiquement désinciter l’utilisation de carburants fossiles et inciter les alternatives climatiquement neutres.”
S’affranchir du pétrole
William Todts était parti pour une carrière de fonctionnaire ou de politique. Après des études d’histoire à la KU Leuven et un master en études européennes à l’ULB, il s’est retrouvé mêlé à l’organisation de la présidence belge de l’UE en 2010. “J’ai travaillé pour la représentation permanente de la Belgique. On m’a dit que je pouvais m’occuper des questions d’environnement. Je me suis retrouvé avec le dossier du secteur automobile et me suis rendu compte que c’était hautement politique. Il porte sur le futur de l’industrie, de l’économie, de l’énergie. Nous cherchions à casser le lien entre le pétrole et la mobilité.” Il est entré chez T&E en 2011 comme policy officer avant d’en prendre la direction en 2017.
Il estime que se passer du pétrole n’est pas seulement une question de climat. “C’est aussi une affaire de sécurité énergétique. Quand l’Arabie saoudite décide de réduire la production de 2 millions de barils par jour, le prix du pétrole augmente, nous ne pouvons rien faire. La chose à faire est d’arrêter avec le pétrole. L’électricité, on peut la produire en Europe.”
800 km d’autonomie
William Todts estime que la situation est la même que pour la voiture électrique il y a quelques années, quand nul ne pensait possible de relier Paris avec un véhicule à batteries. “Les gens répètent tout le temps la même chose et pensent que c’est vrai. Il y a 5 ou 10 ans, on disait que les camions resteraient au diesel car ils sont trop lourds pour être décarbonés, qu’il serait impossible d’aller au-delà des 300 km d’autonomie. Puis, Mercedes annonce un camion avec 500 km d’autonomie ; Tesla, 800 km. De quoi ouvrir 80% du marché des longs trajets en une seule charge. Le fait que les camions roulent 100.000 ou 150.000 km par an ne rend pas le modèle du camion électrique plus difficile, il le rend plus facile. Plus vous roulez en électrique, plus ce sera économique. Le diesel, c’est 30 à 35% des coûts, l’électricité revient moins cher.” Il pense que l’électricité sera plus attractive que l’hydrogène vert, encore inexistant, dont le coût de production pourrait s’avérer très élevé. Il reste à convaincre le secteur et la Commission européenne.
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