Mobilité: quels sont les enjeux derrière l’approche servicielle?
Le fédéral et les Régions se sont entendus pour développer le concept de mobilité servicielle, une approche où l’utilisateur accède à tous les moyens de transports publics et partagés avec une seule application, afin de diminuer l’utilisation de la voiture. Vaste chantier…
Il ne suffit pas d’augmenter l’offre de transport comme le font notamment la SNCB et la Stib, il faut aussi en améliorer l’accès. Souvent le dédale des tarifs et des tickets ou la difficulté d’accéder aux horaires freine l’usage des transports alternatifs. La voiture, elle, représente toujours plus de 60% des déplacements dans le pays. Plusieurs start-up et les pouvoirs publics misent donc sur des outils numériques pour faciliter le modal shift, le transfert vers d’autres modes de transport, en proposant – généralement à travers des applications – des combinaisons entre les différents transports, y compris les véhicules partagés (vélos, autos, trottinettes).
Nous devons veiller à ce que les pouvoirs publics puissent conserver la maîtrise sur les données relatives à la mobilité afin de maintenir notre capacité à définir des stratégies et orienter nos politiques.
Georges Gilkinet, ministre de la Mobilité
Une “vision interfédérale”
Un accord vient d’être conclu entre le fédéral et les Régions pour mettre en place un cadre de développement de cette mobilité servicielle, appelée MaaS (mobility as a service, en anglais). Il vise à développer une collaboration entre les différents niveaux de pouvoir. Chaque Région a en effet son propre opérateur de mobilité publique (De Lijn pour la Flandre, le Tec en Wallonie et la Stib dans la capitale) et les autres intervenants se multiplient (voitures, trottinetteset vélos partagés).
En tant que ministre fédéral de la Mobilité, c’est donc Georges Gilkinet (Ecolo) qui a été chargé de mettre en oeuvre ce chantier bien délicat. Après pas mal de réunions, un premier accord a défini une “vision interfédérale du MaaS” qui prévoit la mise au point d’un code de conduite pour la mobilité servicielle. Il n’est pas question de créer un MaaS public global monopolistique mais de favoriser le développement de propositions publiques et privées. “Je veux répondre efficacement et durablement aux nouveaux besoins de mobilité des utilisateurs, avance Georges Gilkinet. Encourager et simplifier l’utilisation de modes de transport variés et ainsi soutenir une mobilité plus fluide et moins émettrice de CO2.”
La “vision interfédérale”
Voici les points sur lesquels le fédéral et les Régions se sont accordés pour développer les service MaaS, ou mobilité servicielle. Ils sont les éléments d’un code de conduite à préciser dans les mois à venir:
- Disponibilité des produits. Les acteurs de MaaS pourront accéder à un large éventail des produits vendus par les opérateurs de réseaux publics.
- Défraiement. Pour encourager le développement d’initiatives vers le grand public, les opérateurs de transports en commun pourraient défrayer les acteurs de mobilité servicielle afin qu’ils puissent couvrir leurs coûts.
- Obligations en matière de partage de données. Un reporting standardisé sera mis en place pour que les opérateurs de mobilité et les acteurs de MaaS puissent envoyer aux autorités les données sur l’évolution du marché et les comportements des usagers.
- Autonomie tarifaire. Les acteurs MaaS pourront développer leur propre formule tarifaire mais en supporteront les risques financiers. Ils pourront, par exemple, proposer des offres conjointes (cinéma + métro, par exemple).
- Pilotage. Le suivi des règles des services Maas (mobilité servicielle) sera assuré par un comité interfédéral, le STI.
Le modèle Whim, à Helsinki
Plusieurs services de type MaaS ont déjà été lancés en Belgique, comme Olympus Mobility (Taxistop) ou Skipr (D’Ieteren) en direction des entreprises. Avec la Stib, la Région bruxelloise s’apprête aussi à lancer MoveBrussels, un service intégré (un MaaS) pour le grand public qui a été longuement testé. Pour beaucoup, la référence est Whim, à Helsinki, un service qui intègre un abonnement d’une soixantaine d’euros par mois donnant accès à tous les transports en commun de la ville, ainsi que des minutes gratuites sur des trottinettes et des vélos partagés, des tarifs réduits pour le taxi, des locations de voitures via une application, etc.
Pourquoi les pouvoirs publics souhaitent-ils intervenir? “L’objectif de la vision est aussi de créer un climat de confiance entre les opérateurs publics, les opérateurs privés et les autorités afin qu’ils collaborent mieux et accompagnent les Belges vers une mobilité plus durable, répond le ministre. Je salue les initiatives actuelles tant privées que publiques. Elles permettent petit à petit de faire connaître le concept et d’accélérer son développement et son adoption. Mais nous devons aller plus vite et plus loin, rejoindre le rang des pays les plus ambitieux et avancés dans ce domaine. En définissant avec les acteurs de la mobilité des règles du jeu communes, nous allons donner un coup d’accélérateur au développement de cette mobilité servicielle.”
Les degrés de la mobilité servicielle
- Intégration de l’information. Planificateurs d’itinéraires multimodaux comme Google Maps, Apple Plans, Citymapper…
- Intégration du payement. Un seul service permet de réserver ou payer un voyage ou un service de mobilité (train, bus, voiture partagée, etc.). Exemples: Olympus Mobility, Skipr.
- Intégration contractuelle (un “Netflix des transports”). Les services de mobilité sont ici intégrés, avec un tarif unique (un abonnement mensuel, par exemple), comme le fait Whim à Helsinki pour une soixantaine d’euros par mois ou le KlimaTicket en Autriche (1.095 euros) qui donne accès à tous les transports en commun pendant un an. Ou encore, d’une certaine manière, l’approche du Grand-Duché où tous les transports en commun sont gratuits.
Le défraiement des opérateurs
Parmi les points contenus dans l’accord, il y a la perspective d’attribuer un défraiement aux acteurs privés de la mobilité servicielle. Si la Stib, De Lijn ou la SNCB acceptent de vendre des titres de transports à travers des plateformes privées de mobilité servicielle, ils ne participent pas aux coûts de distribution de ces acteurs. “Cela rend impossible le développement d’un service en direction du grand public car nous devons couvrir nos coûts, analyse Koen Van De Putte, fondateur et CEO d’Olympus Mobility et ancien de la SNCB. Les particuliers accepteraient difficilement de payer des frais supplémentaires pour acheter un ticket sur notre application. Donc, nous nous sommes tournés vers le marché du B to B, pour lequel le modèle est différent.”
Les entreprises acceptent en effet de payer un abonnement mensuel pour un service qui centralise la facturation de tous les moyens de transport de leur personnel (train, tram, bus, vélos partagés, Cambio, etc.), ce qui a permis de rentabiliser Olympus Mobility. Olympus a aussi pu toucher indirectement le grand public à travers un accord avec la KBC qui propose la vente de tickets de train et de bus (SNCB, De Lijn) sur son appli bancaire. La banque paye ainsi le coût des transactions.
Ouvrir le marché de la vente des tickets
Skipr (D’Ieteren) avait démarré en visant le grand public avec une belle application qui propose toutes les alternatives possibles pour un itinéraire, avec leur impact en termes de CO2. Mais il a dû revoir son modèle d’affaires et ne s’adresse plus qu’aux entreprises (notamment Carrefour, Luminus et L’Oréal) pour les aider à gérer la mobilité de leur personnel. Ce modèle est basé sur une application et l’utilisation d’une carte de payement Mastercard limitée aux usages de mobilité, “un peu comme un titre-repas”, résume Aurélie Gillieaux, CEO de Skipr. Celle-ci estime que la mobilité servicielle pourrait mieux se développer en entreprise si le cadre légal était plus clair pour l’ensemble des salariés, comme il l’est pour les personnes éligibles à une voiture de société, “qui ne touche guère que 500.000 personnes”. “Nous voulons toucher les 5 millions de personnes actives dans le pays“, ajoute la CEO. Mais ici, cela dépasse la question du cadre de développement des services MaaS…
Un autre sujet délicat est l’accès aux titres de transport. Les opérateurs de transports en commun ne permettent pas la revente de tous les tickets. Ainsi, la SNCB n’autorise pas actuellement la revente d’abonnements par des services MaaS externes mais bien celle des tickets. “Cela devrait être élargi, commente Koen Van De Putte, d’Olympus Mobility. Nous ne pouvons, par exemple, pas vendre des tickets pour les vélos dans les trains ni des abonnements. C’est comme ça avec tous les transporteurs publics. C’est dommage car on pourrait innover davantage dans les offres pour attirer plus de monde dans les transports en commun.” Les opérateurs publics sont parfois rétifs à laisser à d’autres la commercialisation de leurs services. Ils travaillent ensemble, comme la Stib et les autres opérateurs (SNCB, De Lijn, Tec) pour proposer des abonnements ou des tickets Brupass.
Sur ce point, le premier accord interfédéral du MaaS parle d’ouvrir l’accès à davantage de titres de transport aux opérateurs de mobilité servicielle, sans toutefois parler d’un accès total. “Il est indispensable que les fournisseurs de solutions MaaS aient accès à une gamme de leurs produits correspondant aux besoins des utilisateurs ainsi qu’à l’information essentielle aux voyageurs (horaires, retards, travaux, plans des gares et stations)”, indique la note de l’accord. Le ministre Georges Gilkinet confirme: “La vision précise qu’une gamme de titres de transport correspondant aux besoins des utilisateurs du MaaS doit être disponible”.
L’épouvantail des Gafa
La réticence des opérateurs du réseau public tient aussi à la crainte de perdre le contrôle au profit d’acteurs du numérique, en particulier les Gafa, fort actifs – avec des moyens gigantesques – dans le premier stade de la mobilité servicielle: celui de la planification des itinéraires. Google Maps ou Apple Plans en sont des exemples. Ces applis fournissent les informations sur les moyens à utiliser pour aller d’un point à un autre en transport en commun. Il ne manque plus que la possibilité d’acheter des tickets pour en faire un MaaS, ce qui ne semble pas à l’ordre du jour. “Je n’ai pas envie que Google ou Amazon nous dicte quelle ligne ouvrir ou fermer”, nous avait dit un jour le patron d’un réseau public de transport.
“Ne soyons pas dupes, Google Maps et les autres applications du même type sont actuellement utilisées par 95% des gens pour déterminer leurs itinéraires, reconnaît le ministre. Nous devons veiller à ce que les pouvoirs publics puissent conserver la maîtrise sur les données relatives à la mobilité afin de maintenir notre capacité à définir des stratégies et orienter nos politiques, quels que soient les acteurs.”
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