Sale temps pour le football belge
Disparition progressive de la pub pour les paris sportifs, chute des droits de retransmission télé, billetterie en berne… Les clubs de football belges font face à de nouveaux défis financiers. Une situation problématique où l’espoir repose désormais sur le marché des transferts et sur d’éventuels nouveaux sponsors.
Une jolie pirouette. Mais une pirouette qui va certainement se transformer en une bourrasque judiciaire. Le week-end dernier, juste après la trêve hivernale, la majorité des équipes du championnat belge de football sont revenues dans les stades avec de nouveaux sponsors sur leurs maillots. Au Sporting de Charleroi, la marque de paris sportifs Unibet a cédé sa place à un énigmatique U-Experts. À l’Antwerp, les joueurs ont effacé le nom betFIRST sur leur torse et exhibent désormais un flambant neuf ANTWERP FIRST, tandis que le logo Golden Palace au Cercle de Bruges s’est “embelli” du mot anglais News sur la vareuse des footballeurs.
La raison de ces changements esthétiques ? Depuis ce 1er janvier, la loi belge a changé en matière de parrainage sportif et les équipes de Pro League ne peuvent plus afficher le nom de certaines sociétés. Les jeux de casino et les paris sportifs sont dans la ligne de mire du législateur et leurs opérateurs sont désormais soumis à de nouvelles règles beaucoup plus contraignantes. Concrètement, les clubs de football professionnels ne peuvent plus afficher le logo des groupes privés qui promeuvent les jeux d’argent sur les panneaux publicitaires des stades, ni sur la face avant du maillot des joueurs. Seule une exception de quelque 75 cm² leur est accordée à l’arrière des vareuses ou sur les manches des footballeurs, jusqu’à la fin de l’année 2027.
Pour les clubs belges dont les finances sont loin d’être au beau fixe, c’est un sacré coup de canif dans la manne des revenus publicitaires. L’année dernière, neuf équipes sur les 16 de première division étaient précisément liées à ce type de sponsor. Mais elles n’entendent pas baisser les bras et viennent de le prouver avec ce joli pied de nez. Créatifs, les clubs de Pro League ont donc imaginé cette pirouette graphique en concertation avec les sociétés de casino et autres paris sportifs : faire la pub détournée de ces opérateurs sans vraiment les nommer, en mettant par exemple en exergue “un nouveau média sportif” au Standard (Circus Daily à la place de Circus) ou une application mobile au FC Bruges et à Charleroi qui délivre, elle aussi, des informations ancrées dans le monde du sport (U-Experts pour remplacer Unibet).
Bref, pas de jeu d’argent à proprement parler sur le torse des joueurs, même si les internautes auront rapidement fait le lien entre ces deux univers qui s’interpénètrent joyeusement.
Coup de poker
C’est donc un probable bras de fer juridique qui s’annonce, dans les prochaines semaines, entre ces clubs de football et la Commission des jeux de hasard censée faire respecter la loi, même si les principaux concernés n’ont pas l’air de s’en faire. “Nous sommes tout à fait sereins, répond Pierre Locht, CEO du Standard. Les clubs et les sociétés de paris ont analysé en détail la nouvelle loi et ils ont trouvé des solutions pour être justement en conformité avec cette loi. Pour moi, il n’y a donc aucun problème.”
“Cela fait des années que l’on travaille sur un vrai projet média, enchaîne Emmanuel Mewissen, patron du groupe belge Ardent qui possède la marque Circus dédiée aux jeux d’argent. Circus Daily n’est pas juste une pirouette, mais un média qui crée du contenu avec une vraie équipe journalistique. C’est un site d’informations sportives qui ne renvoie, ni de près ni de loin, vers les jeux de hasard. Je ne m’attends donc pas à une tempête judiciaire.”
Il n’empêche. Sur le nouveau maillot du Standard, la typographie du mot Circus n’a pas bougé d’un iota dans sa nouvelle association avec le mot Daily. “Cela pourrait être perçu comme une provocation, mais ce n’est absolument pas le cas !”, renchérit Emmanuel Mewissen, qui est aussi vice-président de la Belgian Association of Gaming Operators (l’association belge des opérateurs privés de jeux de hasard). “On nous reproche aujourd’hui de vouloir contourner la loi, mais nous n’avons jamais été concertés pour son élaboration. Bien sûr, le politique a pris des mesures qui ont du sens en voulant protéger les jeunes et la fragilité de certains joueurs, mais j’ai l’impression qu’il y a aujourd’hui deux poids deux mesures : la Loterie nationale n’est pas concernée par cette loi et rien n’a été fait non plus pour lutter contre la publicité des opérateurs étrangers ou illégaux sur les réseaux sociaux.”
Dans le championnat de Belgique, l’Union Saint-Gilloise peut en effet continuer à arborer le logo du Lotto en toute tranquillité lorsqu’elle rencontre les autres équipes touchées par la nouvelle loi sur les jeux d’argent. Bizarre, vous avez dit bizarre ?
Covid et fisc
Si la polémique risque d’enfler dans les prochaines semaines, le défi financier n’en reste pas moins primordial pour les clubs de football qui vont toucher moins d’argent avec ces sponsors “revisités” et forcément moins généreux, étant donné le préjudice subi en termes de visibilité.
“L’impact de l’interdiction de la publicité pour les sociétés de paris sportifs représente une perte d’au moins 20 millions d’euros par saison, confie Lorin Parys, CEO de la Pro League. Cela constitue une ponction financière importante pour nos clubs, déjà durement touchés par les pertes engendrées durant la crise du covid et qui n’ont pas reçu d’aide de l’État, contrairement aux clubs étrangers. Il y a eu aussi les conséquences persistantes de la crise énergétique et un autre élément à prendre en considération : l’année dernière, nos clubs ont enregistré ensemble une perte de 193 millions d’euros, en partie due à une augmentation de 100 millions d’euros de charges fiscales sur à peu près deux ans. Et puis, nous constatons également, en Europe, une tendance où la valeur des droits médias est moins élevée qu’au début des cycles précédents.”
“L’impact de l’interdiction de la publicité pour les sociétés de paris sportifs représente une perte d’au moins 20 millions d’euros par saison.” – Lorin Parys, CEO de la Pro League
Droits télé
À la “tuile publicitaire” visant les sociétés de paris sportifs s’est, en effet, ajoutée cette autre mauvaise nouvelle tombée il y a un mois à peine : le foot belge ne vaut plus 103 millions par an en termes de droits de retransmission. Pendant cinq ans, la Pro League a touché ce montant, mais pour la renégociation du contrat portant sur les cinq prochaines saisons, le groupe britannique DAZN – actuel détenteur des droits – ne versera plus que 84 millions d’euros pour la diffusion des matchs en Belgique, auxquels s’ajouteront quelques petits millions pour les droits médias internationaux. Au final, la Pro League peut espérer toucher entre 90 et 95 millions par an, au lieu des 103 millions précédemment, soit une baisse de 7 à 10% de ses revenus médias.
Le football belge aurait-il perdu de son intérêt ? “En Belgique, on a multiplié le nombre de matchs et donc diminué leur enjeu, répond le consultant Pierre Maes, auteur du livre Le business des droits TV du foot. Ce qui fait baisser la valeur, c’est qu’il n’y a plus de concurrence entre les opérateurs télécoms. Auparavant, Proximus, Telenet et VOO s’affrontaient pour les droits télé, avant que la société Eleven, reprise plus tard par DAZN, ne fasse monter les enchères. Ce qui a fondamentalement changé cette année, c’est que les opérateurs télécoms ont fait une offre très basse et que DAZN a pu remporter la mise en dépensant moins d’argent. Bref, ce qui conditionne le prix à 95% dans les droits télé, c’est la concurrence entre les différents acteurs. Si celle-ci s’érode, forcément le prix diminue.”
Le salut des transferts
Résultat des courses footballistiques : la donne est en train de changer dans les finances des clubs et la case “transferts” prend de plus en plus d’importance pour pallier l’érosion des autres revenus. Dans l’étude du cabinet Deloitte sur l’impact économique du football belge relative à la saison 2021-2022 (derniers chiffres disponibles), les droits télévisés des clubs belges représentaient encore 103 millions par an, suivi par le sponsoring (94 millions) et la billetterie (83 millions). Or, si l’on en croit la Fifa, les équipes de la Pro League ont empoché, l’été dernier, plus de 370 millions d’euros pour la vente de leurs joueurs et dépensé un peu moins de 100 millions pour les nouvelles recrues, soit une balance positive d’environ 270 millions pour ces transferts.
Vu la baisse des droits télé et les règles restrictives pour la publicité, les transferts seront-ils de plus en plus prédominants dans la machine du football belge ? “Complètement, répond Mehdi Bayat, administrateur délégué du Sporting de Charleroi. Depuis que j’ai repris le club en 2012, cela a toujours été mon modèle économique. Pour équilibrer le budget, il faut à un moment donné vendre ses meilleurs joueurs. C’est le modèle que j’ai toujours appliqué à Charleroi depuis des années et qui ne plaît pas toujours à nos supporters ou que les gens ne comprennent tout simplement pas. Mais c’est comme ça qu’on a réussi à dégager des bénéfices de manière récurrente pendant plus de 10 ans. Les deux dernières années ont été plus compliquées en raison des différentes crises, mais aujourd’hui, la réalité économique est là : les clubs de football sont obligés de vendre leurs meilleurs éléments pour vivre. D’où l’importance d’avoir plus que jamais une bonne cellule de recrutement et un bon centre de formation chez soi.”
“Le business model des clubs repose sur la balance positive des transferts, confirme Pierre Locht, CEO du Standard. Cela a toujours été le cas et cela le sera encore plus à l’avenir. C’est le levier vers lequel les clubs peuvent se rabattre. Cependant, nous devons également nous adapter et être créatifs pour trouver aujourd’hui de nouveaux revenus et de nouveaux sponsors.”
“Le business model des clubs repose sur la balance positive des transferts. ” – Pierre Locht, CEO du Standard
Réenchanter le sponsoring
Trouver un nouveau sponsor en dehors de la sphère extensible des sociétés de paris sportifs, c’est l’exploit commercial qu’a réussi le Sporting d’Anderlecht pour s’adapter à la loi en matière de parrainage sportif. À l’avant du nouveau maillot des Mauves, l’opérateur de jeux d’argent Napoleon a ainsi disparu pour laisser la place à l’organisateur de voyages Sunweb (même si la société de paris est toujours présente sur les épaules des Anderlechtois en version 75 cm² !). Un espoir pour tous les autres clubs confrontés au défi de réamorcer la pompe des sponsors dits “classiques”.
“Personnellement, je suis assez optimiste car c’est l’occasion pour les clubs de se réinventer, estime Jérôme Bouchat, directeur commercial de Nielsen Sports, un bureau d’études et de conseil dans le marketing sportif. Aujourd’hui, la majorité des plus grands annonceurs en Belgique ne font pas de sponsoring. Or, des études démontrent que le sponsoring est parfois plus efficace que la publicité traditionnelle dans la mesure où elle est moins intrusive et qu’elle renvoie à du contenu spécifique et à une expérience unique qui touche les émotions. Certaines marques doivent encore comprendre que le football est une plateforme médias et aussi marketing. C’est une histoire, un scénario et un divertissement où l’erreur consisterait à se limiter au seul résultat. Bref, il y a tout un storytelling à mettre en place et dans lequel j’essaie, personnellement, d’évangéliser cette notion de sponsoring auprès des marques.”
Plus vraiment insaisissable, la balle est désormais dans le camp de ces grands annonceurs qui, précisément, n’ont pas encore goûté aux joies ni aux retombées médiatiques du football.
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