Ne plus choisir entre travail et vacances…

Airbnb lui-même a incité les propriétaires mettant leur espace en location à rendre ceux-ci plus propices au télétravail. © Getty Images

Depuis quelques années, en particulier depuis la pandémie, la frontière entre vie privée et vie professionnelle s’estompe chaque jour davantage, même sur le lieu de villégiature. Et nombreux sont ceux qui optent pour les deux à la fois. On appelle cela les “tracances”!

“Il y a du wifi? Il y a un bureau? Il y a un espace de coworking dans le coin?” Les questions semblent anodines. Elles le sont moins quand elles sont posées par votre conjoint ou conjointe, ou tout autre compagnon de voyage lorsque vous réservez votre lieu de vacances. Depuis la pandémie, le télétravail est devenu monnaie extrêmement courante. Dès lors, quitte à travailler à distance pourquoi ne pas le faire également à longue, voire très longue, distance?

On connaissait déjà le nomadisme digital pratiqué par ceux et celles qui, grâce aux outils numériques, travaillent tout en sillonnant le globe. Une tendance qui concerne surtout les freelances dont la profession n’exige pas de présence réelle dans un bureau ou au sein d’une équipe.

En parallèle, depuis quelques années, s’est développé le phénomène des “tracances” qui, lui, peut concerner autant les employés que des indépendants ou quiconque ayant la possibilité technique de travailler temporairement à distance. Né au Québec, ce néologisme est évidemment la contraction de “travail” et “vacances”. En résumé: on prolonge son séjour sur son lieu de vacances en y télétravaillant.

“Cela me permet de partir un mois complet sur la côte d’Azur avec ma famille.”

“Cela me permet de partir un mois complet sur la côte d’Azur avec ma famille en évitant les allers-retours sur Bruxelles, témoigne François, cadre dans une compagnie d’assurances. Je m’octroie deux semaines off avec la possibilité de répondre à des urgences si nécessaire. Et durant les deux autres semaines, au lieu de rentrer en Belgique comme je le faisais par le passé, je reste sur place. Pendant que la famille passe la journée à la plage, je bosse au calme à la villa, je participe aux réunions, je gère mes dossiers… Avec une bonne connexion, je peux bosser quasiment de partout! Et le midi et le soir, je rejoins tout le monde. Cette formule me permet de passer plus de temps avec ma famille dans un cadre dépaysant tout en restant hyper-actif côté boulot.”

De plus en plus prisées, les tracances soulèvent cependant nombre de questions, entre autres sur les limites entre vie privée et vie professionnelle. Sur papier, la formule paraît pourtant idéale: un certain nombre de jours définis avec l’employeur, le travailleur qui s’adonne à ses tâches durant ses heures habituelles de boulot et profite de son lieu de vacances durant son temps libre.

Réunion et puis… piscine

En pratique, c’est moins facile. Le risque est en effet élevé de ne pas parvenir à se plonger totalement dans son job du fait des sources potentielles de distraction: appel de la piscine, de l’apéro, des enfants qui ont envie de jouer, etc. Mais aussi, durant ses “vraies” périodes de congé, de ne jamais déconnecter complètement du travail, avec les conséquences que cela entraîne: sollicitations permanentes, stress, fatigue, etc.

“Le phénomène a des implications au-delà des infrastructures.”

A noter que même si le terme n’existe pas dans la loi, les tracances sont soumises aux règles du télétravail. Si un employé souhaite travailler sur son lieu de vacances, dans un autre espace que son bureau ou son lieu de télétravail officiel (qui doit être inscrit dans son contrat), il doit en avertir son employeur et le faire ajouter en annexe de son contrat, en spécifiant bien qu’il s’agit d’un changement temporaire et en précisant les dates. Si l’employeur n’est pas informé en amont, il peut en effet considérer que son employé est toujours en congé.

En outre, en cas d’accident, si celui-ci survient hors du cadre du travail, l’entreprise n’intervient pas. Pointons enfin que l’employeur est en droit de refuser la demande de télétravail sur le lieu de vacances.

Un bonus pour le tourisme

Les tracances modifient également la donne dans le secteur du tourisme, qui a dû s’adapter. Des géants du secteur comme Pierre et Vacances proposent désormais des résidences annoncées comme “compatibles avec le télétravail” et des clés 4G pour que les résidents puissent exercer leur métier partout où ils l’entendent. Et plusieurs resorts du Club Med disposent maintenant d’un “Work Hub”.

Installés au cœur des villages, ces espaces de travail aménagés avec wifi, postes de travail, etc., sont mis à disposition des vacanciers qui se voient offrir la garantie de pouvoir y travailler au calme, tandis que le reste de la famille jouit pleinement des activités du club.

Rodolphe Van Weyenbergh (Brussels Hotels Association)
Rodolphe Van Weyenbergh (Brussels Hotels Association) © pg

De nouvelles plateformes de location dédiées à cette tendances ont également vu le jour. C’est le cas de My Teletravel, lancé en mai 2020, qui organise des séjours en télétravail, ou de Remoters, sorte d’AirbNB pour télétravailleurs. De son côté, AirbnB lui-même a incité les propriétaires mettant leur espace en location sur son site à rendre ceux-ci plus propices au télétravail.

Le phénomène touche évidemment aussi le secteur hôtelier belge, mais avec des nuances. “Passer des vacances au bord de la plage ou en ville, ce n’est pas la même approche, fait remarquer Rodolphe van Weyenbergh, secrétaire général de Brussels Hotels Association. Or en Belgique, le tourisme étranger est plus orienté vers ce second cas de figure. Par exemple, les gens viennent à Bruxelles pour un court voyage en amoureux ou entre amis, ou pour un voyage d’affaires. Et c’est dans ce dernier segment qu’on constate une évolution des tendances, surtout depuis la crise du coronavirus: il y a un focus bien plus important sur le bien-être personnel et sur la nécessité d’un équilibre entre travail et plaisir.”

Dites aussi “bleisure”

“On parle plus en Belgique de bleisure (contraction de ‘business’ et ‘leisure’, Ndlr) que de tracances, embraie Olivier Meulemans, directeur marketing & ventes de l’enseigne belge Martin’s Hotels. Le phénomène était déjà amorcé depuis quelques années mais il s’est effectivement intensifié. Dans nos hôtels, la durée de séjour moyenne est courte: une à deux nuits dans des villes comme Bruxelles ou Mons, un peu plus à Bruges, Louvain-la-Neuve ou Genval. Mais les demandes spécifiques se multiplient, surtout chez les 35 à 50 ans: les gens ne veulent plus d’un environnement trop conventionnel, ils préfèrent des lieux où ils peuvent également davantage se relaxer. Avec nos gammes d’hôtels, on peut y répondre aisément: notre collection Heritage, avec ses établissements classés (maisons victoriennes, église ou chapelle…) reconvertis en hôtels, offre déjà un certain dépaysement. Et nos hôtels lifestyle proposent, eux, des espaces de coworking, un spa, une salle de sport…”

Olivier Meulemans (Martin’s Hotels)
Olivier Meulemans (Martin’s Hotels) © pg

“Ces resorts ont été aménagés directement dans cette optique de trouver l’équilibre entre travail et loisirs. Cela se traduit également dans une autre approche de la restauration, plus locale, plus bio, plus saine, et une plus large proposition d’activités à pratiquer hors ou dans les hôtels. De plus en plus de clients prolongent d’ailleurs leur séjour d’affaires, pour visiter une expo, assister à un festival ou à tout autre événement culturel.”

Rodolphe Van Weyenbergh conclut: “Pour les hôtels business, cela crée un réel potentiel. Ils développent leur offre en matière de bien-être ou revoient en ce sens l’aménagement de leurs espaces communs. L’objectif est effectivement d’inciter les voyageurs d’affaires à prolonger leur passage. Mais le phénomène a des implications au-delà des infrastructures: à l’avenir, de plus en plus d’offres de séjours combineront affaires et loisirs.”

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