Nouvel incident sur un vol Boeing: “Le plus grand constructeur d’avions des États-Unis a un énorme problème de crédibilité”
La série noire continue chez Boeing. Après la perte d’une porte en plein vol le 5 janvier dernier, un nouvel incident entache un peu plus la réputation de la société aéronautique. Un Boeing 737-800 opéré par All Nippon Airways a été obligé de faire demi-tour samedi après son décollage. Les pilotes ayant constaté une fissure dans un hublot du cockpit.
Il s’agissait d’un vol intérieur opéré par la compagnie All Nippon Airways. L’avion, un Boeing 737-800, avait décollé de l’aéroport de New Chitose à destination de l’aéroport de Toyama samedi matin. « Pendant le vol, les pilotes ont découvert une fissure dans la partie extérieure des quatre couches de fenêtres autour du cockpit », a déclaré un porte-parole de la compagnie aérienne japonaise. « La fissure n’a pas entraîné de perte de pression. » L’avion est retourné à l’aéroport de Toyama. Les 59 passagers et les six membres d’équipage sont indemnes.
Le constructeur aéronautique américain Boeing est déjà sous le feu des critiques après l’accident survenu le 5 janvier sur un avion 737 Max 9 de la compagnie Alaska Airlines, au cours duquel une porte s’est détachée en plein vol. Ce modèle d’avion est toutefois différent de celui d’All Nippon Airways (un 737-800) qui a rencontré le problème technique ce samedi.
L’autorité américaine de l’aviation (FAA) a annoncé vendredi qu’elle renforçait la surveillance de Boeing. La FAA examine notamment la production du type 737-9 Max en question. Elle passe aussi tous les fournisseurs au crible.
Deux accidents mortels
Ces problèmes techniques survenus en plein vol soulèvent de nouvelles questions concernant la sécurité des avions Boeing. L’accident sur le vol 1182 d’Alaska Airlines impliquant un 737 Max 9 évoque en effet les douloureux souvenirs de deux accidents mortels survenus en 2018 et 2019 avec un modèle similaire, le 737 Max 8. Deux avions de ce modèle se sont écrasés peu de temps après l’un l’autre, faisant 364 victimes. La cause était un logiciel dans le cockpit, le « système d’augmentation des caractéristiques de manœuvre » (MCAS).
En ce qui concerne l’accident du vol Alaska Airlines, “tout indique qu’il s’agit d’un problème de production”, a déclaré le patron de la FAA américaine au Wall Street Journal, alors qu’à l’époque, un problème de conception était évoqué. Certains problèmes techniques sont aussi attribués au sous-traitant de Boeing, Spirit Aerosystems, qui a fabriqué la porte qui s’est détachée de la carlingue. À la fin de l’année dernière, une action en justice des actionnaires a été intentée, accusant Spirit Aerosystems de dissimuler des défauts graves. Ce que l’entreprise nie.
“Un énorme problème de crédibilité”
Mais, les critiques estiment que ces problèmes trouvent aussi leur origine dans la culture défaillante chez Boeing. Le plus grand constructeur d’avions des États-Unis a un énorme “problème de crédibilité”, selon le Financial Times.
“Autrefois, Boeing était loué pour le travail de qualité de ses ingénieurs“, explique au journal flamand De Standaard Wouter Dewulf, économiste spécialisé dans l’aviation au sein de l’Université d’Anvers. “Après la fusion avec McDonnell Douglas, l’accent a été mis sur la gestion : économiser autant que possible et externaliser la production.” La relocalisation du siège social de Seattle à Chicago, coupant ainsi la direction du département d’ingénierie, était symbolique évoque le journal. “Une entreprise autrefois dirigée par des ingénieurs est maintenant dirigée par des résultats financiers”, titre de son côté le média américain The Atlantic.
Des moteurs plus économiques
Cette nouvelle culture axée sur le profit a causé des problèmes à l’entreprise lorsque le concurrent Airbus a présenté l’A320neo, un avion plus économique et plus silencieux. “Boeing était à la traîne. Parce que concevoir un nouvel avion coûtait trop cher, il a décidé de placer des moteurs plus économiques, similaires à ceux de l’A320neo, sur un avion existant, le Boeing 737″, explique Dewulf au Standaard.
Cela a eu comme effet de déplacer le centre de gravité des avions, qui levaient parfois le nez pendant le vol. Boeing a installé un logiciel – le « système d’augmentation des caractéristiques de manœuvre » (MCAS) – pour abaisser automatiquement le nez en cas de montée trop raide. Mais là où le bât blesse c’est que l’entreprise aéronautique a voulu éviter de faire passer de nombreuses heures coûteuses d’entrainement aux pilotes, déjà habitués aux 737 classiques. Les pilotes n’étaient donc pas au courant de cette intervention automatique et ne savaient pas comment réagir lorsque l’avion piquait subitement du nez.
Cette faille a été dépeinte dans le documentaire Netflix “Downfall: the case against Boeing“ en 2022. Les deux accidents mortels avec le Boeing 737 Max 8 ont été causés par un capteur défectueux qui a actionné par erreur l’alarme du logiciel MCAS. L’avion a alors plongé. Les pilotes ne pouvaient pas intervenir, car ils n’étaient pas formés pour cela.
Culture de l’étouffement
Le documentaire Netflix souligne également la culture de l’étouffement chez Boeing. Les ingénieurs qui signalent des risques de sécurité sont tenus de se taire.
Boeing a dû payer des milliards d’amendes et de dédommagements après les crashs, les avions Max sont restés cloués au sol pendant deux ans. Des passagers du vol 1280 d’Alaska Airlines ont aussi lancé une procédure judiciaire contre Boeing, annoncent plusieurs médias américains. Vendredi, le cabinet d’avocats Stritmatter a confirmé avoir déposé « un recours collectif » contre le constructeur aéronautique Boeing, « au nom de passagers du vol 1282 d’Alaska Airlines » pour les « dommages » causés par l’incident.
De nouveaux retards dans la reprise des livraisons en Chine
Boeing avait annoncé fin 2023 que tous les modèles 737 Max avaient pu reprendre du service en Chine, le dernier pays qui bloquait encore la reprise après les accidents mortels.
Nouvelle bévue: Boeing fait face à un nouveau retard dans la reprise des livraisons des avions 737 Max vers la Chine après l’accident survenu sur le vol d’Alaska Airlines rapporte le Wall Street Journal ce dimanche. China Southern Airlines se préparait à recevoir des avions Max en janvier, mais elle prévoit de réaliser des inspections supplémentaires de sécurité sur les avions, selon le rapport, citant des sources proches du dossier.
Le régulateur de l’aviation chinois a également ordonné aux compagnies aériennes du pays de procéder à des inspections de sécurité préventives sur leurs avions Boeing 737 Max, a ajouté le rapport. Les compagnies aériennes chinoises ne disposent pas du modèle MAX 9 dans leur flotte. Les avions Max 8 qu’elles exploitent ne possèdent pas le panneau impliqué dans l’incident d’Alaska Airlines.
Pékin attend davantage de clarté des enquêtes américaines sur l’accident avant de prendre d’autres mesures substantielles, rapporte le WSJ, citant une personne proche du dossier. Boeing a refusé de commenter. China Southern Airlines et le régulateur de l’aviation chinois n’ont pas immédiatement répondu aux demandes de commentaires de l’agence de presse.
La reprise des livraisons du modèle Max est importante financièrement pour Boeing. Elle lui permettrait d’être enfin payée pour des dizaines d’avions chinois en stock, commente Reuters.
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