“Lettre à l’Europe” : la stratégie du PDG de Renault pour s’armer contre les voitures électriques chinoises

Luca de Meo, le CEO de Renault, devant une future voiture électrique © pg

L’industrie automobile européenne est devant de nombreux défis. Les voitures électriques chinoises risquent, entre autres, d’inonder le marché. Luca De Meo, patron de Renault, publie une lettre aux dirigeants européens, pleine de recommandations et de bonnes idées, qui peuvent être surprenantes, pour s’attaquer à ces challenges.

Après un premier appel à faire bloc, entre constructeurs européens, face aux voitures électriques chinoises bon marché (il y a près d’un mois au salon de Genève), Luca De Meo, CEO de Renault, réitère son plaidoyer ce mardi. Il a publié une longue lettre, intitulée “Lettre à l’Europe – Plaidoyer pour une industrie automobile soutenable, inclusive et compétitive.”

L’objet de la lettre : les élections européennes et les défis qui attendent l’industrie automobile européenne. “Je crois dur comme fer au futur de l’industrie automobile européenne. Celle-ci s’est lancée à fond dans la transition énergétique. Mais cet engagement massif (250 milliards d’euros) nécessite la mise en place d’un cadre clair et stable”, écrit-il.

“Si je souhaite faire entendre ma voix, à la veille des débats qui vont nourrir la campagne électorale, ce n’est pas pour faire de la politique mais pour contribuer à choisir la bonne politique. Celle qui permettra à nos entreprises de faire face à tous les défis technologiques et géopolitiques du moment. Pour y parvenir, je crois aux efforts communs, aux partenariats entre secteur public et secteur privé. Avec Airbus, l’Europe a déjà connu le meilleur. En multipliant les coopérations, notre industrie empruntera la route du renouveau.”

Constat : le fleuron de l’industrie européenne et la menace de l’offensive chinoise

De Meo poursuit en décrivant le poids de l’industrie automobile, soit 8% du PIB et 8% de la main d’oeuvre (13 millions de personnes) du Vieux Continent. Elle dégage un important excédent commercial (plus de 100 milliards d’euros) et investit massivement dans la recherche et le développement, et l’innovation, plus que d’autres secteurs. L’industrie dégage près de 400 milliards d’euros de recettes fiscales pour les Etats.

“Mais les symptômes d’un affaiblissement, préoccupant si on ne fait rien pour l’enrayer, se multiplient”, continue-t-il. Et dans ces problèmes, il y a les voitures électriques chinoises. “Sur le segment des véhicules
100% électriques, la Chine effectue une percée rapide. Confortée par son énorme marché intérieur (8,5 millions de voitures électriques vendues en 2023, selon l’association chinoise des voitures particulières, soit 60% des ventes mondiales totales), elle a déjà pris une part de marché proche de 4% en Europe
en 2022.”

“En 2023, environ 35% des voitures électriques exportées dans le monde étaient chinoises. Conséquence logique : les importations européennes en provenance de Chine ont été multipliées par 5 depuis 2017. Ce qui a contribué à ce que le déficit des échanges entre l’Europe et la Chine augmente brutalement : il a doubléentre 2020 et 2022, s’approchant de 400 milliards d’euros”, décrit-il encore.

Mais les Chinois ne sont pas le seul défi qu’il retient. Il note aussi la décarbonation (pour 2035, les voitures ne doivent plus émettre de CO2, en net du moins), la révolution digitale (les voitures deviennent de plus en plus des bijoux technologiques), les réglementations, la volatilité technologique (une technologie à la pointe aujourd’hui sera obsolète dans quelques années), la volatilité des prix (lithium et autres matières premières critiques, par exemple) et encore la formation des employés. Des défis qui sont aussi l’opportunité du développement d’une chaine de valeur et de la création d’un business (notamment la tech), mais qui restent des défis.

Les recommandations à l’Europe

L’Europe a un problème de compétitivité. Les salaires en Chine sont plus bas et Pékin octroie davantage de subsides. Avec son IRA, Washington biberonne aussi les entreprises qui développent des technologies vertes (dont les véhicules). Les coûts d’énergie sont également moins élevés dans ces deux pays. En résumé : “Une compétition déséquilibrée : les Américains stimulent, les Chinois planifient, les Européens réglementent”, compare De Meo, en adaptant un dicton célèbre.

Il profite de son constat des forces et défis pour dresser une liste de recommandations à l’UE, pour “qu’elle mette en place les conditions nécessaires à l’émergence d’un véritable écosystème de la mobilité décarbonée.”

  • Définir une stratégie industrielle européenne, avec un cadre “stable dans la forme mais évolutif dans le contenu”. L’automobile serait un des piliers de la stratégie.
  • Les parties prenantes (scientifiques, associations, ONG, syndicats, industriels) doivent être autour de la table pour l’élaborer.
  • Mettre fin au système d’empilement des normes, et créer un organisme qui vérifie les impacts et interactions que de nouvelles normes peuvent avoir sur d’autres normes déjà en place.
  • Avoir une approche horizontale, qui ne regarde pas que les voitures électriques mais aussi l’approvisionnement en énergie. “L’électrification sans électricité décarbonée ne peut pas marcher”, ajoute-t-il.
  • “Rebâtir des capacités d’approvisionnements en matières premières et en composants électroniques”, poursuit-il. Il propose de fédéraliser les stocks de matières premières critiques et de se mettre ensemble pour passer des commandes (via une plateforme commune d’achats), comme cela avait été fait avec les vaccins pour le Covid et pour le gaz lors de la crise énergétique. Il faudrait aussi développer une diplomatie européenne pour la chaine de valeur et créer une organisation qui négocie directement avec les pays producteurs. Pareil pour le recyclage des batteries : il faudrait mutualiser la gestion des déchets et créer des champions du secteur – ce qui augmenterait la disponibilité des matières.
  • Il propose aussi de partir sur un modèle hybride, entre la Chine et les Etats-Unis. Celui-ci se voudrait défensif dans un premier temps, afin de mieux pouvoir repartir à la conquête des marchés mondiaux par après.
  • “L’industrie automobile ne remet pas en cause le « Green deal » et la nécessité de décarboner les mobilités. Elle le prouve en investissant 252 milliards d’euros dans cette transition. Mais elle demande que l’on repense les conditions dans lesquelles cette stratégie globale est mise en œuvre”, ajoute-t-il encore.

Petites voitures électriques

Voilà pour les grandes lignes. Mais il propose aussi quelques recommandations concrètes. Certaines peuvent étonner, quand on pense qu’elles sortent de la bouche d’un patron de l’automobile.

  • Il faudrait créer une alliance des 200 plus grandes villes européennes, et y instaurer un cadre de mobilité similaire. Il ne faudrait y laisser entrer gratuitement uniquement les petites voitures électriques ou à l’hydrogène, ainsi que les vans. De quoi relancer le débat sur le péage bruxellois, par exemple. Une telle mesure aurait un effet vertueux pour le marché, qui devient plus grand.
  • “C’est un fait : rouler tous les jours dans un véhicule électrique qui pèse 2,5 tonnes est un contre-sens écologique”, continue-t-il. Il plaide pour le développement massif de citadines bon-marché, pratiques, comme au Japon. Il explique que les normes sécuritaires européennes ont rendu les petites voitures moins rentables (et elles sont donc devenues plus chères ces dernières années). Mais une citadine, qui roulerait moins vite et uniquement en ville aurait besoin de moins de normes : c’est ce qu’expliquait Lowie Vermeersch, designer automobile, dans nos pages cette semaine.
  • Il sait aussi qu’il faut plus que redoubler d’efforts si on veut installer assez de bornes et de stations pour couvrir la demande d’électricité prévue en 2030. Mais en planifiant que les batteries des véhicules font partie du réseau, comme solution d’appoint, des économies importantes pourraient être faites.
  • Créer des zones économiques vertes, pro-business, où les taxes et charges sont plus basses, afin de se concentrer sur l’innovation.

La balle est donc dans le camp des 27 pays de l’UE et des ses instances dirigeantes.

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