Johan Vandermeulen, directeur régional Europe de BAT: “Les fumeurs devraient se tourner vers des produits non combustibles”
Depuis quelque temps, l’industrie du tabac propose des produits alternatifs non combustibles comme des cigarettes électroniques ou des sachets de nicotine. Le groupe British American Tobacco (BAT) souhaite atteindre les 50 millions d’utilisateurs de ces produits non combustibles d’ici 2030. Ce pivotement est-il un enfumage? Réponse avec le directeur régional Europe de BAT.
De passage à Bruxelles, le Belge Johan Vandermeulen, directeur régional Europe de British American Tobacco (BAT), nous a reçu dans ses bureaux, situés dans un grand bâtiment proche de la capitale. Objectif? Démontrer que l’industrie du tabac est capable de se réinventer grâce à des produits alternatifs non combustibles. Il faut dire que l’image que renvoient ces groupes n’est pas très reluisante puisque les cigarettes sont à l’origine de diverses maladies. Sur plus de 7 milliards d’humains, un milliard d’entre eux fument environ 6.000 milliards de cigarettes par an, et 6 millions meurent des suites de cette exposition au tabac (plus de 5 millions de fumeurs et plus de 600.000 non-fumeurs victimes de tabagisme passif), selon les données de l’OMS. Une dangerosité qui n’est pas contestée par le groupe. “La seule façon d’éviter ces risques est de ne pas commencer à fumer”, assure Johan Vandermeulen, qui est entré chez BAT comme stagiaire, a voyagé un peu partout dans le monde pour la société et siège désormais au conseil d’administration.
Aujourd’hui, l’entreprise s’est diversifiée. Elle propose non seulement des produits alternatifs non combustibles mais investit également dans les biotechs.
TRENDS-TENDANCES. Comment se portent vos entreprises?
JOHAN VANDERMEULEN. Bien. Notre chiffre d’affaires est en hausse de 3,7% au premier semestre, porté par la croissance de nos nouvelles catégories de produits non combustibles. Aujourd’hui, la stratégie de notre groupe est de générer une part de plus en plus importante de nos revenus à partir de produits autres que les cigarettes, réduisant ainsi les conséquences de notre activité sur la santé. L’Europe joue un rôle important car les consommateurs sont ouverts à ce type d’initiatives, c’est pourquoi nous investissons afin de transformer nos activités.
Les cigarettes ne suffisent donc plus à elles seules à générer du revenu… Comment l’industrie du tabac se transforme-t-elle aujourd’hui?
L’idée est d’offrir aux consommateurs une alternative moins risquée. Il faut savoir que les problèmes avec les cigarettes conventionnelles sont causés par les substances toxiques présentes dans la fumée produite par la combustion du tabac. De nombreuses organisations, dont la FDA (Food and Drug Administration) aux Etats-Unis, ont expliqué que le problème n’était pas la nicotine, même si c’est un produit addictif. Il faut donc permettre aux gens de profiter de produits à base de tabac et de nicotine sans combustion. C’est pourquoi nous nous consacrons au développement et à la commercialisation de produits alternatifs.
Les clients se transforment…
Nous continuons d’être clairs sur le fait que les cigarettes combustibles présentent de graves risques pour la santé, et la seule façon d’éviter ces risques est de ne pas commencer, ou d’arrêter. L’objectif est d’encourager un maximum de fumeurs à passer à nos alternatives de produits non combustibles, qui présentent moins de risques que les cigarettes classiques. Le nombre de consommateurs utilisant nos marques incombustibles a franchi le cap des 20 millions au premier semestre.
Quels sont les objectifs du groupe pour ces nouveaux produits?
Nous sommes ambitieux. Nous visons une augmentation de notre chiffre d’affaires annuel à 5 milliards de livres sterling d’ici 2025 grâce à de nouvelles catégories de produits et tablons sur 50 millions de consommateurs qui utiliseront nos produits non combustibles d’ici 2030.
Pouvez-vous expliquer comment ces produits fonctionnent?
Il existe trois catégories. Les produits de vapotage, de tabac à chauffer et les produits oraux comme les sachets de nicotine sans tabac.
Les produits de vapotage, comme les vapoteuses, sont des appareils alimentés par batterie qui chauffent des formulations liquides pour créer une vapeur qui est inhalée. Les produits ne contiennent pas de tabac et aucune combustion n’a lieu.
Les sachets de nicotine sont semblables au snus (tabac qu’on consomme en le bloquant le long de la gencive, Ndlr) mais le niveau de toxicité est inférieur. Ils ne contiennent pas de tabac et aucune combustion n’est produite. Ces produits bucco-dentaires représentent une belle opportunité car ils permettent d’offrir une alternative sans dispositif électronique.
Les produits de tabac à chauffer contiennent de la nicotine mais le produit est chauffé et non brûlé, ils génèrent donc 90 à 95% de substances toxiques en moins par rapport à la fumée de cigarette. Ce type de produit n’est pas disponible en Belgique.
Est-ce que cela permet réellement de réduire la consommation de cigarettes?
Au Japon, là où ces produits sont disponibles, le marché de la cigarette a diminué de 40%. Les fumeurs se sont donc tournés vers ces alternatives pour réduire leur consommation. En Suède, où les sachets de nicotine sont consommés, le taux de tabagisme est assez faible. Les données à long terme pour ces sachets sont prometteuses car elles démontrent qu’ils réduisent le risque de maladie liée au tabac.
Quelle est la différence avec le “snus”, qui est illégal en Belgique?
Le snus est illégal en Europe sauf en Suède, et contient du tabac à la différence de nos sachets de nicotine.
Que représentent ces produits pour BAT?
Les non-combustibles représentent désormais 14,6% du chiffre d’affaires. La croissance des revenus a été supérieure à celle des volumes dans les trois nouvelles catégories. Celles-ci permettent une transformation plus rapide, avec une croissance des revenus de 45% au premier semestre 2022, en plus d’une croissance de 51% au cours de l’exercice 2021.
La législation belge interdit la publicité des produits à base de tabac, y compris les produits de vapotage. Considérez-vous que c’est un problème?
Nous ne sommes pas contre une réglementation mais favorables à un dialogue afin d’informer les consommateurs sur le potentiel de nos produits à risque réduit. Comment peut-on les informer sur les alternatives si cela est interdit?
Le Royaume-Uni est un bon exemple de coordination entre les régulateurs et les organismes de santé publique. Grâce à des rapports de Public Health England et du Royal College of Physicians sur le potentiel de risque réduit des produits de vapotage, le gouvernement britannique a mis en place un régime réglementaire équilibré. Il décourage l’adoption par les jeunes tout en encourageant les fumeurs adultes à migrer vers des produits potentiellement moins nocifs.
La Suède avait envisagé d’interdire les arômes des cigarettes électroniques…
Oui, c’est vrai, mais elle a finalement fait marche arrière. Les saveurs ne sont pas nocives comme le tabagisme. L’interdiction de ces arômes pourrait inciter les personnes à fumer des cigarettes traditionnelles. C’est un débat constructif qui doit avoir lieu entre l’industrie et les régulateurs. La Suède est la preuve que ces alternatives fonctionnent et qu’elles peuvent aider à réduire la consommation de tabac.
Est-ce que certaines réglementations sont exagérées, selon vous?
Certaines réglementations peuvent avoir des conséquences fâcheuses et inattendues. Par exemple, des hausses soudaines et importantes des taux d’accise peuvent entraîner des disparités de prix entre pays voisins, augmentant la contrebande transfrontalière.
Considérez-vous que les accises sont trop élevées en Belgique?
Nous sommes un très bon collecteur de taxes pour le gouvernement belge. C’est important pour nous que la taxation reflète la continuité du risque et diffère donc entre cigarette et vapotage. Le sachet de nicotine et les cigarettes électroniques ne sont aujourd’hui pas soumis à des accises.
En plus d’investir dans ces nouvelles catégories de produits, vous possédez également des biotechs…
Oui, nous concentrons également nos investissements sur le bien-être des consommateurs. Nous n’avons pas encore concrétisé de grandes étapes mais nous avons déjà investi dans des start-up qui proposent des nouvelles idées et innovations.
La KBio Holdings Limited (KBio) a été lancée pour accélérer la recherche, le développement et la production de nouveaux traitements. KBio peut tirer parti des vastes capacités technologiques de notre organisation américaine KBP. La nouvelle société se concentrera sur la fourniture de traitements pour les maladies rares et infectieuses en réalisant et en développant le potentiel de la plateforme technologique à base de plantes, ainsi que de ses vaccins cliniques et précliniques existants et de son pipeline d’anticorps.
Vous avez également travaillé à l’élaboration de vaccins avec la biotech KBP. Où en sont les essais?
Les vaccins en cours de développement utilisent la technologie exclusive de BAT à base de plants de tabac à croissance rapide. La société utilise des technologies pour coder temporairement les plants de tabac avec les instructions génétiques afin de produire des protéines cibles spécifiques. KBP a déjà mis au point un traitement contre Ebola. On travaille aussi à un vaccin contre la grippe. Celui contre le coronavirus a été arrêté car les mutations étaient trop rapides.
L’inflation et la hausse des prix de l’énergie ont-elles des conséquences sur votre entreprise?
Oui, même si pour l’instant nous ne le ressentons pas forcément.
Est-ce que vous faites face à une pénurie de talents comme d’autres entreprises?
Non, notre transformation nous permet d’être attrayants pour recruter. Nous avons beaucoup de secteurs qui répondent à des besoins différents. Il y a la technologie, le management, la transformation d’énergie… Bien sûr, il y a une guerre des talents, mais nous sommes capables de les attirer dans notre entreprise grâce à notre nouvelle stratégie. La recherche et le développement attirent énormément.
Est-ce qu’il existe des tendances particulières dans les produits combustibles?
Evidemment, chaque pays a ses spécificités. Certains pays n’autorisent pas la vente de paquets de plus de 20 cigarettes, d’autres autorisent des big packs, cela dépend donc de la législation du pays que nous respectons. La régulation est également différente selon le pays. Il n’y a pas forcément de tendances spécifiques en Europe.
Et en Belgique?
Les Belges ne se comportent pas différemment du reste de l’Europe, il n’y a pas non plus de tendances particulières qui ressortent.
Profil
· Né en 1968
· 1991: diplôme d’ingénieur commercial (KU Leuven)
· 1992: MBA (KU Leuven)
· 1992: entre chez BAT en tant que stagiaire
· 2005: s’installe au Royaume-Uni, où il réside encore aujourd’hui
· 2019: nommé directeur régional Europe et Afrique du Nord
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