Formation: l’obsolescence programmée de nos compétences
La vitesse des évolutions technologiques va obliger les travailleurs à se former tout au long de leur carrière et à changer régulièrement de métier. Un défi pour le monde de la formation.
Les métiers du futur décrits par Nicolas Hazard, comment pouvons-nous nous y préparer? Quelles formations suivre aujourd’hui pour être bien prêts demain? “L’un des écueils, c’est que nous connaissons rarement les besoins avant qu’ils soient présents, répond Laura Beltrame, experte Emploi-Formation chez Agoria, la fédération de l’industrie technologique. Prenons le cas de la filière hydrogène dans laquelle se profilent de nombreuses entreprises belges: de quelles compétences auront-elles besoin demain? Les entreprises restent assez discrètes car parler de formations, à un moment donné, c’est aussi parler de stratégie industrielle.”
Plus de technologies, moins de spécialisation
L’évolution ultra-rapide des métiers est un second écueil. A quoi bon former des étudiants à des technologies qui ne resteront valides que quelques années? “Nos compétences ont une durée de consommation et elle sera de plus en plus courte”, résume Laura Beltrame. “Nous devons rendre nos étudiants bien conscients des enjeux dans lesquels ils devront exercer leur métier, renchérit Annick Castiaux, rectrice de l’UNamur et coauteure d’un rapport sur les besoins en compétences de l’industrie 4.0. Leur diplôme n’est pas un sésame mais le début d’une aventure. Ils n’auront en fait jamais fini d’apprendre. Notre devoir est de les placer dans cette dynamique d’apprentissage tout au long de la vie, ce qui n’est pas forcément leur point de vue quand ils arrivent à l’université ou dans une haute école.”
L’objectif de la formation ne sera donc pas de formater des spécialistes dans telle ou telle technologie mais des personnes capables d’apprendre rapidement à apprendre afin de pouvoir se repositionner régulièrement sur les évolutions technologiques. “La formation continue va exploser dans les prochaines années, insiste Laura Beltrame. Cela nécessitera la collaboration de l’entreprise, du travailleur et de la collectivité à travers les centres de formation. La place de l’humain sera centrale. Les travailleurs devront bien intégrer le fait que, sans mise à niveau régulière, ils ne seront pas armés pour les nouveaux investissements qui vont arriver dans les entreprises. La motivation sera un élément décisif.” Et à l’inverse, les responsables des ressources humaines doivent essayer de déceler les fonctions dans lesquelles une personne pourrait s’épanouir. La responsable d’Agoria cite l’exemple d’une entreprise qui vient de former une dizaine de travailleurs pour son helpdesk mais sait déjà que la moitié d’entre eux ne resteront pas des années dans ce service. “Il faut dès le départ réfléchir avec eux à ce qu’ils pourraient faire dans l’entreprise et trouver les formations nécessaires, dit-elle. La rétention des talents est devenu un enjeu crucial pour les entreprises.”
La formation continue va exploser dans les prochaines années.
Laura Beltram (Agoria)
L’un des défis de la formation initiale sera donc de fournir aux jeunes un socle de compétences suffisamment solide pour pouvoir y construire les étapes ultérieures. “L’enseignement doit se recentrer sur les compétences de base, expliquait récemment dans L’Echo, le CEO et cofondateur d’I-Care Fabrice Brion. On ne peut pas devenir codeur si l’on n’est pas formé aux langues ; développer un esprit critique si l’on est étranger aux concepts historiques ou mathématiques.”
La question devient alors: que considère-t-on comme des compétences de base? “Le socle doit bien entendu prévoir des compétences numériques car elles seront indispensables dans tous les secteurs, estime Annick Castiaux. Il y aura aussi un important volet sur la durabilité. Demain, quel que soit votre domaine, vous ne pourrez pas développer de nouveaux produits sans y intégrer la dimension de la durabilité. Elle sera présente dans toutes les innovations et il faut y préparer les jeunes.”
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Communication et créativité
Elle ajoute un troisième élément à ce socle: la communication. Le travailleur ne sera pas seul avec sa machine mais inséré dans une équipe, un projet, un réseau, ce qui implique une capacité à communiquer et à collaborer avec les autres. Elle rejoint en cela l’analyse de Nicolas Hazard pour qui les compétences spécifiquement humaines, notamment la créativité, gagneront en importance à l’ère de la robotique et de l’intelligence artificielle (IA). Bonne nouvelle, ces compétences très humaines peuvent aussi parfaitement s’apprendre à l’école ou à l’université. L’UNamur a ainsi invité un professeur de la London School of Arts à venir expliquer comment on parvient à développer la créativité d’artistes. “Nous en avons tiré des outils pour stimuler la créativité de nos étudiants en gestion, confie Annick Castiaux. Et comme une partie d’entre eux seront demain des managers, nous leur apprenons aussi à stimuler la créativité de leurs équipes. Les entreprises recherchent de plus en plus des personnes qui osent réfléchir au-delà des idées préconçues.”
“Cela se vérifie également pour le travail ouvrier, précise Laura Beltrame. Dans nos centres de compétences, les soudeurs, pour prendre un exemple, ne sont pas seulement formés à devenir de bons techniciens mais aussi à avoir un esprit d’équipe, de la solidarité.” La formation en alternance peut y gagner en attrait d’autant que, ajoute l’experte d’Agoria, la Belgique commence à avoir une génération de cadres qui sont eux-mêmes issus des filières d’enseignement en alternance. “Nous aurons alors un renversement de la culture vis-à-vis de l’alternance, à l’image de ce qui existe en France ou en Allemagne, dit-elle. Mais ne nous leurrons pas: cela reste compliqué à mettre en place, en particulier dans les PME qui, souvent, n’ont tout simplement pas tous les postes requis pour assurer l’ensemble de la formation.”
L’enjeu des “soft skills”
Ce monde du travail en perpétuelle formation chamboule aussi les critères de recrutement: les soft skills rivalisent désormais avec les compétences techniques pures pour départager des candidats. “Les entreprises doivent aussi questionner les centres d’intérêt d’une personne, même en dehors du monde professionnel, pour trouver les bons project managers, suggère Laura Beltrame. Ses intérêts, ses soft skills, sa manière d’interagir vont orienter la décision, parfois plus que ses connaissances techniques. C’est crucial car à travers les projets qu’ils vont gérer, ce sont eux qui vont orienter demain toute l’entreprise.” Certaines logiques tendent dès lors à s’inverser. Laura Beltrame cite l’exemple des langues, souvent compliquées à apprendre sur le tard en formation continuée. “Nous verrons peut-être des gens avec un bon bagage linguistique rejoindre l’industrie qui les formera ensuite aux métiers techniques”, dit-elle.
Cette attention aux différentes facettes des individus se retrouve aussi du côté de l’université. Annick Castiaux rappelle ainsi que, lors de cette rentrée académique, l’UNamur a innové en lançant des cours en auditoire debout, avec des étudiants en sciences vétérinaires qui circulaient de l’exposé de leur professeur vers la table d’anatomie pour un apprentissage plus concret. “Nous nous adressons à la multiplicité des intelligences et pas seulement à l’étudiant modèle qui a une excellente mémoire et peut ressortir toute la matière”, conclut-elle.
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