Steven Vanackere: “Même en donnant un travail à tous les demandeurs d’emploi, on n’arriverait pas à 80%”
Entre volonté d’atteindre un taux d’emploi de 80% en 2030 et ses détracteurs qui le qualifient de bricolage, le deal pour l’emploi n’a pas fini de faire parler de lui.
Le vendredi 17 juin, le gouvernement s’est accordé sur le “deal pour l’emploi”. Cet ensemble de mesures vise à adapter plusieurs règles organisant le travail en Belgique aux réalités d’aujourd’hui.
Parmi les mesures importantes figure la possibilité pour un travailleur de prester quatre fois dix heures par semaine et de bénéficier d’un jour de repos supplémentaire ou de réduire son temps de travail pendant une semaine et de l’augmenter la semaine qui suit, afin de mieux s’adapter, par exemple, à la garde alternée d’enfants. “Pour la première fois, des mesures de flexibilité s’adaptent aux besoins des travailleurs et ne sont pas imposées par l’employeur”, avait souligné alors M. Dermagne.
Un droit à la déconnexion sera instauré dans le secteur privé après avoir déjà été mis en oeuvre dans le secteur public. Les travailleurs bénéficieront d’un droit individuel à la formation de cinq jours. Des mesures seront prises pour renforcer leur employabilité, par exemple en suivant un trajet de transition dans une autre entreprise ou des formations durant leur préavis en cas de perte d’emploi.
Les travailleurs de plateforme (Uber, Deliveroo, etc.) bénéficieront d’office d’une couverture accidents du travail, qu’ils soient indépendants ou salariés, à charge de la plateforme. Les travailleurs à temps partiel variable verront également leur situation s’améliorer en recevant leurs horaires plus tôt.
Dans le secteur du commerce électronique, où la concurrence avec les Pays-Bas est forte, le système mis en place sous la législature est pérennisé. Il repose sur la conclusion d’une convention collective de travail permettant le travail de soirée et de nuit. Des expérience-pilotes pourront également être menées pour le travail de soirée en impliquant la délégation syndicale de l’entreprise au lancement du projet et dans son évaluation.
Le “deal” avait fait l’objet d’un accord en première lecture en février. Les avant-projets de loi avaient été soumis aux partenaires sociaux mais les syndicats et les organisations patronales n’avaient pu s’accorder sur un avis unanime.
Certaines dispositions ont été adaptées sur la base des remarques formulées par les uns et les autres. Les cinq jours de formation seront ainsi comptabilisés en heures et non en journées. Les heures supplémentaires seront interdites pour les travailleurs qui optent pour la semaine de 4X10 heures ou pendant la semaine où ils réduisent leur temps de travail. Pour ce qui est des travailleurs de plateforme, ils peuvent exercer soit comme indépendants, soit comme salariés. Le ministre veut toutefois éviter les faux indépendants, qui ne travailleraient en fait que pour une plateforme dans ce qui s’apparente à un lien de subordination. Le rôle et les procédures de la Commission “relations de travail” du SPF Sécurité sociale seront revus afin de rendre cet organe plus opérationnel.
Fédération et syndicat montrent les crocs
A peine, adopté, ce deal pour l’emploi fait grincer bien des dents. LUnizo est monté au créneau, se disant “pas satisfaite” du deal pour l’emploi. “Les changements que le gouvernement y a apportés en une seule fois – unilatéralement – dépassent notre bon sens”, fulminait son administrateur délégué Danny Van Assche. Même si, selon lui, l’opération a été une occasion manquée dès le départ.
Le Syndicat neutre des indépendants (SNI) n’avait lui non plus pas été tendre sur ce deal, soulignant à l’époque qu’il n’était “pas impressionné”. De plus, l’organisme avait mis le doigt sur le fait que “des mesures décisives, comme une diminution de la charge salariale, font défaut”. Pour le syndicat, le gouvernement loupait le coche, en s’en tenant à des “bricolages”, et ses mesures ne permettront pas d’atteindre ce fameux taux d’emploi de 80%.
Le Conseil supérieur de l’emploi tire la sonnette d’alarme
Aujourd’hui c’est le Conseil supérieur de l’emploi qui alerte dans son rapport. Il faudra davantage d’efforts pour parvenir à l’objectif d’un taux d’emploi de 80% d’ici 2030. L’organe consultatif – composé notamment d’experts et de représentants des Régions – estime qu’une série de problèmes doivent être rapidement réglés. “Nous voulons exprimer un sentiment d’urgence”, insiste le vice-président du Conseil, l’ancien ministre Steven Vanackere.
Les défis sont nombreux. La pénurie de forces vives sur le marché de l’emploi est ainsi jugée “préoccupante”. Avec un taux de vacance de 5,5%, la Belgique affiche un taux largement supérieur à la moyenne européenne.
Les entreprises peinent à recruter et souffrent de l’inflation ainsi que de l’indexation automatique des salaires, pointe le Conseil. En conséquence, l’augmentation des postes va diminuer en 2023 et 2024.
Les actifs sur le marché du travail sont structurellement trop peu nombreux, poursuit M. Vanackere. A ce rythme, l’objectif d’un taux d’emploi de 80% en 2030 ne sera pas atteint. Pour cela, 640.000 emplois devraient être créés. Selon le Conseil, de 70% actuellement, la Belgique parviendrait seulement à 73,5% en 2027. “Même en donnant un travail à tous les demandeurs d’emploi, on n’arriverait pas à 80%. Il faut donc mobiliser les inactifs“, plaide l’ancien ministre.
La marge de progression est plus importante parmi les étrangers hors-UE ainsi que chez les 55-64 ans, et particulièrement du côté des faiblement diplômés, affirme le Conseil.
Pour améliorer la situation, l’organe formule plusieurs recommandations: une réforme immédiate des charges sur le travail afin de rendre ce dernier plus attractif, davantage de structures d’accueil de qualité pour les enfants, pour permettre aux mères de continuer leur carrière plus facilement, une réorientation des femmes vers les filières scientifiques et technologiques ou encore un renforcement de la formation continue.
L’organe souligne cependant que la crise sanitaire a été mieux traversée que prévu. Le nombre de chômeurs (433.000) est au plus bas depuis le début des années 90 tandis que les travailleurs (5,13 millions) n’ont jamais été si nombreux.