S’alimenter coûte toujours plus cher, surtout dans les pays pauvres

Les prix des denrées resteront probablement en dessous des sommets atteints en 2007-2008. © getty images

Les denrées alimentaires resteront chères, les pays pauvres étant les plus touchés.

Le covid a eu un effet contre-intuitif sur les prix des denrées alimentaires. Début 2020, lorsqu’une grande partie du monde s’est confinée, la crainte était que la constitution de stocks et la fermeture des frontières entraînent une hausse des prix. Au lieu de cela, ils ont à peine bougé. Ce n’est que quelques mois plus tard, lorsque la pandémie a semblé s’atténuer dans le monde riche et que les économies ont rouvert, que les prix ont commencé à grimper à une vitesse alarmante. En mai 2021, ils avaient atteint leur plus haut niveau depuis 2011, après avoir augmenté de 40% en 12 mois, selon un indice de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture.

Grippe porcine

En 2022, les mêmes forces qui ont provoqué cette montée en flèche continueront à générer des problèmes. Il y a ainsi peu de chances que les prix retombent. L’une des explications de cette flambée est l’épidémie de grippe porcine qui a frappé la Chine en 2018 et réduit de moitié son cheptel porcin. Au long de l’année 2019 et 2020, le pays a été contraint d’importer du porc et d’autres sources de protéines (principalement de la volaille et du poisson), ainsi que les céréales pour les nourrir, réduisant ainsi les stocks mondiaux. Le réapprovisionnement postérieur semblait être presque terminé au milieu de l’année 2021, mais des signes d’une nouvelle propagation de la maladie alimentent les craintes d’un nouvel abattage. Ces doutes persisteront en 2022, contribuant à la volatilité des marchés alimentaires. Un autre facteur a été la série de contretemps logistiques provoqués par la réouverture rapide du commerce international, alors que le covid gêne encore l’activité au niveau des principaux goulets d’étranglement. En effet, la pénurie de conteneurs, ainsi que le maintien au sol de nombreux avions de passagers, qui transportent souvent les denrées alimentaires les plus délicates dans leurs soutes, entravent l’expédition de fruits et légumes frais. Les produits de base comme les céréales et le sucre sont transportés en vrac sur d’énormes navires, mais les capacités sont également limitées. Le rebond des prix du pétrole n’aide pas, car cela alimente l’inflation dans tous les domaines, des engrais et des produits chimiques au coût du transport à travers les champs et les océans. Ces forces pourraient s’atténuer au cours de l’année qui vient, mais seulement progressivement.

Météo peu propice

La plus grande source d‘incertitude reste toutefois la météo, comme toujours avec l’agriculture. Au début de l’année 2021, les prix ont augmenté en partie à cause des sécheresses dans les régions productrices de céréales d’Amérique du Nord et du Sud. Les conditions de plantation et de récolte se sont améliorées tout au long de l’année, mais les scientifiques pensent désormais qu’il est fort probable qu’un autre La Niña – un phénomène comme celui qui a perturbé les schémas climatiques il y a un an – se produise au cours de l’hiver. Dans le même temps, les catastrophes rendues plus fréquentes par le changement climatique, telles que les inondations et les incendies de forêt (qui ont été nombreux en 2021), risquent d’affecter plus gravement la production des greniers à grains du monde entier. Pourtant, sauf scénario catastrophe, le monde n’a aucune raison de paniquer. Malgré l’inflation récente, les prix resteront probablement inférieurs aux pics atteints en 2007-2008, lorsqu’une crise alimentaire mondiale déclencha des émeutes dans le monde entier. La plupart des pays ont en effet évité les mesures protectionnistes – interdictions d’exporter et constitution de stocks – qui aggravèrent la crise à l’époque. Une grande partie des aliments consommés sont des produits transformés, ce qui signifie que le coût plus élevé des matières premières est souvent absorbé, en partie et à chaque étape, par les transporteurs, les transformateurs et les commerçants.

Cependant, la hausse des prix des produits agricoles de base continuera à causer des dommages importants dans les pays en développement, car leurs populations consomment beaucoup moins d’aliments transformés: plus d’oeufs et de céréales secondaires, moins de barres chocolatées et de plats préparés. Ainsi, les marges de transformation sont souvent plus minces. Ce préjudice sera exacerbé par d’autres problèmes qui frappent plus durement les pays pauvres, notamment la dépréciation des monnaies locales, les restrictions et les perturbations liées au Covid-19 et la perte de revenus des ménages à cause de la pandémie et de ses conséquences. La vaccination serait un puissant remède pour permettre aux économies extérieures au monde riche de rouvrir et voir leurs revenus augmenter. Sur ce front, les perspectives de progrès rapides sont malheureusement faibles.

Un article de Matthieu Favas, correspondant financier, The Economist.

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