Réforme des hôpitaux: l’hôpital du futur, version “all in”

Réforme Déjà de mise dans plus de 60 pays, le financement par pathologie favoriserait un meilleur souci de la qualité des soins. © Getty Images
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

La réforme du ministre fédéral de la Santé, Frank Vandenbroucke, entend mettre en place un financement par pathologie et non plus à l’acte. Cette révolution dessine une autre gestion de la santé pour le futur.

Le visage de l’hôpital de demain se dessine. Il sera le fruit d’une révolution. C’est le chemin tracé par le projet de réforme du ministre fédéral de la Santé, Frank Vandenbroucke (Vooruit), présenté fin janvier. “L’hôpital du futur sera digitalisé, il se concentrera sur les tâches les plus techniques et la médecine se pratiquera tant dans ses murs qu’à l’extérieur, dans des structures intermédiaires ou à domicile”, résume Paul d’Otreppe, président de l’Association belge des directeurs d’hôpitaux.

“Le plus grand changement prévu par cette réforme, c’est le all in, souligne Luc Herry, président de l’Association belge des syndicats médicaux (Absym). Le financement ne se fera plus à l’acte, mais en tenant compte de la pathologie.” En d’autres termes, les gestionnaires des hôpitaux pourront déterminer la meilleure manière de prendre en charge la maladie en question. Avec la possibilité de procéder à moins d’actes techniques et de gérer une partie de celle-ci en revalidation ou à domicile.

C’est la concrétisation du souhait d’une plus grande autonomie exprimé par de nombreux gestionnaires. “L’hôpital deviendra un hôtelier qui veillera à mettre le patient dans le bon lit”, ramasse Paul d’Otreppe.

La philosophie de la réforme voulue par Frank Vandenbroucke a été globalement saluée. Il sera toutefois indispensable de rassurer les directions d’hôpitaux et les médecins, tant la mutation d’envergure et le flou pourraient être préjudiciables. Financièrement, alors que la pandémie a fragilisé bien des structures. Et auprès des banques qui veulent des garanties sur l’avenir alors que celui-ci n’est pas garanti.

La Belgique en retard

Si le financement par pathologie est une révolution en Belgique, il est pourtant de mise depuis longtemps dans d’autres pays. Avec des résultats probants. “Nous avions fait réaliser une étude par des consultants il y a trois ans, raconte Paul d’Otreppe. Nous nous sommes rendu compte que pas moins de 60 pays fonctionnaient déjà avec ce système. Les Allemands, les Français ou les Néerlandais y sont depuis 10 ou 15 ans. Pour eux, c’est une évidence. Pour nous, c’est une bombe…”

Pourtant, on sait qu’en finançant les hôpitaux à l’acte comme c’est encore le cas actuellement, la sécurité sociale pousse à la consommation et génère des excès en tous genres. Selon l’OCDE, pas moins de 25% des prestations médicales effectuées dans les hôpitaux seraient “inutiles”. Un désastre alors que le budget des soins de santé est singulièrement sous pression.

La prise en considération de la pathologie au sens large pour le financement favorise, en outre, un meilleur souci de la qualité des soins et permet de développer des réponses plus innovantes. Pour un accouchement, par exemple, on donne un montant donné avec la possibilité pour l’hôpital de le répartir comme il l’entend pour les échographies, l’accouchement lui-même, sa préparation, l’accompagnement après la naissance…

L’objectif ne doit pas être de réduire les coûts, il doit au contraire faire en sorte que chaque euro soit bien utilisé”, souligne le patron des directions d’hôpitaux. La question de l’enveloppe budgétaire sera évidemment une clé. “Il s’agira de voir comment ce all in sera tarifé et à quel niveau, parce que les hôpitaux sont sous-financés, tout le monde s’en rend compte”, ajoute Luc Herry.

Cette refonte s’inscrit également dans une réforme plus large, déjà en cours mais qui sera accélérée, d’un fonctionnement en réseau. En s’alliant, les hôpitaux développent des synergies et se spécialisent par pathologie. Avec là encore, des économies d’échelle. Mais pas seulement. Il s’agit de spécialiser les structures pour leur permettre de développer des expertises plus fines et de générer des innovations.

Frank Vandenbroucke aux cliniques St-Luc de Bruxelles en 2020. La pandémie a mis en évidence les failles que certains ne voulaient pas voir.
Frank Vandenbroucke aux cliniques St-Luc de Bruxelles en 2020. La pandémie a mis en évidence les failles que certains ne voulaient pas voir.© belga image

“Un volet particulièrement délicat de la réforme sera de pouvoir tirer tous les avantages des regroupements en réseaux, y compris et surtout l’intégration des services de la même spécialité au sein de chaque réseau, précise Baudouin Meunier, spécialiste en management public et professeur à l’UNamur. Prenons l’exemple des orthopédistes: se retrouver à une vingtaine dans un service intégré plutôt qu’à quelques-uns indépendants sur chaque site permettra à chacun de se sur-spécialiser dans une partie du corps humain et d’augmenter considérablement le niveau de qualité de ses interventions. Toutes les analyses de l’efficacité médicale des actes complexes montrent qu’elle augmente avec le nombre de cas traités. C’est notamment le cas avec les cancers: l’espérance de vie des malades est directement impactée par le nombre de cas du même cancer traités par la même équipe.”

Des hôpitaux spéciaux pour pandémie?

La révolution hospitalière d’un financement remodelé avait été initiée par Maggie De Block (Open Vld), qui a précédé Frank Vandenbroucke à la Santé. La profondeur du changement a été renforcée par la crise. “Le patient covid a été le point de basculement, estime le directeur de l’Association belge des directeurs d’hôpitaux. Avant la pandémie, tout le monde saluait un système qui fonctionnait bien et peu de monde avait la volonté d’en changer – ou alors, avec réticence. Cette crise a mis en évidence les failles que certains ne voulaient pas voir.”

Luc Herry, patron de l’Absym, acquiesce et regrette même que la réforme ne soit pas plus ambitieuse, notamment dans le profil des hôpitaux du futur: “Il serait judicieux, par exemple, de créer des structures intermédiaires entre l’hôpital et le domicile, pour les pathologies moins lourdes nécessitant moins de personnel, étant donné que l’on s’orientera de plus en plus vers l’hôpital de jour. Toutes les classes sociales n’ont pas la possibilité d’être soignées à domicile”.

Mais ce n’est pas sa seule idée. “J’avais proposé que l’on mette en place des hôpitaux spéciaux pour gérer les pandémies, poursuit Luc Herry. Au vu du nombre de lits nécessaires pendant le covid, environ une vingtaine de structures auraient pu accueillir les malades dans des chambres simples, avec l’encadrement limité nécessaire, sans que l’on ne doive arrêter le reste des traitements ou des interventions chirurgicales. Hors épidémie, ces hôpitaux deviendraient des logements Erasmus, serviraient à de la revalidation ou fonctionneraient comme ces hôpitaux plus simples dont je parlais.”

Selon Paul d’Otreppe, cette dernière idée n’a guère de sens. “Un telle pandémie pourrait à nouveau avoir lieu dans deux ans ou tous les cent ans. Va-t-on mettre en place des structures qui ne seraient utilisée que pour ces périodes? Je pense que le financement par pathologie sera, en soi, une réponse aux pandémies. En tant que directeur d’hôpital (de la clinique Saint-Luc de Bouge, Ndlr), cela me permettra de jongler davantage avec les profils dont nous disposons, qui ont souvent des doubles formations, pour répondre aux besoins précis d’une telle crise. Pour d’autres pathologies, cela permettra de faire davantage de prévention ou de renvoyer les gens à leur domicile avec de la télémédecine au lieu de les faire rester la nuit simplement pour une intervention le lendemain.”

Au nom de l’Absym, Luc Herry regrette encore que le projet qui se trouve sur la table n’intègre pas davantage le choix du “consommateur”.

“En substance, le patient peut continuer à aller où il veut pour se faire soigner. Or, des études montrent que 75 à 80% de ceux qui se trouvent aux urgences ne devraient pas s’y trouver. Ce souci de soigner au meilleur endroit possible se trouve dans l’accord médico-mutualiste, mais il doit être intégré de façon structurelle. De même, on doit agir pour éviter que certains se retrouvent à l’hôpital alors qu’ils ne devraient pas.”

Le syndicaliste cite par ailleurs l’exemple de motards qui ne portent pas leur vêtement de protection ou de patients covid non vaccinés, avec le débat sensible de société que cela impliquerait si l’on finançait moins ce type de profils “à risque”.

Rassurer médecins ET hôpitaux

En Belgique, le nouveau système façon Vandenbroucke devra encore s’adapter à nos spécificités. Notamment le fait que les médecins sont indépendants, que leurs rémunérations sont fonction des actes prestés et que les écarts de revenus sont parfois énormes. “Lors de la pandémie, illustre Paul d’Otreppe, nous avons dû fermer notre service de chirurgie pas moins de cinq fois. Les hôpitaux ont été indemnisés, mais les médecins chirurgiens ont été les grands oubliés. Ils se sont retrouvés du jour au lendemain sans travail et, dès lors, sans revenus. Nous avons donc défendu auprès du ministre la nécessité de rassurer les médecins afin qu’ils ne soient pas les perdants de cette réforme.”

Plusieurs modifications majeures sont attendues: les nomenclatures seront revues en profondeur, les écarts de rémunération entre médecins devraient être réduits et les suppléments d’horaires grignotés. “Il n’est pas normal que l’on doive mettre en place des fonds de solidarité tant certains médecins sont mal payés”, estime le directeur. “Nous sommes favorables à cette évolution garantissant une meilleure rémunération pour tous, complète le syndicaliste. L’évolution se fera progressivement, le couperet ne tombera pas du jour au lendemain. Mais on n’empêchera pas que des médecins refusent de se conventionner parce qu’ils estiment pouvoir gagner davantage de cette manière. Au sujet des nomenclatures, le principe consistant à séparer l’acte intellectuel du médecin du volet technique avec le personnel qui s’en occupe, nous le demandons depuis longtemps.” Le tout sera, là encore, de déterminer ce que l’on met derrière chaque nomenclature. Et quels sont les moyens financiers disponibles.

Ancien banquier, Paul d’Otreppe insiste sur la nécessité de rassurer également les directions d’hôpitaux. “Certains collègues, engagés dans des projets de rénovation ou de construction, craignent que les banquiers ne leur refusent soudain des financements parce qu’ils n’ont plus de visibilité sur leurs perspectives, lance-t-il. Aujourd’hui, on paye la structure et les activités. Demain, on payera pour des pathologies qui pourront être partiellement soignées à l’extérieur. Cela changera en profondeur la structure de l’hôpital.”

Comme dans toute réforme d’envergure, le diable se cachera dans les détails. Et dans la volonté d’avancer avec clarté, sans se perdre dans les atermoiements belgo-belges. “Ce projet n’est pas à prendre ou à laisser, il reste de la place pour la concertation”, rassure Luc Herry. “Nous avions préconisé de commencer tout de suite par l’objectif final”, commente le porte-parole des directions d’hôpitaux. Histoire de savoir immédiatement à quoi s’en tenir et d’agir en conséquence. La révolution, c’est maintenant.

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