Au bord de la rupture… Les hôpitaux se réinventent
Dans la tourmente, à cause du covid, mais aussi de façon structurelle, les établissements hospitaliers résistent tant bien que mal. Leurs directions ne manquent pas d’idées pour révolutionner le modèle après la crise. Témoignages de chefs d’entreprise au coeur de la tempête.
Les hôpitaux sont au bord de la rupture. Combien de fois n’a-t-on pas entendu cette crainte au cours de la crise du covid qui fragilise notre pays depuis près de deux ans? La cinquième vague, générée par le variant omicron, met une nouvelle fois le système hospitalier au défi. Mais par-delà ce début d’année chahutée, la pandémie met surtout en lumière un modèle économique à réinventer. Car les hôpitaux sont des entreprises dans la tourmente.
Trends-Tendances a mené l’enquête auprès des dirigeants de quatre directions d’établissements de premier plan. Leur constat est édifiant. Préoccupant. Porteur de solutions aussi. “Globalement, nos hôpitaux ont tenu face à une situation exceptionnelle, se félicitent-ils en choeur. Mais notre modèle est à bout de souffle.”
“Une autre gestion de la crise du covid”
L’urgence du moment, c’est la cinquième vague de la crise sanitaire. Tous soulignent la crainte d’un absentéisme important au sein d’un personnel déjà éprouvé. Tout en appréhendant l’effet sur les soins et la perspective de devoir trier les patients: c’est ce que prévoit le plan le plus dramatique élaboré par les autorités, même si les premiers chiffres ont tendance à rassurer au sujet de l’impact d’omicron sur les soins intensifs. “Nous sommes dans une situation extrêmement inquiétante d’un point de vue santé publique, reconnaît Renaud Mazy, CEO des Cliniques universitaires Saint-Luc à Bruxelles. Nos équipes restent motivées mais elles sont très fatiguées et font face à un absentéisme important. Cela touche tous les hôpitaux.” Sur 6.000 membres de personnel, Saint-Luc a recensé 600 certificats d’absence maladie sur les deux premières semaines de janvier. Et ce n’est probablement qu’un début.
Diriger un hôpital, ce n’est déjà pas en soi un métier de tout repos. Mais depuis deux ans, l’incertitude permanente est épouvantable. Nous ne savons pas où on va.” Gauthier Saelens (Grand Hôpital de Charleroi)
“Nous nous préparons à un cumul des problématiques avec un nombre important de malades du covid hospitalisés mais aussi avec des pénuries, tant dans le personnel soignant que dans la société au sens large, s’inquiète, elle aussi, Sylvianne Portugaels, directrice générale du CHR Citadelle à Liège. Si omicron met par terre le reste de la société, nous risquons aussi d’être confrontés à des problèmes d’approvisionnement. Cela ne se limite pas qu’aux soins, cela concerne aussi l’entretien ménager, la cuisine, etc.”
“Diriger un hôpital, ce n’est déjà pas en soi un métier de tout repos, mais depuis deux ans, cette incertitude permanente est épouvantable, soupire Gauthier Saelens, directeur général du Grand Hôpital de Charleroi. Nous ne savons pas où l’on va, ni sur les volumes, ni sur l’évolution de la pandémie, ni sur les conséquences économiques de tout cela. Le gouvernement a déclenché un plan d’urgence hospitalier le 13 mars 2020 pour faire face à la première vague de la crise et nous sommes toujours sous plan d’urgence. C’est complètement fou! En général, ce type de plan, vous le faites pour un accident d’avion ou de train, un attentat, et cela dure tout au plus quelques jours… Il y a bien sûr eu des périodes plus calmes qui ont permis de récupérer un peu les retards accumulés mais cette fois, il n’y a eu aucun espace entre la quatrième et la cinquième vague.”
Gauthier Saelens poursuit: “En tant qu’ASBL, nous avons un vrai risque de faillite, ce qu’un hôpital public n’a pas puisqu’il a des filets de sécurité avec les interventions des communes, des provinces… Nous devons garantir notre pérennité.” La faillite, c’est une inquiétude réelle? “Les mesures transitoires prises par le gouvernement sont correctes même si elles ne sont pas encore finalisées, mais j’ai une préoccupation, c’est clair, répond-il. L’environnement est très compliqué et il faut gérer l’hôpital avec une acuité et une attention jamais atteintes. Nous sommes en train de construire un nouvel hôpital, un investissement gigantesque de 550 millions d’euros. Au milieu de ce brouhaha épouvantable, il faut maintenir le cap à tous les niveaux. La tâche est rude.”
“Il y a une réflexion globale à avoir au niveau de la gestion de la suite de l’épidémie, insiste Philippe Leroy, directeur général du CHU Saint-Pierre à Bruxelles. Le Premier ministre Alexander De Croo affirme que l’on devra encore vivre avec le covid pendant deux ou trois ans et je pense qu’il a raison. Il convient d’imaginer un nouveau mode de fonctionnement. Jusqu’ici, le baromètre de la crise, c’était la capacité d’accueil en soins intensifs. Dès que l’on craignait qu’elle ne soit dépassée, on fermait des secteurs, des mesures lourdes à fort impact économique, social, pédagogique. Nous devons désormais apprendre à vivre avec le virus. Pour y arriver, un élément indispensable, c’est la vaccination obligatoire. Aujourd’hui, dans nos hôpitaux, 90% des personnes en soins intensifs sont des non-vaccinés. Cela prouve que la vaccination protège bien. En cas de vaccination obligatoire, au lieu d’avoir 10 personnes en soins intensifs simultanément, nous en aurions une ou deux.”
Etant donné le manque d’infirmières, nous sommes à la limite du modèle. Cela nécessitera une réflexion au moment de la sortie de crise.” Renaud Mazy (Cliniques Saint-Luc, à Bruxelles)
Le débat sur la vaccination obligatoire aura lieu en février au Parlement. Le commissaire en charge de la question, Pedro Facon, plaide pour un système davantage similaire au passe vaccinal français. En attendant, les hôpitaux doivent gérer en première ligne le phénomène des “antivax”.
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