Olivier Vanderijst (SRIW): “N’oublions pas nos champions, ceux qui tirent l’économie vers le haut”

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Christophe De Caevel
Christophe De Caevel Journaliste Trends-Tendances

Pour redéployer l’économie, il faut certes aider la numérisation des entreprises un peu à la traîne. Mais il faut soutenir aussi celles qui sont déjà des leaders et contribuent à “dépasser les limites de l’innovation”, dit le patron du principal outil économique wallon.

Les chiffres sont éloquents: la SRIW (Société régionale d’investissement de Wallonie) a investi l’an dernier 271,5 millions (dont 138 en capital) dans 114 entreprises wallonnes. Parmi ces investissements, cinq dépassent les 10 millions d’euros. Le bras financier de la Région a aussi accompagné l’introduction en Bourse de quatre entreprises en 2020 – les biotechs iteos, Hyloris et Nyxoah, ainsi qu’Inclusio, une société active dans l’immobilier résidentiel – ce qui est sans doute un record. Une bonne occasion de parler de la crise et de la sortie de crise avec le président du comité de direction de la SRIW.

Trends-Tendances. La SRIW a investi 30% de plus dans les entreprises wallonnes qu’en 2019. Est-ce le signe que les entreprises continuent d’investir malgré la crise ou, au contraire, qu’elles ont été fragilisées et doivent un peu plus se tourner vers les pouvoirs publics?

Olivier Vanderijst. Cette crise est très dissymétrique selon les secteurs, et même parfois au sein des secteurs. Ceux qui ont été les plus touchés – je songe à l’horeca, à l’événementiel ou à certains détaillants – sont souvent de petites entreprises, qui font appel à d’autres outils publics que la SRIW. En gros, on peut dire qu’un tiers de nos interventions (en montants, Ndlr) répondent spécifiquement à des besoins nés de la crise Covid-19: recapitalisation de la Sonaca, prêts à Pairi Daiza, Exki, Trafic, aux chaussures Maniet ou au groupe hôtelier John Martin. Dans ces dossiers, nous avons toujours été attentifs à un équilibre entre les efforts des actionnaires, des banques et l’intervention de la SRIW. Nous avons aussi activé notre filiale Geligar, qui apporte une garantie régionale à des crédits bancaires. En 2020, Geligar a accordé 40 millions d’euros de garantie pour couvrir des prêts pour un total de 95 millions d’euros. Trente-trois entreprises en ont bénéficié et c’était quasi exclusivement pour répondre à des besoins liés à la crise Covid.

Un tiers de nos interventions en 2020 répondent spécifiquement à des besoins nés de la crise Covid-19.

Et dans les deux autres tiers, quels sont les principaux secteurs concernés?

L’un de nos plus grands investissements de 2020 concerne Euroclear. Nous y investissons 25 millions d’euros, avec la SFPI (Société fédérale de participations et d’investissement, Ndlr) pour consolider l’ancrage belge de ce grand groupe financier, un élément important de l’écosystème financier dans notre pays. Nous avons bien entendu pas mal investi, environ 40 millions, dans le secteur des sciences du vivant. Nous avons là un bel écosystème avec de nombreuses start-up qui n’ont guère été impactées par la crise, sauf peut-être parfois un ralentissement des essais cliniques. La SRIW a aussi continué à investir dans l’agroalimentaire (25 millions), dans les technologies (Aerospacelab, Lasea, etc.).

Vous évoquez Aerospacelab. Cette start-up du Brabant wallon construit une usine de fabrication de microsatellites et rêve de créer un écosystème de données géospatiales. Ces ambitions vous semblent-elles réalistes?

Le lancement de satellites 10 à 100 fois moins chers qu’avant conjugué à un appétit grandissant pour le traitement des données ouvre de nouveaux marchés au secteur spatial. Jusqu’ici, il y avait les satellites de télécommunication et les satellites d’observation, financés par les institutionnels. Maintenant, plus que le spatial en tant que tel, l’enjeu, c’est qui va capter, traiter et vendre les données. Data is the new oil, résume-t-on parfois. Aerospacelab essaie de se positionner sur l’ensemble de cette chaîne, voire de générer un écosystème de start-up. J’entends souvent que la Wallonie manque d’acteurs ambitieux, ça me réjouit donc de voir cette ambition s’afficher. Le fondateur a un beau parcours ( il est passé par la Nasa et l’Esa, Ndlr), il parvient à recruter des beaux profils et a attiré un important fonds français déjà actif dans Odoo. Je leur souhaite la même réussite, d’autant que nous en sommes actionnaires. ( sourire)

Le secteur biotech ne risque-t-il pas de peser trop lourd dans votre portefeuille?

Les biotechs représent de 250 à 300 milions d’euros à la SRIW. Paradoxalement, c’est la diversification du secteur qui permet de mitiger les risques. Si nous n’étions présents que dans cinq biotechs, il y aurait un vrai risque qu’aucune ne voie son produit arriver sur le marché. Quand nous sommes dans 30 biotechs, la probabilité d’avoir un iTeos ou un Ogeda qui compense la faillite de quelques autres est beaucoup plus grande. Et puis, dans ce secteur, il n’y a pas que des start-up prometteuses. De plus en plus, on voit émerger des CDMO, des entreprises qui fabriquent des produits ou des dispositifs médicaux pour d’autres. Avec Kaneka, Novasep, Masthercell, Univercells et Mithra-CDMO, on est à plus de 1.300 emplois. Ce sont des sociétés intensives en emplois et difficilement délocalisables, même quand elles passent sous un contrôle étranger.

L’Entreprise de l’année (I-care) et celle du Manager de l’Année (Fabien Pinckaers, Odoo) sont dans votre portefeuille: y a-t-il encore moyen de développer une entreprise en Wallonie sans l’intervention des pouvoirs publics?

Je pense surtout que c’est une illustration du dynamisme et de la proactivité des outils publics de financement. Au-delà du volet purement financier, nous sommes perçus par les entreprises comme apporteurs de smart money, d’un réseau, d’une expertise. A l’époque, la SRIW avait investi 2 millions dans Odoo. Sincèrement, si nous n’étions pas venus, je pense que Fabien Pinckaers aurait trouvé un financement ailleurs, peut-être en prenant un peu plus de temps. Nous avons joué notre rôle de facilitateur pour aider l’entreprise à grandir. Sans nous, elle aurait bien grandi aussi, mais peut-être moins vite et avec plus d’actionnaires étrangers. Regardons vers la France: on y voit rarement une levée de fonds significative sans la BPI ( Banque publique d’investissement, Ndlr). Les acteurs publics ne sont pas une caractéristique de la Wallonie. En plus, loin d’avoir une attitude monopoliste, nous favorisons l’émergence de contreparties privées en investissant aussi dans des fonds.

Olivier Vanderijst (SRIW):

Pourquoi le faites-vous? L’an dernier, vous avez investi 11 millions d’euros dans 10 fonds. Qu’est-ce que cela apporte à l’économie wallonne de plus que des investissements directs dans des entreprises?

Nous visons quatre objectifs en investissant dans des fonds: la rentabilité, bien entendu ; faciliter les investissements de ces fonds en Wallonie ; améliorer notre expertise grâce aux interactions avec les fonds ; accéder à d’autres réseaux internationaux via ces fonds. J’illustre mon propos: nous avons investi dans LSP-6, un fonds néerlandais, l’un des plus gros en Europe dans le secteur des biotechs. Ce fonds a déjà investi dans deux entreprises wallonnes: Imcyse (immunothérapie) et Istar (implants ophtalmiques). Et quand un fonds aussi réputé vient, il attire d’autres investisseurs avec lui. Cela étant, nous avons investi 11 millions dans des fonds, mais c’est à peine 5% de l’ensemble de nos investissements.

Sans nous, Odoo aurait bien grandi aussi. Mais peut-être moins vite et avec plus d’actionnaires étrangers.

2020, c’est quatre IPO pour des sociétés de votre portefeuille. Les entreprises wallonnes sont-elles, selon vous, suffisamment ouvertes à la piste de l’introduction en bourse ?

Je pense que nous n’avons jamais connu une année avec 4 IPO. Une entrée en bourse est un processus de longue haleine et donc ces IPO sont le fruit d’une réflexion qui a démarré bien avant la crise. On parle en outre de trois biotechs (iteos, Hylorys et Nyxoah) et d’une société active dans l’immobilier résidentiel (Inclusio), c’est-à-dire de secteurs peu touchés par la crise.

La bourse, c’est un des moyens de se financer sans perdre totalement le contrôle. Les entreprises wallonnes sont ouvertes à cette possibilité, Euronext les informe d’ailleurs régulièrement. Mais la bourse implique des contraintes, notamment en termes d’informations, et n’apporte pas toujours la liquidité suffisante.

En 2020, 5 investissements de plus de 10 millions d’euros. Il y aurait pu en avoir un 6e puisque la SRIW envisageait de participer au projet de coopérative sucrière à hauteur de 15 millions d’euros. Regrettez-vous que ce projet, qui mobilisait plus de 1500 producteurs wallons, n’ait pas pu aboutir ?

O.V. Nous nous sommes positionnés dès le début de ce projet, qui a suscité un grand engouement chez les coopérateurs. Cet échec montre la difficulté de financer de nouvelles activités quand on n’est pas adossé à un groupe industriel existant. Mais pour moi, il est clair que la Wallonie devrait plus se développer dans le secteur agro-alimentaire en s’inscrivant dans certaines nouvelles tendances autour des protéines végétales par exemple.

Quelle est l’intervention dont vous êtes le plus fier dans cet exercice 2020?

Je suis très content que nous soyons entrés au capital d’Univercells. Pour une série de raisons, nous n’étions pas en lien direct avec ce bel écosystème, nous avons été proactifs et nous y avons investi 5 millions. J’ai aussi envie de pointer AMB-Ecosteryl, une entreprise de Mons qui recycle les déchets hospitaliers. Elle est en forte croissance et n’avait sans doute pas besoin de nous pour se financer. Mais c’est aussi un moment où les actionnaires peuvent avoir envie de réaliser leur investissement. En rachetant une part minoritaire des actions, nous leur permettons cette réalisation tout en gardant l’ancrage et le contrôle en Belgique. Nous sommes aussi l’un des partenaires d’une expérience de stockage de l’électricité à Bastogne avec Rent-A-Port Green. C’est un petit projet (10 MW) mais que nous entendons répliquer, car ce secteur a de l’avenir avec le développement des énergies renouvelables. En outre, notre formule permet de fonctionner sans subside. Enfin, si vous me permettez de citer une quatrième belle réalisation: pour la première fois une start-up de Wing, le fonds wallon dédié au numérique, a levé 10 millions d’euros auprès de fonds étrangers. Il s’agit d’Oncomfort, active dans la sédation digitale.

Quel rôle pourrait jouer la SRIW dans les plans de relance qui se préparent?

Depuis longtemps, nous collaborons avec la SFPI. Nous sommes ensemble à la Sonaca, chez Euroclear et dans de nombreuses biotechs. Je suis donc convaincu que nous trouverons des formules pour articuler au mieux les moyens régionaux et fédéraux et avoir ainsi un effet de levier maximal. Pour Get Up Wallonia, nous insistons sur l’importance de viser un bon équilibre entre les mesures d’accompagnement, d’appui des efforts des entreprises pour être au benchmark ; et les mesures de soutien aux champions, à ceux qui font le benchmark. Ce sont eux qui tirent l’économie vers le haut, ce sont eux qui déplacent les limites de l’innovation. Pour reprendre une image de notre consultant Roland Berger: il faut à la fois promouvoir le sport pour tous et le sport d’élite.

Il faut aller vers plus de spécialisation, plus d’effet de masse, pour créer des écosystèmes de pointe dans l’intelligence artificielle, dans l’industrie 4.0, dans l’hydrogène, dans le stockage de l’énergie, comme la Wallonie l’a fait dans la santé.

Le ministre de l’Economie Willy Borsus est revenu avec l’idée d’une fusion des outils économiques wallons. Cette idée a été accueillie beaucoup plus positivement qu’il y a quatre ou cinq ans. Qu’apporterait la fusion de ces outils?

J’ai cité tout à l’heure la BPI. Le fait qu’il y ait maintenant une marque unique en France améliore fortement la visibilité de l’outil et son accessibilité. Donc une marque unique est un avantage. Par ailleurs, de plus en plus de fonds, privés comme publics, gèrent plusieurs plateformes avec des services de support communs – RH, communication – mais aussi des équipes transversales pour des thèmes comme la digitalisation, la transition énergétique. Avec la fusion des outils, nous aurons l’effet de masse pour délivrer certaines problématiques transversales. Il faudra voir quelle articulation cette structure trouvera avec les invests provinciaux. Mais relativisons les problèmes: on se connaît, on se parle et la Sowalfin ( qui sera parmi les outils fusionnés et assure un lien organique entre la Région et les “invests”, Ndlr) permet déjà d’avoir une vue d’ensemble. Ce n’est pas comme si chacun était replié dans sa citadelle. Je pense que la fusion devrait s’accompa- gner d’une décentralisation. Nous allons être confrontés à phénomène qu’on voit dans nos entreprises: une boîte qui passe de 60 à 250 personnes ne se gère plus de la même manière. Il faudra revoir les modes de gestion pour conserver l’agilité à laquelle je tiens beaucoup.

Profil

  • 60 ans, vit à Bruxelles
  • Diplômé en droit (UCLouvain), il a commencé sa carrière comme journaliste à la RTBF.
  • Bifurque rapidement vers les cabinets ministériels socialistes (Mathot, Van Cauwenberghe, Onkelinx, etc.)
  • Président du comité de direction de la SRIW depuis 2009. A ce titre, il siège (à titre gratuit) au conseil de Prayon (président), de la FN et de la Sonaca.

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