Mathieu Michel: “On pourrait payer les politiques aux résultats”
Le secrétaire d’Etat fédéral MR assume ses propos au sujet de sa rémunération et aimerait que l’on pousse plus loin en réfléchissant à l’efficacité de l’Etat. “Faire de la politique, au vu des moyens limités, c’est agir comme un entrepreneur.”
Mathieu Michel, secrétaire d’Etat fédéral, était la surprise du chef du gouvernement De Croo en octobre 2020. Deux ans après sa nomination, il entend bien dépasser la caricature. “Ce qui est plus dur à porter, dit-il à Trends-Tendances, c’est l’image que l’on donne de moi et que je ne suis pas. Je suis profondément disruptif dans ma façon d’envisager la politique.”
Profil
- 43 ans
- Secrétaire d’Etat fédéral à la Digitalisation, chargé de la Simplification administrative, de la Protection de la vie privée et de la Régie des bâtiments.
- Auparavant: conseiller provincial du Brabant wallon, député provincial et président du Collège provincial.
- Fils de Louis Michel, ancien président du MR et vice-Premier fédéral, et frère de Charles Michel, ancien Premier ministre et président du Conseil européen.
TRENDS-TENDANCES. Vous avez initié un débat sur la rémunération des ministres en soulignant sur un plateau télévisé que vous gagnez 14.000 euros net par mois. Vous assumez?
MATHIEU MICHEL. Bien sûr que j’assume. Je considère que dire la vérité est une qualité en politique. Personnellement, je n’arrive pas à mentir. Pour moi qui viens de la politique locale, c’est d’autant plus une évidence. Quand on m’a posé la question, j’ai donc répondu. Et je sais ce qu’est mon salaire, contrairement à ce que certains ont voulu faire croire: 12.000 euros en net, 14.000 avec les avantages. Ce qui m’a le plus perturbé dans cette histoire, c’est cette dynamique qui a suivi, selon laquelle je ne connaîtrais pas mon salaire. Mais personne ne le connaît mieux que moi! Et c’est de l’argent public: on doit être tout à fait transparent à ce sujet.
Cela a généré un débat sur ces rémunérations qui était sain, non?
Le débat public est toujours très sain. Mais je pense que celui-ci doit être élargi au rapport entre le coût de l’Etat et son efficacité. J’adorerais que la rémunération des mandataires soit connectée à une forme d’obligation de résultats. On pourrait imaginer que la rémunération augmente si le PIB croît ou si le chômage baisse. Cela rendrait peut-être la politique plus lisible.
La sobriété, ce n’est pas un vilain mot, mais cela dépend ce que l’on met derrière.
Cela renforcerait l’adhésion des citoyens?
Oui, certainement, et cela inciterait à fixer des balises, une ambition chiffrée. Résumer le système institutionnel au salaire d’un ministre, d’un haut fonctionnaire ou d’un patron de mutuelle, cela me semble trop limité.
Le contexte économique difficile du moment, avec une inflation record, a renforcé l’indignation suscitée par vos propos…
J’assume totalement ma sortie parce que je n’ai exprimé que la vérité. Cela étant, nous sommes évidemment conscients de ce contexte très difficile et les gouvernements sont là pour travailler sur les réponses à apporter.
Sont-elles suffisantes?
La difficulté réside dans le fait que la situation actuelle découle tout d’abord de la forte reprise post-covid qui a augmenté le niveau de la demande. La crise énergétique a démarré à ce moment-là. La guerre en Ukraine a ensuite fait exploser les chiffres dans une proportion hallucinante. Ce qui complique la lecture, c’est une volatilité qui empêche de voir clair sur la situation telle qu’elle va se stabiliser. Prendre des positions politiques structurelles alors que l’on ne sait pas comment les chiffres seront impactés à moyen terme, c’est compliqué. On sait que les prix de l’énergie vont rester élevés, mais entre une augmentation du simple au double ou une multiplication par 10, les mesures à prendre ne sont pas les mêmes.
Face à une situation comme celle-là, il faut rester le plus responsable et le plus serein possible. Nous avons pris une série de mesures d’aide il y a trois mois, renforcées en ce début octobre pour permettre de passer cet hiver compliqué. Ce sont des mesures coûteuses: on parle d’un milliard pour les ménages et d’un milliard pour les entreprises, avec l’engagement de les prolonger. Il y a un travail parallèle au niveau européen sur les prix. Mais il ne faut pas mentir: dire que l’on peut tout faire et creuser sans cesse la dette, ce n’est pas responsable. Et il faudra relancer la machine à un moment ou un autre, de façon différente.
C’est-à-dire?
Nous devons avancer très vite sur l’électrification. Notre politique de dépendance énergétique auprès de pays auxquels on ne pouvait pas avoir confiance a été d’une naïveté incroyable. Baser l’ensemble de son modèle de société, et de notre modèle social auquel je suis très attaché, sur ce risque de dépendance, ce fut une erreur. La crise du covid avait déjà mis le doigt sur l’enjeu de l’autonomie stratégique.
C’est à nouveau le cas cette fois-ci!
Oui, à une différence de taille: dans le cas du covid, c’était un cap ponctuel et mondial difficile à passer ; dans le cas de la crise énergétique, l’impact au niveau européen est beaucoup plus élevé qu’ailleurs. Nous devons donc être en capacité de mener cette électrification massive. C’est la raison pour laquelle le débat sur le nucléaire est essentiel: on a décidé de prolonger deux réacteurs, il faut maintenant songer à étendre cela à quatre ou cinq et travailler rapidement à des centrales de nouvelle génération. Mais ce n’est pas tout. Je suis sidéré aussi de voir l’énergie produite par les panneaux solaires qui disparaît, faute de pouvoir être stockée. Quand on met des mois, voire des années, à mettre en place les communautés d’énergie renouvelable, c’est regrettable. Vu la situation, nous devons tout faire pour recréer rapidement notre indépendance énergétique.
L’innovation est également une solution?
En tant que secrétaire d’Etat à la Digitalisation, je suis bien placé pour rencontrer des tas d’entreprises qui vivent déjà dans le monde qui sera le nôtre dans cinq ans, dix ans ou davantage. Enormément d’innovations sont précieuses. J’ai visité le centre de recherche en intelligence artificielle sur l’autoconsommation à l’Imec à Leuven: un système autopiloté de consommation énergétique peut générer 30% d’économies. C’est davantage que les 15% préconisés aujourd’hui par l’Europe.
Autrement dit, la sobriété énergétique, ce n’est pas retourner à l’âge de la charrue?
Evidemment. La sobriété, ce n’est pas un vilain mot, mais cela dépend de ce que l’on met derrière. En tant que libéral, je suis optimiste: depuis la nuit des temps, l’innovation est un moteur de changements positifs. Sans vouloir dédramatiser, en se replongeant dans l’histoire, on se rend compte que l’humanité n’a jamais été aussi créative que quand elle était au pied du mur. Ce genre de crise permet de se poser les bonnes questions, de se demander comment conserver le même mode de vie, tout en diminuant l’impact environnemental.
J’ai une quarantaine d’années: ma génération, indépendamment du parti, est totalement consciente que l’on doit développer le modèle social et économique du futur en tenant compte de ressources qui ne sont pas infinies. Cela ne veut pas dire qu’il faut revenir en arrière. Je ne suis pas un adepte de la décroissance, mais bien d’une croissance respectueuse des enjeux.
La crise du covid a-t-elle permis de faire un bond en avant en matière de digitalisation?
Elle a mis en avant deux éléments disruptifs essentiels, au niveau du temps et de l’espace. On s’est rendu compte que la logique 8-17 h n’était pas forcément une norme ou un standard sacré. Des collaborateurs peuvent aller chercher leurs enfants, puis terminer leur travail plus tard, par exemple. Cela a généré une société plus flexible dont l’énergie est comparable à celle que l’on voit dans les start-up, sans contrôle horaire mais avec un objectif à concrétiser. Cela induit une grande confiance en l’individu et cela modifie la façon de calculer la productivité. J’ai échangé avec des amis syndicalistes à ce sujet, disons qu’il y a encore un peu de travail de persuasion à mener… La logique horaire est évidemment plus rassurante.
Je ne suis pas un adepte de la décroissance, mais bien d’une croissance respectueuse des enjeux.
En ce qui concerne l’espace, le digital permet davantage de libertés parce que l’on peut travailler n’importe où. Le télétravail permet en outre de stimuler des circuits courts, des écosystèmes locaux autour de l’endroit où vivent les gens. Cela permet d’envisager un monde très différent, sans forcément modifier sa qualité de vie, en préservant la prospérité économique. L’entreprise Odoo est installée dans des fermes, à 15 kilomètres de chez moi, au milieu des champs, et cela fonctionne très bien.
La crise actuelle est-elle, aussi, une opportunité de faire les bons choix énergétiques?
C’est avant tout un drame. La première préoccupation, c’est de voir comment les citoyens ou les entreprises confrontés à des factures hallucinantes pourront passer le cap. Mais c’est également une opportunité. Cette vague de difficultés doit nous interroger sur quelque chose de plus structurel en termes de production d’énergie. Cela dit, le bond technologique que l’on doit faire est à ce point important qu’il n’y a pas de bouton magique pour le réaliser. Le débat sur le nucléaire, par exemple, n’est pas simple: il faut relancer des centrales alors que des collaborateurs ont déjà été engagés ailleurs, qu’il faut recommander du combustible… Le changement de paradigme, même s’il est souhaitable, doit dépasser une série d’inerties. Il y aura quelques années au cours desquelles on devra s’accrocher. Nous devons nous retrousser les manches tous ensemble.
Vous étiez la surprise du chef du gouvernement De Croo: votre mission en matière de digitalisation doit-elle intégrer les crises?
Plein de gens m’ont découvert en octobre 2020, mais avant cela, j’appréhendais le changement de cette façon-là en Brabant wallon. J’ai notamment travaillé sur les nouveaux espaces de coworking en développant un monde à portée de vélo en développant des pistes cyclables, des primes au vélo électrique… Le Brabant wallon, c’est 17% de croissance démographique mais 0% d’augmentation d’emplois. La plupart des gens prennent tous les jours leur voiture pour travailler à 50 kilomètres. Or, la part de la mobilité est un des postes les plus importants au niveau énergétique. Si l’on parvenait à retirer ces personnes de la route, on ferait un grand pas.
Les enjeux auxquels je suis confronté au gouvernement, je les prenais déjà à bras-le-corps au niveau local. Je n’ai pas été convaincu il y a deux ans qu’il fallait changer de modèle… Quand j’ai repris la tutelle sur la Régie des bâtiments, la première chose que j’ai demandée, c’est un cadastre de la performance énergétique des bâtiments. On m’a répondu qu’on ne l’avait pas.
Comment avez-vous réagi?
La première chose que j’ai faite, c’est de le demander. Cela m’a perturbé parce que c’est la base. Il est en cours et on travaille déjà pour réduire l’impact énergétique. Il y a eu un choc entre ce que j’observais sur le terrain en tant que mandataire local et les habitudes prises au fédéral. Je sais comment je suis arrivé mais certains m’ont fait remarquer que j’étais désormais en Division 1, laissant entendre que ce que j’avais fait au niveau local, c’était bien beau… En l’occurrence, la maturité et la pertinence du travail réalisé dans les communes et les provinces, en contact avec la réalité de terrain, n’ont pas à souffrir de ce que j’ai rencontré ici. Et cela se fait bien souvent avec des moyens plus limités.
Faire de la politique, c’est agir en bon père de famille et, de plus en plus au vu des moyens limités, comme un entrepreneur. Ce n’est pas pour rien que je parlais de la nécessité de travailler sur l’efficacité de la politique. Par contre, l’univers médiatique fédéral est beaucoup plus dur, cela met sous pression. La façon dont les mandataires sont jugés est souvent déconnectée d’une certaine forme d’objectivation. Cela ne pousse pas forcément à être reconnu pour son action ou sanctionné pour son inaction. Quand vous êtes mandataire local, je peux vous dire que les habitants savent ce que vous faites.
Les médias s’arrêtent-ils trop souvent sur des détails?
Je ne suis pas là pour critiquer les médias. Mais je vais prendre un exemple: le plan pluriannuel de la Régie des bâtiments, qui planifie sur 30 ans cinq milliards d’euros de travaux avec des priorités sur les performances énergétiques, j’en suis très fier parce que cela dépasse le court terme d’une législature. On reproche souvent le manque de vision à long terme des politiques, mais pourtant, ce sujet-là, cela n’a pas excité grand-monde.
On a retenu que vous retireriez les échafaudages du Palais de justice de Bruxelles, avec un tournevis s’il le fallait…
Oui, et je suis bon public quand on se moque de moi: je sais qu’un tournevis ne suffit pas… Sans doute que l’on m’embêterait moins si j’avais passé mon temps à communiquer depuis deux ans plutôt que de mener un travail de fond. Je parle, dans le cas de ce plan pluriannuel, de l’importance de fixer un cap et de s’engager à long terme, quitte à ce que mon successeur dise que je me suis trompé. Je le fais parce que je suis convaincu que cela change les choses. Je ne vous parle même pas du travail que je fais dans les caves des bases de données de l’Etat. C’est essentiel! Il s’agit de faire en sorte qu’une donnée transmise à votre commune puisse servir demain à vous simplifier la vie sur le plan administratif.
Quand j’ai repris la tutelle sur la Régie des bâtiments, la première chose que j’ai demandée, c’est un cadastre de la performance énergétique des bâtiments. On m’a répondu qu’on ne l’avait pas.
(Il prend son smartphone) Regardez notre projet de portefeuille digital, c’est l’illustration de ce travail de fond. Cela permet de rassembler toutes les applications créées au fédéral mais aussi en Flandre, en Wallonie ou à Bruxelles. C’est révolutionnaire parce que c’est un outil qui dépasse notre complexité institutionnelle. Tous les documents nécessaires s’y retrouvent et toutes les procédures pourront passer par ce guichet unique digital. Si on avait eu cela pour les chèques mazout, par exemple, on aurait sans doute eu moins de problèmes. La première version sera disponible en 2023.
C’est un outil qui peut être un game changer, certainement dans un pays comme le nôtre. A mes yeux, c’est ce qui compense la complexité institutionnelle dans laquelle moi-même je me perds. C’est fondamental pour l’efficacité de l’Etat, même si ce n’est pas très sexy à vendre. Or, quand on fait de la politique, on doit prendre le temps qu’il faut pour jeter les fondations des réformes. Nous devons récupérer la capacité de dire la vérité et de s’inscrire dans le long terme. Je me rends compte que ce n’est pas gagné, mais je vais continuer.
Vous êtes le troisième politicien de la famille Michel: votre nom vous a aidé à gravir les échelons, mais est-il aussi lourd à porter?
Oui, c’est parfois difficile à porter. Mais ce n’est pas “lourd” parce que je suis fier de ce nom, fier de ce que mon père a fait, je l’ai toujours trouvé très inspirant, tant dans son parcours que dans son idéologie.
Votre frère Charles aussi?
Oui, mais je vais être sincère, je suis beaucoup plus proche politiquement de mon père. Le fait même que vous me posiez ces questions illustre bien les préoccupations de cet univers médiatique dont je parlais. Je comprends, je ne juge pas, mais nous devons être collectivement en capacité de nous concentrer sur l’essentiel. Sincèrement, ce qui est plus dur à porter, c’est plutôt l’image que l’on donne de moi et que je ne suis pas. Je suis profondément disruptif dans ma façon d’envisager la politique, je dis la vérité et je l’assume.
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