Mathieu Michel : “Il n’a jamais été question de se passer d’itsme”

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L’annonce du Secrétaire d’Etat à la digitalisation Mathieu Michel (MR) de s’affranchir d’itsme dans le cadre de l’élaboration du “portefeuille numérique” fait des remous. Pour Trends Tendances, il expose son projet et rectifie certaines informations qui circulent sur le sort réservé à l’application d’identification.

L’application numérique itsme connaît un essor fulgurant. Elle a été boostée par la crise du covid qui l’a popularisée auprès de nombreux Belges. Itsme a déjà séduit 80% des citoyens de plus de 18 ans en 5 ans. Pour 6,5 millions d’utilisateurs belges, elle est désormais l’app’ d’identification incontournable pour se connecter à des services publics tel que Tax-on-Web, une administration ou une banque.

Malgré ce succès indéniable, l’application aura de la concurrence l’année prochaine. Le gouvernement fédéral travaille en effet à l’élaboration de son propre outil d’authentification, a annoncé cette semaine le secrétaire d’État fédéral à la digitalisation Mathieu Michel (MR).

“Un retour en arrière digital ?”

Le nouveau système de login sera intégré au projet de “portefeuille digital”. Ce “digital wallet” devrait être disponible dans le courant 2023. L’objectif des autorités est que chaque citoyen ait à portée de main dans son smartphone sa carte d’identité, son permis de conduire, ou encore, son carnet de mariage. Itsme ne disparaîtra pas pour autant, mais ne sera plus exploitée dans le cadre de ce portefeuille numérique. L’app’ sera encore bien utilisée pour accéder à Tax on Web ou My Pension, multipliant de la sorte les canaux de connexion.

L’annonce suscite pas mal de réactions et de scepticisme. Certains parlent de “retour en arrière digital.” D’autres se demandent pourquoi changer une formule qui gagne et qui a réussi à conquérir une grande partie de la population après d’inévitables maladies de jeunesse.

“Une plaisanterie inutile et coûteuse”

Cela ressemble à une plaisanterie coûteuse dont on n’a pas besoin, déclare Frederik De Bosschere, stratège au studio de produits numériques In The Pocket dans De Morgen. “Il y a des années, ils ne voulaient pas investir dans leur propre application et ont choisi de soutenir itsme. Et maintenant ils font marche arrière et vont quand même développer une application. Désolé : cette stratégie aurait pu être mise en oeuvre il y a des années, mais il est trop tard pour cela maintenant.”

Car au-delà de la technologie qui se doit être performante, l’adoption d’un nouveau système d’identification – qui fera inévitablement doublon – est un sacré défi pour convaincre les citoyens alors qu’ils disposent déjà d’une solution efficace, commente le spécialiste dans De Morgen. Il nécessitera aussi un budget important en campagne de visibilité.

La délivrance de l’identité, même numérique, doit absolument rester une prérogative de l’Etat fédéral

Pourquoi changer une formule qui gagne ?

Mathieu Michel recontextualise pour Trends Tendances: “Ce qu’on construit aujourd’hui avec le ‘digital wallet’, c’est la carte d’identité, il ne s’agit pas de l’application de connexion. On parle d’une refonte complète du système de simplification administrative au coeur duquel se trouve la carte d’identité.

Pour le Secrétaire d’Etat, la délivrance de l’identité, même numérique, doit absolument rester une prérogative de l’Etat fédéral.

Mais, il nous le confirme, itsme aura encore sa raison d’être : “On n’a pas prévu de se passer d’itsme qui sera complémentaire. L’app’ pourra encore être utilisée pour avoir accès à sa déclaration fiscale, par exemple. Ici, on travaille vraiment sur les données d’identification.

“Il n’a jamais été question une seule seconde de remplacer itsme. Moi-même, je suis un grand fan de l’app'”

Mathieu Michel

Mathieu Michel voit plutôt ce développement comme une source supplémentaire qui correspond à la carte d’identité électronique. “On multiple les opportunités pour les citoyens de choisir itsme ou un autre moyen d’accès à ses documents. L’outil est vraiment pensé pour faciliter leur vie. Il n’a jamais été question une seule seconde de remplacer itsme. Moi-même, je suis un grand fan de l’app’.

Mathieu Michel :
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Déléguer ses données personnelles à une société privée, un danger ?

La question centrale que pose et qui inquiète, semble-il, fortement le Secrétaire d’Etat belge à la Digitalisation et à la Protection de la vie privée est la suivante : doit-on être dépendant d’une seule solution provenant du secteur privé pour se connecter à ses données personnelles et à son administration en ligne ?

“Si itsme venait à disparaitre un jour ou était rachetée par une société étrangère, on va me reprocher de ne pas avoir pensé à un solution B. Je suis sûr que cela ne va pas se passer, mais gouverner, c’est prévoir. Réaliser l’évolution de la carte d’identité numérique sans transposer l’ensemble des fonctions actuelles, ce n’est pas rigoureux. On pourrait faire le choix de considérer que c’est à itsme d’offrir une carte d’identité. Mais, cela voudrait dire accepter l’idée que la compétence des cartes d’identités, c’est le privé.

Le Secrétaire d’Etat insiste sur ce point au coeur de sa démarche :Le plus haut niveau d’identification doit être garanti par l’Etat. C’est une fonction régalienne.”

Mathieu Michel ne remet cependant aucunement en question la sécurité de l’application. “Itsme est hyper sécurisée“, estime-t-il.

L’Etat est toutefois propriétaire à 20% de cette application, par une injection de capital de 14,5 millions d’euros en 2021. La Société Fédérale de Participations et d’Investissement (SFPI) détient en effet un cinquième du groupe, qui était traditionnellement contrôlé par les quatre grandes banques Belfius, KBC, ING Belgique et BNP Paribas Fortis, ainsi que par les sociétés de télécommunications Orange Belgique, Proximus et Telenet, commente De Tijd.

L’Etat pèse aussi un peu plus lourd dans l’actionnariat via la petite participation qui lui reste encore dans Proximus et Belfius ajoute le quotidien flamand.

“Un choix surprenant”

Avec le gouvernement comme principal actionnaire, Belgian Mobile ID n’est donc pas une entreprise purement privée, mais un exemple unique de partenariat public-privé réussi “, estime, pour sa part, Sylvie Vandevelde, la porte-parole de la société derrière itsme.

Au sein de l’entreprise numérique, on s’étonne d’ailleurs de la voie prise par les autorités : “Nous avons entendu il y a quelques semaines que le gouvernement travaillait sur une alternative. Nous trouvons ce choix surprenant”, déclare Stephanie De Bruyne, PDG d’itsme dans Het Nieuwsblad. “D’autant plus que le gouvernement est notre principal actionnaire. C’est précisément grâce à cette collaboration que nous sommes devenus un précurseur dans le domaine de l’identité numérique en Europe.”

“Le gouvernement fédéral préfère bricoler son propre petit gadget numérique”

A cela, Mathieu Michel rétorque : “La SFPI investit souvent dans ce genre de sociétés, mais cela n’est pas suffisant pour nous en tant que garantie. Itsme n’est pas une société publique. Si la SFPI ne possède que 20%, le reste de l’actionnariat est donc bien privé.”

La manoeuvre est claire : s’affranchir de la société privée Mobile ID derrière l’app’ d’identification à succès pour développer et maitriser en interne une solution d’authentification maison au sein de l’administration BOSA, en vue de l’élaboration du “digital wallet”.

“Des dépenses considérables”

Bart Eeckhout, le rédacteur en chef du quotidien De Morgen résume ses inquiétudes sur le site Daardaar : “Le gouvernement fédéral préfère bricoler son propre petit gadget numérique voué à coexister avec un système déjà efficace, plutôt que de coopérer. Et de surcroît, il y a de fortes chances que le nouveau service développé par le fédéral, même s’il fonctionne moins bien que ce qui existe déjà sur le marché, reçoive la priorité en matière de contacts avec l’administration, au point de chasser ce qui fonctionne mieux. Résultat pour le citoyen-contribuable : des dépenses considérables pour un service de moindre qualité.

La fédération des entreprises technologiques Agoria s’interroge, de son côté, sur la cohérence de la démarche de Mathieu Michel. À la lecture des récentes déclarations, nous constatons qu’il y a maintenant une volonté de développer un produit concurrent avec les fonds de relance“, explique Dominique Demonté, directeur Context chez Agoria. “Là ou d’autres pays se demandent comment utiliser les fonds de relance pour créer des champions européens du numérique, nous devons éviter une situation où les fonds publics sont utilisés en Belgique pour concurrencer des solutions que l’État a lui-même contribué à développer. Et qui fonctionnent.”

Une app’ trop coûteuse, à l’origine de la discorde ?

Mathieu Michel :
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Des informations filtrent aussi sur un désaccord possible entre le gouvernement et la société Belgian Mobile ID qui pousserait les autorités à se débarrasser de l’app’. Il y a quelques années, la loi prévoyait que le gouvernement paierait un maximum de 450.000 euros par an pour l’utilisation d’itsme. Mais selon certaines sources, l’entreprise demande maintenant beaucoup plus, à la suite d’une discussion technique sur ce qui relève ou non du budget. D’autre part, ces dernières années, le plafond n’a jamais été atteint. L’année dernière, 350.000 euros ont été versés, les années précédentes jamais plus de 260.000 euros.

De Tijd et d’autres médias avancent que l’entreprise à l’origine d’itsme facture aujourd’hui la somme astronomique de 800.000 euros. Cette hausse s’expliquerait par le fait que la fameuse application CovidSafe, pour laquelle itsme était le moyen de connexion le plus facile, a fait grimper en flèche le nombre d’utilisateurs d’itsme.

Là, il y a vraiment une confusion, explique à Trends Tendances Mathieu Michel. Au fédéral, les coûts sont maitrisés, on arrive à 350.000 euros, ce n’est vraiment pas cher. La question posée pour les coûts élevés est pour l’utilisation d’itsme dans le cadre du Covid Safe Ticket. Quand Digital Vlaanderen a élaboré le CST, ils ont décidé pour je ne sais quelle raison, de ne pas passer par le FAS (ndlr : le Service Fédéral d’Authentification) mais directement par itsme. Or, selon l’Arrêté royal, itsme est gratuit quand on passe par le FAS. D’où la réaction de Frank Robben (ndlr : derrière l’appli CovidSafe) qui a décrété que 800.000 euros, c’était trop cher. Cette facture n’a donc rien à voir avec l’Arrête royal.”

12 millions du plan de relance

L’entreprise Belgian Mobile ID indique de son côté, par voie de communiqué, que ces informations publiées sont “incomplètes” ou “ne correspondent pas à la réalité”, notamment concernant les indemnités. Belgian Mobile ID explique ne pas pouvoir communiquer de montant mais souligne que le gouvernement bénéficie, en tant que partenaire préférentiel, “de conditions nettement avantageuses”.

Mathieu Michel tient aussi à rectifier une autre information financière erronée parue dans la presse : “On a parlé d’un budget de 50 millions d’euros pour le développement de l’app’ pour l’authentification alors que 50 millions d’euros c’est le budget total – personnel et fonctionnel – du SPF Bosa. On a obtenu dans le cadre du plan de relance 12 millions d’euros pour réaliser l’ensemble de la digitalisation du portefeuille digital. C’est beaucoup plus vaste.”

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