Le “masterplan” des rives de Charleroi: la nouvelle vie du quartier de la gare

Les rives de Charleroi Le projet prévoit l'aménagement de 50.000 m2 jouxtant la gare. On y retrouvera des espaces d'innovation industrielle, des bureaux et des logements. © PG
Christophe De Caevel
Christophe De Caevel Journaliste Trends-Tendances

Les autorités locales mènent, en partenariat avec la SNCB, un ambitieux plan d’aménagement mêlant logements, commerces et bureaux, autour du centre technologique A6K. La première phase représente un investissement de 130 millions d’euros.

“Dans toutes les villes du monde/Le quartier le plus immonde/C’est toujours celui d’la gare/Où l’on n’ose pas sortir le soir”, chantait le groupe liégeois Eté 67, qui avait obtenu un joli succès avec ce titre il y a une quinzaine d’années. La gare de Charleroi-Sud n’échappe pas à la règle, avec une accumulation de voiries, de vestiges industriels, de parkings et de sites de stockage dans son environnement immédiat. “Il y a là une concentration d’infrastructures avec un désordre incroyable, sans aucun aménagement urbain, lâche le bourgmestre et par ailleurs président du PS Paul Magnette. Utiliser les abords d’une gare comme site de stockage, c’est une véritable absurdité, c’est du gaspillage d’un foncier stratégique.”

Utiliser les abords d’une gare comme site de stockage, c’est du gaspillage d’un foncier stratégique.”

Paul Magnette, bourgmestre de Charleroi

La ville et l’intercommunale Igretec tentent de remettre de l’ordre dans cette anarchie urbanistique. Elles sont en passe de conclure un accord avec la SNCB, en vue de l’aménagement de 50.000 m2 jouxtant la gare de Charleroi-Sud, dans un ensemble mêlant espaces d’innovation industrielle, bureaux et logements, réunis sous le label “Les rives de Charleroi”, en raison de la proximité de la Sambre. Cela représente un investissement immobilier estimé à plus de 130 millions, dont 86 seront financés par le plan de relance européen.

La direction de la SNCB, accompagnée du ministre fédéral de la Mobilité Georges Gilkinet (Ecolo), a rencontré fin mai les autorités locales, en vue de finaliser les modalités financières et administratives du projet. Les partenaires créeront ensemble un SPV (special purpose vehicule), dont le champ d’action intégrera aussi les 30.000 m2 du site dit de la Villette, situé de l’autre côté de la gare et qui sera reconditionné dans un second temps. Pour l’heure, la priorité, ce sont les espaces dont la réhabilitation sera financée par l’Europe car celle-ci exige que les moyens du plan de relance soient engagés avant la fin 2026. “Nous avons donc anticipé et lancé les études sans attendre que la structure juridique soit pleinement opérationnelle”, précise le directeur d’Igretec Renaud Moens.

Un démarrage en mode start-up

Le coeur de ce projet d’aménagement, c’est l’installation d’A6k-E6K dans l’ancien tri postal, juste à côté de la gare. Cette idée a émergé à travers le plan Catch, destiné à organiser le rebond carolo après le départ de Caterpillar et perpétuée à travers Sambrinvest, actionnaire unique de la structure. Le pari émis alors par toutes les forces vives était celui-ci: créons une plateforme d’échanges autour des sciences de l’ingénieur, grâce à laquelle les acteurs industriels, petits et grands, collaboreront, partageront leurs ressources d’innovation et développeront des prototypes. Le site servira aussi de centre de formation aux compétences numériques de haut niveau, en mutualisant les ateliers de différents acteurs (Ifapme, Technofutur, etc.) et en y associant directement les entreprises.

“Nous avons commencé en mode ‘start-up’ sur 4.000 m2, raconte Abd-Samad Habbachi, directeur d’A6K. Maintenant, je pense que nous avons réussi notre période de proof of concept et que nous pouvons passer à l’étape supérieure.” Des grandes entreprises comme Alstom, AGC, Thales ou I-Care sont impliqués dans l’aventure depuis le début, de même que plusieurs centres de recherche (Materia Nova, Cetic, Multitel, Sirris, etc.) et plusieurs pôles de compétitivité. Des universités les ont rejoints depuis, à savoir l’ULB, l’UCLouvain, l’Umons et l’UNamur. “Les premières start-up commencent à naître au sein d’A6K, se réjouit Abd-Samad Habbachi. En alliant l’innovation, l’incubation et l’éducation, nous créons l’écosystème qui permettra à Charleroi de redevenir un phare de la technologie.”

Nous créons l’écosystème qui permettra à Charleroi de redevenir un phare de la technologie.”

Abd-Samad Habbachi (A6K)

Les moyens du plan de relance européen permettront de porter A6K-E6K de 4 à 30.000 m2 et d’y installer plus de 200 chercheurs. Ces seuils sont, nous dit-on, nécessaires pour inscrire un lieu sur la carte économique européenne. “Une concentration des moyens et une collaboration des acteurs est indispensable pour atteindre une taille critique et réussir le redéploiement de notre économie, affirme Thomas Dermine, secrétaire d’Etat à la Relance (PS). C’est une vision politique que nous devons garder à l’esprit, par rapport à l’avenir des structures de formation et de recherche en Wallonie.”

C’est ici que les ambitions économiques et urbanistiques se rejoignent: la croissance d’A6K-E6K amorcera l’aménagement de l’ensemble de la rive droite de la Sambre, dans le quartier de la gare. Le masterplan prévoit en effet plus de 20.000 m2 supplémentaires affectés au logement, aux bureaux et aux commerces. “Nous tenons à cette mixité de fonctions, insiste Nathalie Czerniatynski, directrice du développement économique, immobilier et territorial chez Igretec. Nous voulons redonner de la vie à ce quartier, il ne faut pas que ce soit un ensemble de bureaux où tout est fermé à 17 heures.”

La SNCB dans la danse…

Encore fallait-il convaincre la SNCB de s’inscrire dans ce schéma. Au départ, la demande des Carolos a surpris mais, très vite, l’entreprise y a vu aussi son intérêt. “Cela reste un site ferroviaire, adossé à la gare, explique Patrice Couchard, directeur général Gares et Immeubles à la SNCB. Il est important pour nous de déterminer les fonctions de ces espaces, de veiller à ce que leur développement soit en ligne avec notre stratégie. La qualité des aménagements urbains autour des gares est cruciale.”

L’exemple, c’est le succès de Be Central, le campus dédié au numérique aménagé à la gare de Bruxelles-Central et qui est, selon Patrice Couchard, “une formidable réaffectation d’espaces utilisés par les services techniques de la SNCB”. Le contre-exemple est aussi bruxellois, en l’occurrence le quartier d’affaires très monolithique autour de la gare du Nord. “Nous voulons une vraie diversité, avec des logements et des commerces, assure le responsable des gares. Mais, bien entendu, nous surveillons aussi le retour sur investissement pour la SNCB.” C’est pour cette raison qu’elle souhaite vendre l’hôtel des chemins de fer, un immeuble de 6.000 m2 en forme de paquebot situé au bout de l’îlot en bord de Sambre, et dont le prix est estimé à 1,6 million d’euros. Le bâtiment, qui affiche un réel cachet architectural mais n’était plus occupé, sera affecté au logement. Les aménagements devront respecter les lignes directrices fixées dans le masterplan, dans un souci de cohérence de l’ensemble. Infrabel devrait, par ailleurs, continuer à occuper l’immeuble voisin de cet hôtel des chemins de fer, à nouveau en veillant à bien l’intégrer dans le schéma d’ensemble. Le reste de l’espace autour d’A6K-E6K fera, lui, l’objet d’un bail emphytéotique géré par le SPV.

Partenariat prolongé

La SNCB prévoit également la refonte de la gare et de son couloir sous voies (37 millions), de la gare des bus et des espaces actuellement dévolus au parking, situés à droite de la gare (A6K-E6K est, lui, sur la gauche). Ce site de la Villette s’étend sur 30.000 m2 et les aménagements devraient suivre le même esprit d’attractivité du quartier de la gare et de diversité des fonctions, avec la construction de logements et d’espaces commerciaux. En conséquence, le nombre de places de parking (1.600 actuellement) sera revu à la baisse, d’autant que l’intention est également d’étendre les espaces dévolus aux vélos. Ce projet n’en est toutefois qu’à la phase des études préalables et ne devrait pas se concrétiser avant quelques années. Mais une chose semble acquise: la conception se fera en partenariat avec la ville et l’intercommunale Igretec, afin que ce vaste espace s’intègre dans les priorités urbanistiques du développement de Charleroi. C’est pour cela, rappelle Renaud Moens (Igretec), que “le SPV aura un cadre d’action plus large qu’A6K et le plan de relance”.

La gare de Charleroi-Sud est actuellement la 4e de Wallonie et la 13e de Belgique en nombre de voyageurs. Les projections prévoient une montée de la fréquentation moyenne qui passerait de 70 à 93.000 voyageurs par semaine d’ici 2030 et l’aménagement des “Rives de Charleroi” contribuera bien entendu à l’attractivité de cette gare. “Il est clair que nous pouvons faire bien mieux comme aménagement que l’aspect parking actuel, dit Pauline Cabrit, urbaniste à la SNCB. L’ambition générale est de bien ancrer nos 550 gares dans leur environnement.”

En face de la gare, une partie des quais de la Sambre a déjà été joliment restaurée (et le privé embraie en rénovant les maisons de maître donnant sur la rivière). Ce développement sera à l’avenir prolongé – sur la gauche en sortant de la gare – par une marina, ouvrant sur un nouveau parc d’affaires (Left Side Business Park) pour lequel on prévoit la construction de plusieurs tours, pour un total de plus de 100.000 m2.

Une gare, c’est le coeur d’un quartier, résume Paul Magnette. C’est vrai pour une grande ville mais aussi pour des petites gares. A Marchienne, à Fleurus, à Châtelet ou ailleurs, il y a plein de très beaux chantiers potentiels pour la SNCB et Infrabel. En région parisienne, des ‘délaissés urbains’ de la SNCF ont été réaffectés en parcs, cela améliore la qualité de vie de ces quartiers. Des chancres, des espaces de stockage retrouvent de la valeur. Nous pouvons nous en inspirer pour le futur de nos propres délaissés urbains.”

Les futurs occupants d’A6K sont déjà connus

Mais revenons au coeur du développement actuel, à savoir A6K-E6K. D’ici 2026, les bureaux et ateliers dédiés à l’innovation et à l’incubation passeront de 1.800 à 12.350 m2, tandis que les espaces dévolus à la formation passeront de 1.600 à 20.000 m2. Ceux-ci déborderont désormais de l’ancien tri postal, vers de nouvelles constructions sur la dalle des parkings (côté voies). Sur cette même dalle, mais côté Sambre, le masterplan prévoit l’érection d’immeubles mixtes avec des commerces et bureaux aux premiers étages (avec notamment des classes pour BeCode), et des logements, probablement sur un mode “co-living”, aux étages supérieurs avec des terrasses donnant sur la rivière.

Nous voulons redonner de la vie à ce quartier, il ne faut pas que ce soit un ensemble de bureaux où tout est fermé à 17 heures.”

Nathalie Czerniatynski (Igretec)

La structure de l’ancien tri postal (qui héberge A6K) sera préservée mais une percée sera réalisée au milieu pour fluidifier la circulation et casser le côté très imposant de l’édifice. “Nous savons déjà quelles sociétés, quels centres de recherche, quels opérateurs de formation occuperont tous ces espaces”, assure Abd-Samad Habbachi. Dans le courant de l’année, plusieurs infrastructures de test et de prototypage seront installées au sein du bâtiment. Il s’agit notamment du “supercalculateur” développé par le centre de recherche Cenaero ou du 5G Lab initié par Proximus. “Il faut continuer à instiller la même dose de rêve dans ce beau projet“, conclut Thomas Dermine, qui était à l’origine de toute cette réflexion dans le plan Catch.

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