De Bruxelles à Arlon, la mutation des quartiers de gare

Victor: "Cela fait 12 ans que ce projet mixte situé près de la gare du Midi, à Bruxelles, est embourbé dans les arcanes juridiques.é © Jaspers-Eyers Architects 51N4E

Ils ont longtemps été réduits à des zones n’attirant que les amateurs de boissons alcoolisées ou de prostituées. Les quartiers de gare font aujourd’hui partie des sites les plus attractifs pour développer des projets immobiliers. Bureaux, commerces et logements s’y retrouvent. D’autant que ces espaces mixtes peuvent contribuer à sérieusement réduire les déplacements en ville et être particulièrement innovants. Tour d’horizon, de Bruxelles à Arlon.

Un renversement de paradigme. En une quinzaine d’années, les quartiers de gare sont passés du statut d’espaces abandonnés et insécurisés à celui de pôles attractifs qui concentrent les atouts. Une évolution dans les modes de pensée qui a mis davantage de temps à percoler en Belgique qu’à l’étranger. Mais depuis que le train est lancé, la plupart des promoteurs immobiliers se sont mis en quête d’un foncier ou d’un immeuble situé à moins de cinq minutes à pied d’une gare. Si bien qu’aujourd’hui, tous les terrains aux abords des grandes gares font l’objet d’un développement immobilier ou d’une intense réflexion de densification devenant mener à une réhabilitation de ces quartiers.

Un constat que l’on peut effectuer aux quatre coins de Wallonie et de Bruxelles d’autant que, dans le même temps, la SNCB a accéléré le développement de son concept de gare habitable. “La première question que je pose à mes équipes quand elles me présentent un nouveau projet est de savoir où est situé la gare, précise Stéphan Sonneville, le CEO d’Atenor. Les quartiers de gare disposent d’un potentiel gigantesque pour devenir des lieux de vie, de passage et d’échanges. Ils permettent de dynamiser le volet économique par la présence de bureaux, ils possèdent un rôle social par la mixité et le brassage culturel qu’ils engendrent et sont de vrais atouts environnementaux puisqu’ils réduisent les déplacements à leur plus simple expression. Prendre le train et rejoindre directement son bureau est bénéfique pour toute la société. Les mètres carrés construits à ces endroits sont utiles pour toute une ville. Ils créent des quartiers animés et sécurisés, dont profite la collectivité.”

Les quartiers de gare sont fondamentaux pour sortir de la crise sanitaire.”

Stéphan Sonneville, CEO d’Atenor

La plupart des projets qui sont développés aux abords des gares sont aujourd’hui mixtes. Ils mêlent bureaux, logements et commerces. Reste qu’ils doivent être accompagnés d’espaces publics de qualité pour devenir attractifs. Ce qui fait encore défaut. “L’image de ces quartiers a complètement changé ces cinq dernières années, explique Cédric Blanckaert, head of commercial activities & real estate valorization à la SNCB. Auparavant, ils étaient mal fréquentés et on y retrouvait essentiellement des cafés et des prostituées. Cela a bien évolué aujourd’hui. On le voit dans l’intérêt que certains promoteurs portent à tous les biens que nous mettons en vente. Et ce, dans toute la Belgique. Ils remarquent dorénavant davantage les atouts que les défauts.”

La manière dont il faut urbaniser ces espaces fait en tout cas l’objet d’une certaine unanimité sur le plan de l’aménagement du territoire. D’autant que cela contribue à lutter contre l’étalement urbain. “Il est évident que l’idée est d’amener nos navetteurs en priorité vers ces quartiers, poursuite Cédric Blanckaert. Si les bureaux sont situés à proximité de la gare, cela limite les déplacements. L’urbanisation doit se faire au plus près des noeuds des réseaux de transport durables.” Pour bien s’en apercevoir, tour d’horizon sur la ligne Bruxelles-Luxembourg.

Bruxelles, la porte d’entrée

Plusieurs quartiers de gare font l’objet d’intenses réflexions actuellement à Bruxelles. Des plans d’aménagement directeur (PAD) y sont en cours d’élaboration dans la plupart des cas. De quoi permettre de déterminer une vision claire de ces espaces appelés à connaître d’importantes mutations. Par exemple, si les grandes lignes du devenir du quartier de Bruxelles-Nord sont connues (favoriser la mixité fonctionnelle et ne plus y concentrer l’activité de bureau), c’est bien à la gare de Bruxelles-Midi que se situe le potentiel le plus important. Ses abords sont aujourd’hui bien peu séduisants avec un espace public abandonné et des immeubles peu attractifs. Ce qui ne donne pas vraiment envie d’y mettre les pieds.

La SNCB, avec les promoteurs BPI et Atenor, sont les principaux propriétaires de ce quartier. Cela fait 12 ans que ces deux derniers piaffent d’impatience à l’idée de lancer leur projet de tour Victor. “Il est étonnant que la priorité des pouvoirs publics ne soit pas mise sur l’aménagement de ces espaces, relève Stéphan Sonneville. Les quartiers de gare sont fondamentaux pour sortir de la crise sanitaire. La construction de bureau doit y être encouragée. Cela réduit à zéro les déplacements de ceux qui viennent en train. Et, par corollaire, cela réduit les embouteillages. Il faut y adjoindre d’autres fonctions comme du commerce, des logements, des équipements de même que des îlots de fraîcheur, etc. Les quartiers de gare doivent devenir les véritables portes d’entrée de Bruxelles, comme c’est le cas à Luxembourg, à Rotterdam, à Londres (King’s Cross) ou à Lyon (Part-Dieu).”

A Liège, le quartier de la gare est en plein essor.
A Liège, le quartier de la gare est en plein essor.© a2m Jaspers-Eyers Architects, BAG

Victor, projet mixte (72.000 m2 de bureaux, 102 logements conventionnés et 32 logements libres pilotés par Citydev.brussels) est embourbé depuis de nombreuses années dans les arcanes juridiques bruxelloises. Le PAD devrait enfin passer en première lecture auprès du gouvernement bruxellois d’ici la fin de l’année, de quoi dégager quelque peu l’horizon. ” Après 12 ans d’attente, j’ai fait le deuil de ma rentabilité sur ce projet, regrette Stéphan Sonneville. Mais je ne l’abandonnerai pas car j’ai une vision pour cette ville. Bruxelles a bien plus besoin de projets de ce type qu’Atenor, qui est présent dans une dizaine de grandes villes européennes et qui peut y tirer une part importante de ses revenus. ”

Ottignies, l’avant-gardiste

A Ottignies, BPI est en train de développer un nouveau quartier de plus de 900 logements sur un ancien site industriel situé à quelques mètres de la gare. La demande de permis d’urbanisation a pris du retard mais sera déposée d’ici la fin de l’année. L’idée est d’y aménager un quartier faisant la part belle aux modes de transport doux, où la voiture n’est clairement pas la bienvenue. “Il n’y aura d’ailleurs qu’une seule place de stationnement par logement au lieu de deux, explique Philippe Sallé, responsable du développement chez BPI. Les parkings seront également évolutifs, de manière à pouvoir redevenir des espaces verts si la mutation des modes de transport s’opère réellement. Ce sont des choix forts, avant-gardistes en matière de mobilité, que nous effectuons pour inciter les nouveaux habitants à adhérer à un nouveau mode de vie faisant la part belle à la mobilité alternative.” Si Montois Partners et MSA se sont chargés des premières esquisses, l’idée est de faire appel à plusieurs bureaux d’architecture différents de manière à donner une réelle identité au quartier. On y retrouvera en tout cas une grande typologie de logements différents (appartements, logements collectifs, maisons).

BPI va également tenter de redynamiser le quartier de la gare de Bruxelles-Midi à travers le projet Victor. Deux dossiers qui sont dans la nouvelle lignée de ce promoteur urbain qui vise désormais à offrir des logements aux multiples solutions de mobilité. “Les quartiers de gare sont des quartiers essentiels dans lesquels il est important de proposer des projets d’envergure pour pouvoir avoir un réel impact sur l’environnement proche, note Philippe Sallé. Il est nécessaire de développer plusieurs immeubles en un coup et d’avoir directement une certaine mixité. Ces quartiers, souvent délaissés par les pouvoirs publics et les habitants, se sont fortement développés ces dernières années dans de nombreuses villes européennes. Mais pour les voir renaître, il est important que les pouvoirs publics agissent comme levier. C’est un win-win car ces espaces touchent de nombreuses affectations différentes, que ce soit logement, hôtel, école, bureau ou commerce.”

La plupart des projets qui sont développés aux abords des gares sont mixtes, mêlant bureaux, logements et commerces.

Gembloux, l’ambitieuse

Un site de 16,5 hectares, idéalement situé au bord de la ligne 124, à hauteur de la gare de Gembloux, dans le triangle formé par la N4, la chaussée de Charleroi et la chaussée de Wavre. Deux promoteurs sont à la manoeuvre. Le premier, Actibel, a mis la main sur l’ancien terrain industriel d’Euro Fonderie il y a près de 20 ans. Le second, l’association momentanée entre Besix Red et Thomas & Piron, a racheté un terrain voisin de 4 ha il y a une demi-douzaine d’années. Histoire d’avoir une vue d’ensemble du développement de ce site, la commune et le BEP (Bureau économique de la province de Namur) ont établi un plan directeur pour baliser les grandes orientations. On y retrouvera donc au total près de 1.180 logements. “Le processus urbanistique est relativement long mais nous espérons déposer notre demande de permis d’ici la fin de l’année, précise Paul de Sauvage, CEO d’Actibel. Les constructions s’étaleront sur une décennie. La première phase concernera 57 logements.” Ajoutons que le ministre wallon de l’Aménagement du territoire a approuvé le 13 octobre dernier le Périmètre de remembrement urbain de l’entièreté du site, de quoi accélérer la mise en oeuvre de ces dossiers.

Le quartier de la gare à Gembloux abritera à terme 1.180 logements.
Le quartier de la gare à Gembloux abritera à terme 1.180 logements.© Asymetrie

Si développer un projet aux abords des gares semble évident aujourd’hui, c’était loin d’être le cas il y a 20 ans. Actibel avait pourtant déjà flairé la bonne affaire à l’époque. “Nous sommes en effet quelque peu précurseurs en la matière, sourit Paul de Sauvage. J’ai toujours été convaincu du potentiel de ce type de projet. La longueur des procédures nous aura au moins permis de revoir le programme du projet, en augmentant la densité et en proposant des immeubles plus déstructurés. Le quartier sera bien plus agréable. Il sera pédestre, dans l’esprit de Louvain-la-Neuve, avec une mixité de fonctions. Il devra en tout cas générer de nombreux flux.” D’autant que les navetteurs seront nombreux puisque Gembloux est aujour-d’hui la sixième gare wallonne en termes de voyageurs, avec près de 2 millions de navetteurs chaque année.

Namur, l’intégration

“Les projets de gare sont des développements qui font sens, explique Raphael Legendre, CEO de Besix Red Belgique. Historiquement, ces quartiers ne sont pas des lieux attractifs. Ils n’ont pas fait l’objet d’une grande réflexion urbanistique. Il s’agit le plus souvent de sites à redynamiser. Besix Red a justement orienté ces dernières années une partie de son action vers ces sites. Notamment au Luxembourg avec les projets Soho, Impulse ou Kons. En Belgique, nous avons des projets de ce type à Louvain-la-Neuve, Gembloux, Alost ou encore Namur. Nous visons des sites qui peuvent devenir des hubs en termes de mobilité et d’activité. Des projets qui génèrent du flux et de la vie au lieu d’être uniquement des lieux de passage.”

L’expérience acquise en la matière, principalement à Louvain- la-Neuve via le projet Esprit Courbevoie, doit permettre au promoteur de proposer des aménagements réfléchis tant à Alost qu’à Gembloux ou à Namur. Dans la capitale wallonne, Besix Red a mis la main sur le projet commercial de Banimmo baptisé Côté Verre (20.000 m2), situé juste en face de la gare, square Léopold. Après de longues discussions avec la Ville, il est enfin en passe d’être reconfiguré en un projet mixte mêlant commerce (20.000 m2), logement (12.000 m2) et bureau (8.000 m2). Un jardin couvert et un food hall sont également imaginés. Un périmètre de remembrement urbain est en cours. “L’idée est en tout cas de profiter de ce projet pour retisser des liens entre la gare et le centre- ville”, poursuit Raphael Legendre, qui ne se risque plus à s’avancer dans un éventuel planning tant ce dossier a accumulé les contretemps ces dernières années.

Arlon, la stratégie

A proximité de la gare, de l’autre côté des voies de chemin de fer, Houyoux Construction est en train de terminer le développement des Terrasses du Luxembourg. Un écoquartier de 175 appartements construit sur l’ex-site Genin qui comprend également une résidence- services, des petites surfaces commerciales et du bureau. Son centre est entièrement piéton. Un projet qui doit donner un nouvel élan au quartier et contribuer à sa redynamisation.

Dans le même ordre d’idées, la SNCB mettra en vente en 2021 l’ancien Hôtel des Chemins de fer, situé au 61 de l’avenue de la Gare. Une belle bâtisse de 3.800 m2 datant de 1874. “Le souhait de la Ville est de transformer le bâtiment en logement mais on peut très bien y imaginer une affectation de bureau, estime Cédric Blanckaert. Cet ensemble comprend également un grand parking et des espaces verts à l’arrière, ce qui va vraiment contribuer au renouveau de ce quartier. Ce sont des projets vraiment stratégiques.” Le prix n’est pas encore fixé.

La SNCB vend le devenir des Guillemins

A Liège, le quartier de la gare est en plein essor. Befimmo et Matexi y développent notamment sur un vaste terrain d’1,6 ha situé en face de la gare un écoquartier de 35.000 m2 mêlant logements, bureaux, crèche, horeca et espaces verts. Les travaux sont en cours, pour des premières livraisons attendues en 2021. Un projet qui s’inscrit dans la volonté de la Ville de redynamiser les abords des Guillemins.

La SNCB contribue à cette démarche : elle vient de décider de se délester de plusieurs biens de manière à ce que des promoteurs embrayent dans cette voie. Elle vient, par exemple, de mettre en vente via un droit de superficie de 50 ans, un terrain de 5.000 m2 situé rue du Plan incliné, le long des voies de chemin de fer. “De quoi permettre le développement d’un projet de bureaux de 15.000 m2, lance Cédric Blanckaert. L’appel d’offres est en cours, des candidats sont déjà intéressés. Le canon (redevance emphytéotique, Ndlr) démarre à 100.000 euros par an minimum.” On évoque des sociétés actives dans le domaine des assurances et des banques parmi les premiers candidats. Juste en face de ce terrain, la SNCB souhaite également se séparer de l’immeuble de huit étages situé au numéro 145 de la rue du Plan incliné.

Enfin, autre terrain particulièrement bien localisé qui est mis en vente : les parkings P2 et P5 (13.000 m2) situés au croisement de la rue Varin et rue Bovy, pile en face de la gare. Une valorisation de cet îlot est souhaitée. Le Périmètre de remembrement urbain impose un mix (tertiaire, habitat, hôtellerie, commerce) pour l’un, de l’habitat pour l’autre. Ajoutons que la Ville de Liège est propriétaire de terrains et bâtiments voisins qu’elle souhaiterait également mettre en vente pour qu’un projet d’envergure émerge sur cet ensemble.

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