Rush sur la périphérie verte du Pays Noir
Les communes de la périphérie sud de Charleroi profitent des faveurs de nombre d’acquéreurs. Les prix des villas y sont montés en flèche.
Débordé. Le notaire Jean-Benoît Jonckheere le confie d’emblée, il ne sait plus où donner de la tête tant le marché immobilier carolo est sous pression. “C’est vraiment inhabituel”, souligne-t-il. Dans son étude, située à Couillet, les actes de vente se succèdent à un rythme effréné. Avec ceci de particulier que cette activité immobilière débordante est alimentée par un attrait renouvelé pour les communes vertes du sud de Charleroi, dont les villas cossues et leurs grands terrains font tourner la tête des candidats-acquéreurs.
“La crise sanitaire a creusé encore le fossé entre les gens aisés et ceux qui le sont moins, analyse Me Jonckheere. Les plus fortunés, qui peuvent s’offrir une maison à 300.000, 400.000, voire 500.000 euros à Gerpinnes, Montigny-le-Tilleul ou Ham-sur-Heure-Nalinnes, ont accès au crédit sans difficulté et profitent de taux d’intérêt hypothécaires très bas.” De l’autre côté, les plus fragiles sont refoulés par les banques qui exigent une large quotité de fonds propres. Un “paradoxe”, décrit le notaire, qui se reflète dans les prix des biens. “La hausse de valeur est très forte pour les biens qui évoluent dans des catégories de prix déjà élevées, tandis qu’elle est plus tempérée sur le marché bas de gamme”, remarque-t-il.
Le retour en ville que l’on observait ces dernières années a été stoppé net. ” Jean-Benoît Jonckheere, notaire à Couillet
La fin du retour à la ville
Bien sûr, le poids des confinements successifs, le recours généralisé au télétravail et l’envie de calme, de nature et de plus d’espace ou de confort de vie participent au succès de la banlieue verte de Charleroi, ajoute Jean-Benoît Jonckheere. “Mais ce n’est pas comme à Bruxelles ou dans d’autres grandes villes, où il y a une véritable fuite des citadins qui vendent leur appartement pour acheter une maison à la campagne”, souligne-t-il. Pour la simple et bonne raison qu’ici, la majorité des gens habitent déjà dans des maisons. “Certes, en centre-ville et dans les premières couronnes, elles sont plus petites et ne bénéficient pas toutes d’un jardin.”
Le notaire se fait aussi l’écho d’un renversement de tendance lié à la crise sanitaire. “Le retour en ville que l’on observait ces dernières années a été stoppé net. Les candidats-acquéreurs ont fait marche arrière.” Et leurs rangs ont considérablement grossi. “La demande est telle que ces propriétés cossues qui, par le passé, patientaient sur le marché avant de trouver preneur se vendent aujourd’hui en un mois!” Même les villas des années 60-70 ont retrouvé des couleurs, elles qui hier encore étaient boudées pour leur petit air vieillot, leur forte consommation énergétique et les travaux de rénovation et de remise aux normes importants à prévoir. “Les acheteurs ne font plus de distinction à présent. Tout se vend vite et bien”, relève Me Jonckheere, qui épingle notamment le quartier dit “des avenues” à Marcinelle, où nombre de seniors se sont défaits de leur grande maison pour vivre en appartement.
Peu d’appartements
Le neuf est tout aussi plébiscité que l’existant. Le moindre terrain à bâtir est traqué par les développeurs de maisons clé sur porte comme par les candidats-bâtisseurs. Tant et si bien qu’ils se font rares. “C’est une des raisons qui expliquent que les prix se maintiennent dans les communes au sud de Charleroi, intervient Brice Polomé, du bureau d’architecture Goffart Polomé, à Fleurus. On n’est pas en train de développer plus loin les territoires, mais de les combler.” Et de prendre l’exemple de la rue Pétrias, à Nalinnes, où le bureau a signé trois projets de villas, dont deux construits en même temps. “Tout le monde se rue sur cette artère bien située, non loin du centre de Nalinnes, de Jamioulx et de Loverval, où il reste des terrains. Et ce, d’autant que le “Trident”, le plan du contournement sud de Charleroi, n’a pas été mis en oeuvre. Cela les conforte dans l’idée de payer ces terrains au prix fort.”
Pour les projets de résidences à appartements, par contre, c’est un peu la disette. “Certaines communes, comme Ham-sur-Heure-Nalinnes, par exemple, ne préconisent pas la construction d’immeubles à logements multiples à moins qu’il ne s’agisse de la reconversion d’une ferme ou d’un bâtiment existant en plusieurs logements, rapporte l’architecte. Et ce, pour des raisons liées à la mobilité. Ce sont déjà des territoires de transition est-ouest et les autorités communales veulent préserver ces villages d’une pression automobile accrue.” Idem de Gerpinnes, qui refuse les projets d’immeubles à appartements. “Il y a trop peu de promotions immobilières dans la périphérie sud de Charleroi, abonde Jean-Benoît Jonckheere. Pour preuve, les résidences de petite taille qui sont construites dans des bons quartiers sont prises d’assaut par les seniors.” A tel point que certains se rabattent sur le Brabant wallon pour trouver des appartements.
Des “ghettos de riches”
A travers ses projets de villas contemporaines, le bureau Goffart Polomé s’efforce de promouvoir la construction durable. “On essaie de sensibiliser nos clients en les exhortant à ne pas étendre, mais densifier le bâti, assure Brice Polomé. On les conscientise aussi sur l’empreinte écologique de leur maison. La première chose qu’ils nous demandent, c’est d’installer des panneaux photovoltaïques sur le toit du bâtiment et une borne de recharge pour voiture électrique. Mais c’est d’abord et avant tout le choix des techniques et des matériaux de construction qu’il faut considérer pour limiter son empreinte écologique. Sans oublier l’isolation!”
Des enjeux auxquels la clientèle du bureau prête plus volontiers oreille, y étant par essence plus réceptive que d’autres générations. “Ce sont généralement des jeunes actifs de 30 à 40 ans avec enfants, dépeint l’architecte. Beaucoup de médecins, qui ont étudié ailleurs, ont fait leur internat à Namur ou Bruxelles puis reviennent à leurs racines carolos. Ils travaillent au GHDC ( Grand Hôpital de Charleroi, Ndlr) ou à Marie Curie et souhaitent profiter d’un cadre verdoyant proche de la métropole.” Des avocats, aussi, renchérit Me Jonckheere, plus largement des professions libérales. Mais, quoique Brice Polomé évoque un “environnement clos”, le notaire dément l’idée d’un “ghetto de riches”. “Ce n’est pas que bourgeois, c’est aussi et surtout villageois. Le folklore local – comme les marches de l’Entre-Sambre et Meuse à Gerpinnes, par exemple – fédère encore ces quartiers devenus huppés. L’esprit de village subsiste, même s’il y a pas mal d’extérieurs qui viennent y chercher une qualité de vie, avec des écoles primaires et secondaires à taille humaine, des commerces locaux qualitatifs (je pense au centre commercial du Bultia, où il y a un bon fromager, un boucher, un poissonnier, etc.), une campagne alentour où l’on peut s’aérer, faire du vélo… Ce sont des communes où le vivre-ensemble est encore convenable, fortes d’une densité de population moins importante qu’ailleurs. Sans trop bouger, on y bénéficie d’un environnement privilégié.”
Pas de Bruxellois
De là à dire que ces belles communes attirent des Bruxellois ou des Brabançons venus y chercher des maisons à moindre prix, il y a un pas que ni l’architecte, ni le notaire ne franchit. “Ce sont des Carolos, des gens du cru, assurent-ils. Ils évoluent dans leur cycle de vie et quittent la proche banlieue de Charleroi pour aller vers sa périphérie plus verte.” “Par contre, remarque, Jean-Benoît Jonckheere, il y a effectivement une migration de population pour ces plus petites maisons laissées vacantes au centre-ville ou en première couronne. Mais ce n’est pas le même marché, ce sont des gens plus modestes qui souhaitent accéder à la propriété, ne peuvent pas le faire à Bruxelles ou en Brabant wallon et achètent des biens dans des quartiers plus populaires de Charleroi.”
Le succès de la colocation
Le renouveau du centre-ville de Charleroi, amorcé depuis une dizaine d’années par une politique de grands travaux de rénovation, ne manque pas d’attirer les investisseurs. La start-up spécialisée dans le coliving Ikoab en fait partie. Elle y a établi sa première maison en colocation dès 2016, soit un an avant l’inauguration du centre commercial Rive Gauche. A présent, elle en compte… 13. ” Nous ciblons en priorité le haut de la ville “, explique Amaury Michiels, chargé du développement de la start-up. Et plus particulièrement les maisons de maître des rues d’Angleterre, Léon Bernus, Isaac, Huart Chapel, Zénobe Gramme, etc., proches du futur campus universitaire en travaux et donc, d’une partie de leur public de colocataires. ” La ville haute a été relativement bien préservée et on y trouve des maisons bourgeoises incroyables, dignes des belles maisons de Schaerbeek ou de Saint-Gilles dans la capitale. ” Le tout à des prix défiant toute concurrence en comparaison de ceux pratiqués dans les communes bruxelloises, de l’ordre de 100.000 à 150.000 euros, voire 200.000 à 300.000 euros pour les maisons plus grandes, qui comptent plus de 1.000 m2. ” Bien sûr, tout est à refaire “, admet Amaury Michiels, qui évoque un budget rénovation de 200.000 euros. Mais, forts de 8 à… 20 chambres en colocation, ces immeubles offrent un retour sur investissement beaucoup plus intéressant qu’à Bruxelles, où Ikoab est présente depuis 2015 avec un portefeuille de 39 maisons. La start-up n’est pas la seule à parier sur ce quartier. ” Depuis que nous sommes ici, j’ai vu un quart des maisons de la rue Léon Bernus être rachetées et rénovées! ”
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