Des dangers du bitcoin à ceux du “govcoin”

Pierre-Henri Thomas

Difficile de passer à côté du bitcoin. Entre amis, au téléphone ou sur une terrasse, il y a toujours un moment où quelqu’un demande si cela vaut la peine d’investir dans cet actif… hyperactif. La question turlupine aussi les autorités financières qui observent avec beaucoup d’appréhension les hoquets de la star des cryptomonnaies.

Pour ceux qui auraient raté la première saison, le bitcoin a été créé en 2008 par un groupe de libertariens en réponse à l’immense défiance qui régnait sur les intermédiaires financiers et les banques en particulier. La technologie sur laquelle est adossée cette cryptomonnaie, la blockchain, se pose comme un instrument infalsifiable, robuste et permettant un échange évacuant tout intermédiaire. Elle a le grand avantage d’être inviolable (impossible d’émettre de faux bitcoins) et de garantir l’anonymat. Si l’on connaît quels comptes font quelles transactions, si l’on peut exactement retracer le parcours de chaque bitcoin, il est en revanche aujourd’hui difficile de savoir qui est derrière ces comptes, et donc qui les détient. Voilà pourquoi le bitcoin est particulièrement prisé des terroristes et des spécialistes du blanchiment.

On voit déjà se dessiner un nouveau paysage monétaire où les cryptomonnaies privées devraient céder la place à des monnaies digitales légales qui reprendraient à leur compte les bienfaits de la blockchain.

C’est aussi un instrument totalement privé. Contrairement à une monnaie légale que l’on est obligé d’accepter et dont la valeur est adossée aux réserves de la banque centrale et à la capacité de l’Etat de lever l’impôt, le bitcoin ne repose que sur “l’effet Clochette”. A l’image de la fée dont la réalité augmente au fur et à mesure que davantage d’enfants croient en elle, la valeur volatile du bitcoin fluctue à mesure du nombre d’aficionados qui croient en lui… et aux tweets d’Elon Musk. Cependant, son mode de fonctionnement porte en lui les germes de son effondrement. Avec un volume de transactions sans cesse grandissant, l’énergie nécessaire, le temps et la puissance de calcul pour valider les transactions (les “miner”, dans le jargon) s’accroissent alors que selon les statuts du bitcoin, tous les quatre ans, les “mineurs” voient leur rémunération divisée par deux. Un jour ou l’autre, miner ne sera plus rentable.

Il reste qu’aujourd’hui, avec un encours qui avoisine les 1.500 milliards de dollars (après avoir frôlé les 2.500 milliards), le bitcoin et les 8.000 autres cryptodevises nées dans son sillage ne peuvent plus être ignorés des régulateurs. La Chine, les Etats-Unis, la Turquie, l’Union européenne semblent décidés à couper les ailes de cette pseudo-devise qui leur échappe.

Mais alors que le filet se resserre, on voit déjà se dessiner un nouveau paysage monétaire où les cryptomonnaies privées devraient céder la place à des monnaies digitales légales qui reprendraient à leur compte les bienfaits de la blockchain. Une cinquantaine de juridictions (parmi lesquelles l’Union européenne, le Royaume-Uni et les Etats-Unis) s’apprêtent à entrer dans la cour de ces “govcoins”, des cryptodevises légales et stables dont l’usage réduirait les frais de transaction, ferait disparaître la fausse monnaie et permettrait la mise en place d’une nouvelle finance automatisée. Mais aussi, si nous n’y prenons garde, qui amènerait de grands dangers.

Car avec une devise que l’on peut suivre à la trace, un Etat pourrait connaître non seulement l’intégralité de nos revenus (une arme nucléaire pour lutter contre la fraude fiscale) mais aussi l’intégralité de nos dépenses (ce qui lèverait de larges pans du voile qui protège notre vie privée). On voit déjà à quel point, lors du covid, certains organismes de centralisation des données sont tentés de franchir la ligne rouge. On suivra donc avec beaucoup d’attention cette révolution monétaire qui a entamé sa marche silencieuse.

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