Quel avenir pour les bureaux obsolètes?
L’essor du télétravail pourrait accélérer la mutation du territoire bruxellois. Des dizaines de milliers de mètres carrés de bureau vont se libérer, soit via une rationalisation des surfaces, soit via le besoin d’espaces “up-to-date”. De quoi dynamiser la reconversion de quartiers qui étaient jusqu’à présent monofonctionnels, comme le quartier nord ou le quartier européen. Une opportunité que la Région ne peut pas rater.
Proximus pourrait bien avoir ouvert le bal d’une seconde vague. Même si des entreprises ont déjà embrayé dans cette voie ces dernières années, sa récente annonce frappe les esprits car elle semble amorcer un nouveau virage, bien plus profond. L’opérateur a révélé fin octobre son souhait de mettre en vente d’ici janvier ses deux tours situées à la gare du Nord, avec l’idée de diminuer de moitié la surface de son QG (de 100.000 m2 à 50.000 m2) et de repenser entièrement son environnement de travail.
De grandes banques ou entreprises privées (Engie, Euroclear, etc.) devraient suivre d’ici peu, profitant de l’essor du télétravail pour accélérer la réflexion sur leur patrimoine immobilier. “Cette réflexion était entamée depuis quelque temps dans la plupart des grandes sociétés, confie Pierre-Paul Verelst, head of research BeLux auprès du conseiller en immobilier JLL. Mais le contexte actuel va clairement accélérer la prise de décision. Le télétravail s’installe dans la durée. Cela pousse les sociétés à repenser la manière dont elles conçoivent leur siège social et l’environnement de travail de leurs employés. Ce qui induira de nombreux bouleversements.” Les institutions publiques devraient également suivre le mouvement, elles qui disposent de larges espaces disséminés un peu partout à Bruxelles, alors que les institutions européennes ont déjà entamé cette politique de rationalisation depuis quelque temps.
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Une situation qui devrait en tout cas libérer des dizaines de milliers de mètres carrés de bureau dans les prochaines années dans toute la capitale. “Il est difficile de chiffrer la proportion de la surface de bureaux qui va disparaître à moyen terme, reconnaît Pierre-Paul Verelst. Ce que les experts de JLL prédisent, c’est que 30% des surfaces de bureau deviendront flexibles d’ici 2030 (pour un total actuel de 13 millions de m2 à Bruxelles, Ndlr). Alors que les réductions d’espaces plus classiques passeront dans un premier temps par des fins de bail voire des sous-locations (Engie s’y attèle déjà, Ndlr).” D’ici 18 à 24 mois, le taux de vacance pourrait déjà grimper d’1,5%, de quoi atteindre les 9%. On resterait toutefois encore éloigné du taux de vacance de 11% atteint en 2008 suite à la crise financière.
Le QG d’une entreprise va dorénavant être considéré comme une vitrine, un lieu d’innovation, d’expérience et de création.”
Benoît De Blieck (Befimmo)
Cette situation induit en tout cas deux grandes questions: que faire de tous ces bureaux et quel impact cette remise en question des espaces de travail va-t-elle avoir sur le territoire bruxellois? Même s’il est encore délicat d’en définir les contours exacts, tant les conséquences réelles du Covid restent encore floues, on peut néanmoins déjà relever quatre tendances fortes.
1. Des bureaux à transformer
Premier effet, la rationalisation des surfaces va s’accompagner d’une refonte des espaces de travail. Cela se concrétisera pour l’entreprise soit via une profonde rénovation de son immeuble, soit via un déménagement vers un nouveau bâtiment. “Le choix sera compliqué car il n’y a pas à Bruxelles suffisamment d’immeubles de bureau qui sont à la fois de qualité et bien situés, explique Céline Mandart, head of office agency Brussels chez JLL. De nombreuses entreprises cherchent actuellement des mètres carrés qui correspondent aux new ways of working“. Cette situation pourrait donc entraîner une augmentation de nouveaux projets puisque le parc doit se renouveler. Sans parler du fait que le volet sustainability devient de plus en plus prégnant et favorise également le renouvellement du parc. Des travaux qui pourraient aussi s’accélérer suite à la récente décision du gouvernement fédéral d’abaisser le taux de TVA de 21% à 6% pour les démolitions/reconstructions.
“Les entreprises ne vont subitement pas fermer leur bureau, comme Twitter a par exemple pu le faire à San Francisco, confie Axel Kuborn, le CEO de l’opérateur de coworking Silversquare. Il faudra par contre le réinventer, en multipliant les services et en offrant davantage de flexibilité à ses employés.” Et Benoît De Blieck, le CEO de Befimmo d’embrayer: “Le télétravail génère aujourd’hui une certaine lassitude auprès des employés. Mais ils ne veulent pas non plus revenir full time à leur bureau. Le QG d’une entreprise va dorénavant être considéré comme une vitrine, un lieu d’innovation, d’expérience et de création. A cela peut aussi s’ajouter la mise en place de tiers-lieux, des espaces qui ne correspondent ni au bureau ni à la maison mais où les employés pourront travailler ou se rencontrer à proximité de leur domicile. Je pense que le marché immobilier de demain ne sera plus composé d’espaces mais de solutions multiples que l’on pourra offrir à ses employés. Et nous anticipons ce mouvement.”
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Pour le duo Befimmo/Silversquare, l’avenir passe donc par une offre globale composée d’une flexibilité accrue et, dans certains cas, par un recours au coworking. “Le Covid a en fait validé notre stratégie et l’a même accéléré, précise Axel Kuborn, qui a vu son chiffre d’affaires baisser de 20% en 2020 et passer de 10 à 8 millions d’euros. Contrairement à d’autres sociétés de coworking qui ont mis au frigo leurs ambitions de développement, nous gardons le cap et continuons à ouvrir de nouveaux espaces, persuadés que les besoins des grandes entreprises seront à l’avenir multiples et que leurs employés viendront chez nous. Depuis le début du premier confinement, nous avons d’ailleurs signé 378 nouveaux contrats. C’est un signe. Les espaces que nous ouvrirons dans les prochains mois formeront la colonne vertébrale de notre stratégie, à savoir Anvers (2021), Gand (2022), Bruxelles (2021), Louvain-la-Neuve (2023), Liège (2022) et Luxembourg.”
2. Des bureaux à reconvertir
Bruxelles va donc tendre à l’avenir vers une réduction du nombre de mètres carrés de bureau. Un stock qui devrait faire gonfler le million de mètres carrés déjà inoccupés. “D’une manière générale, les superficies qui vont se libérer seront obsolètes, précise Benoît De Blieck. Il faudra donc les reconvertir.” Ils s’ajouteront aux 200.000 m2 de bureaux qui sont déjà estimés comme obsolètes… et qui ne trouvent pas preneurs. Les promoteurs s’étant déjà attelés ces dernières années à redévelopper les meilleurs actifs en résidentiel (639.170 m2 entre 2000 et 2015).
Ce nouvel afflux d’immeubles bien situés – à proximité de gares ou de lieux de service – devrait redonner un peu de vigueur à ces reconversions. Qui s’orienteront toujours vers le même segment: le résidentiel. Parmi les projets qui ont changé d’affectation ces dernières années, citons Fenix (Immpact) et Leopold Views (Matexi) à Evere, Parc Seny (Immpact) à Auderghem ou encore The Horizon (Home Invest) à Woluwe-Saint-Lambert. Cette vague s’était calmée ces dernières années, faute d’immeubles disponibles. Elle devrait donc reprendre de plus belle dans les prochaines années. D’autant que la diminution du taux de TVA pour les démolitions/reconstructions va aussi favoriser ce type de projet.
Un bémol toutefois: ces nouveaux logements renforcent surtout le segment supérieur du marché, vu les coûts élevés liés à l’achat et à la rénovation. Ce qui ne répond pas vraiment aux besoins d’accessibilité au logement en Région bruxelloise.
De nombreuses entreprises cherchent actuellement des mètres carrés qui correspondent aux ‘new ways of working’.”
Céline Mandart (JLL)
3. Des projets à repenser
Un exemple récent démontre les difficultés actuelles: la Région bruxelloise déménagera dans le courant du mois de novembre dans l’Iris Tower (ex-Silver Tower) propriété de Deka Immobilien. A la base, les 2.000 postes de travail prévus étaient destinés aux employés du Service public régional de Bruxelles (SPRB) et de Bruxelles Fiscalité. Reste que vu l’essor du télétravail, il semble certain que d’autres fonctionnaires ou ministères bruxellois s’y installeront à terme. Rudi Vervoort, le ministre-président, a déjà confirmé y réfléchir sérieusement. “La Région va clairement diminuer son parc immobilier à l’avenir, embraye Pierre-Paul Verelst. Une partie d’autres fonctionnaires pourrait d’ailleurs rejoindre l’Iris Tower. Alors que le solde devrait être rassemblé dans d’autres bâtiments.”
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Cela bouge donc à tous les étages. Les projets spéculatifs (sans locataire attitré) qui n’ont pas encore reçu leur permis sont d’ailleurs en train d’être revus par leur développeur, de manière à être adaptés aux nouveaux besoins. Pour ceux qui ont reçu un permis il y a peu, cela s’annonce plus compliqué. Prenons le cas de BNP Paribas Fortis, qui est en train de construire un nouveau siège central muni de 4.500 postes de travail à la rue Montagne du parc à Bruxelles. Il est plus que probable qu’une partie de cet immeuble de 103.500 m2 devra être loué à des tiers, vu l’émergence de nouvelles formes de travail.
4. Des quartiers à redessiner
Bruxelles est aujourd’hui composée de certains quartiers monofonctionnels qui ne correspondent plus aux enjeux de mixité de la ville de demain. Tant du côté de la Région que de Perspectives.brussels (en charge de la stratégie territoriale), l’idée est de procéder dans les prochaines années à une redistribution des fonctions dans ces quartiers, de manière à y adjoindre davantage de vie. Un héritage du passé qui prendra du temps à être modifié.
La crise actuelle pourrait toutefois faire office d’accélérateur, tant certains immeubles de bureaux vont se libérer plus vite que prévu et donner la possibilité de redessiner entièrement ces espaces. Deux sont en tout cas dans le viseur: le quartier européen et le quartier nord. Après des premiers balbutiements via l’ASBL Up4North mise en place par quelques grands propriétaires du quartier (AG Real Estate, Allianz, Axa, Befimmo, Belfius Insurance, Immobel, Triuva), la réflexion semble prendre un souffle nouveau. Un groupe de pilotage et une consultation citoyenne viennent d’être mis en place par le gouvernement bruxellois. L’objectif sera d’enfin exploiter le potentiel de cette zone, de manière à pouvoir y habiter, travailler, étudier et se détendre. La transformation s’annonce de longue haleine: le quartier nord compte aujourd’hui un million de m2 au total, essentiellement du bureau, pour seulement 5.000 habitants et 30.000 travailleurs. Pour l’heure, plusieurs transformations d’immeubles sont en cours, dont le projet du Centre de Communication Nord (Atenor, AG Real Estate et Axa IM-Real Assets) qui fait l’objet d’une importante reconversion y mêlant logement, bureau et commerce.
Promoteurs et habitants seront consultés dans les prochaines semaines pour définir une ligne de conduite. Perspectives.brussels encadrera la démarche, tant pour le développement de l’espace public que pour le bâti. “Cette démarche devrait aller relativement vite car nous avons déjà beaucoup travaillé sur le redéveloppement de ce quartier, lance Tom Sanders, directeur de Perspectives. Il doit devenir l’un des symboles de la manière dont on veut transformer Bruxelles.”
“La pandémie va accélérer la redistribution des fonctions dans certains quartiers”
Trends-Tendances. Quel impact a déjà pu avoir le Covid sur votre vision du territoire bruxellois?
Rudi Vervoort. Il a avant tout renforcé et confirmé certains éléments repris dans le Plan régional de développement durable (PRDD), l’idée générale étant d’améliorer la qualité de vie des Bruxellois. Que ce soit en matière d’espaces verts, de mobilité ou de logements de qualité. Mais la pandémie met surtout en avant la dualisation de la population bruxelloise. Les écarts se sont encore renforcés, accentuant la fracture sociale. Tous ne vivent pas cette période de la même manière.
Cette situation va-t-elle rendre encore plus difficile l’acceptation de la densification?
Non, je ne pense pas. Il ne faut pas confondre densification et ville compacte. Nous souhaitons surtout tendre vers une ville plus compacte, où la majeure partie des services et des équipements sont accessibles à 10 minutes à pied. Un travail est en train d’être réalisé sur les espaces verts. Selon le PRDD et le Plan Nature, chaque Bruxellois doit disposer d’un espace vert de plus de 1 hectare à moins de 400 m de son habitation et de moins de 1 hectare à moins de 200 m. 264.000 Bruxellois se situent d’ailleurs dans une zone de carence en espaces verts, soit à plus de 8 minutes à pied d’un espace vert public de plus d’un hectare. On les retrouve en centre-ville, le long du canal et en première couronne. Nos efforts vont se concentrer là-dessus. Nous songeons d’ailleurs à ” dédensifier ” certains quartiers pour les rendre plus agréables.
L’impact sur le monde du travail semble encore flou. Quelle est votre vision des choses?
Nous n’avons actuellement pas assez de recul pour voir les conséquences de cette pandémie sur le monde du travail. Mais il est évident qu’il faut s’attendre à certaines évolutions. Le télétravail va se structurer, les occupations de bureau vont être repensées. Les bureaux ne vont pas disparaître mais leur surface devrait diminuer. Ce qui pourrait entraîner une redistribution vers d’autres fonctions.
Et donc accélérer ce mouvement de transformation de certains quartiers…
En effet, je le pense. Prenons le quartier nord, sur lequel nous travaillons beaucoup. Il est monofonctionnel et restera un quartier de bureaux vu sa riche desserte de transports en commun. Par contre, il serait opportun d’y amener des habitants et d’autres fonctions. Dans le CCN, on retrouvera 40% de logements. C’est énorme. D’autres projets vont suivre en ce sens. Redéfinir le territoire prend du temps mais cette pandémie peut clairement accélérer le mouvement. Même s’il faudra encore un peu de temps pour voir exactement dans quel sens s’orienteront les changements.
Bruxelles éprouvait déjà des difficultés à retenir sa classe moyenne. La situation actuelle ne va-t-elle pas renforcer de mouvement?
Cela ne concerne pas uniquement la classe moyenne mais également les plus précarisés qui ne peuvent plus se loger et rejoignent la périphérie. Mais il est clair que nous devons nous atteler à créer les conditions pour garder cette population contributive. Nous sommes en train de tenter de créer une ville bien plus attractive. Même si, il faut l’avouer, cela prend du temps.
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