“La fin de l’ère d’abondance, évoquée par Emmanuel Macron, est annoncée depuis 1972”

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Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

Kenneth Bertrams, professeur d’histoire d’économie à l’ULB, souligne que les tourments économiques que l’on traverse sont écrits de longue date avec la fin de la croissance infinie. On a vécu dans l’illusion.

Kenneth Bertrams est professeur d’histoire d’économie à l’ULB. Il décode pour Trends Tendances le discours du président français, Emmanuel Macron, au sujet de “la fin de l’ère d’abondance”, qui fait écho aux “cinq ou dix années difficiles” du Premier ministre belge, Alexander De Croo.

Quand Emmanuel Macron évoque de façon grave “la fin de l’abondance”, ce mercredi 24 août, il renvoie à des références historiques: c’était écrit, non?

Cette évocation de la “fin de l’abondance” est effectivement interpellante. Cela fait d’abord penser au livre de John Kenneth Galbraith, The Affluent Society, traduit, en français, L’Ere de l’Opulence. C’est un ouvrage important, écrit en 1958, au coeur ce que l’on décrira ensuite comme les Trentes Glorieuses. Galbraith fait fait l’éloge de la société de consommation, mais il souligne déjà que cette celle-ci ne peut pas être infinie. C’était au moment de l’Exposition universelle de Bruxelles, on avait l’impression que cette consommation, la productivité, la hausse des revenus, tout cela était infini, sans tenir compte de l’environnement, des ressources… Mais si cela livre en fait le constat, il tire aussi la sonnette d’alarme.

On connaîtra un premier épisode signifiant cette fin de l’abondance avec la crise pétrolière des années 1970?

C’est vrai. Quand l’économiste Jean Forestier parle de “Trente glorieuses” allant de 1946 à 1975, il laisse entendre qu’elles sont finies. La crise pétrolière est passée par là. Le dollar n’est d’ailleurs plus la monnaie de référence, Nixon reconnaît qu’il n’y a plus de parité avec l’or. Les années 1970 représentent déjà une période d’instabilité.

Un autre livre qui compte, c’est le rapport Meadows publié sous le titre Les limites de la croissance en 1972. C’est un ouvrage fabuleux, fascinant, qui élabore une série de recommandations qui n’ont pas toutes été respectées, loin s’en faut. On y parle notamment de la fin annoncée de la croissance ou de l’empreinte écologique. A partir de leur modèle, ses auteurs évoquent déjà le fait qu’il y aurait une forte rupture dans le premier quart du XXIe siècle.

Cela n’avait pas été accueilli à l’époque avec enthousiasme. Mais nous y sommes…

Depuis, le néolibéralisme, mais aussi le pouvoir d’achat érigé en dogme par la gauche, ont empêché d’agir?

Absolument. Les années 1980-2000 ont été marquées par un développement effréné de la société de consommation. Surtout dans les années 1980, le néolibéralisme insistait sur la nécessité de résoudre la crise sociale en mettant les gens au travail, on a tué dans l’oeuf toutes les recommandations du rapport Meadows. Mais cela parlait à tout le monde: à gauche comme à droite, on défendait un industrialisme triomphant qui permettait le plein emploi et portait à la hausse le pouvoir d’achat. Il y avait peu de remise en cause des secteurs énergivores. Cette défense de l’industrialisme a été parallèle avec le développement d’un capitalisme financier voulu par les néolibéraux. Londres et New York ont dérégulé tous azimuts.

Pourtant, dans les années 1980 voient aussi la naissance des partis écologistes, issus d’une convergence entre le mouvement antinucléaire, les défenseurs du patrimoine écologique et de la biodiversité… Ils intégraient des éléments du rapport Meadow.

Emmanuel Macron se référe-t-il à tout cela en cette rentrée difficile?

Il a clairement ces références-là. Je crois qu’il a beaucoup lu cet été. Il tient depuis sa rentrée des conférences de presse à la tonalité dramatique, sans doute parce qu’il faut préparer les Françaois à ce qui arrive.

En évoquant la fin de l’abondance, il souligne que nous entrons dans une nouvelle ère et précise que la France et l’Europe doivent être au firmament de cette révolution annoncée.

Mais en même temps, il le fait pour préparer les esprits et tenter d’éviter un nouveau mouvement des Gilets jaunes qui risque de voir le jour dès lors que les travailleurs ne savent plus payer l’essence pour aller travailler. C’est une manière de couper l’herbe sous le pied des protestations, de dire que le moment est venu de résister ensemble.

Alexander De Croo a tenu un discours dans le même registre en parlant de “cinq à dix années difficiles”. En même temps, ils sont à la manoeuvre pour préparer les réponses, non?

Oui, ces discours politiques avec des références historiques ont une connotation particulière, un peu hors sol. Ce qui est difficiles à entendre, aussi, c’est que les années précédentes auraient été des années d’abondance, alors que certains ont déjà éprouvé beaucoup de difficultés. Que leur arrivera-t-il avec la crise qui arrive?

On peut imaginer que ces discours sont là pour préparer les populations à des mesures difficiles, notamment à des diminutions de consommation imposées au niveau de l’énergie, du chauffage, de la vitesse sur les routes…

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