Le chocolat belge doit-il trembler?
Fierté nationale, le chocolat belge représente une industrie de plusieurs milliards d’euros qui continue de croître. Un succès “made in Belgium” que les fermetures successives des usines Ferrero et Barry Callebaut ne devraient pas trop menacer. Mais d’autres inquiétudes pointent…
Croquant, fourré, enrobé. En barre, en praline ou à tartiner. Le chocolat. La seule évocation du mot est capable de faire saliver les millions de Belges qui en consomment environ neuf kilos par an. Ramener du chocolat est un incontournable sur la check-list des touristes en visite au plat pays. A Bruxelles-National, 1,5 kilo est vendu toutes les minutes, “l’équivalent de 800 tonnes par an”, précise Nathalie Pierard, porte-parole de l’aéroport. Le chocolat est une fierté nationale dont la réputation n’est plus à faire.
Oui mais voilà, en ce moment, en Belgique, le chocolat a un goût bien plus amer que d’habitude. La découverte de salmonelle dans deux usines belges (Ferrero et Barry Callebaut) en à peine quelques mois est venue jouer les trouble-fêtes. “Cette crise a été un véritable tsunami dont nous ne sommes pas sortis”, confiait Loïc Lallier, le directeur marketing de Ferrero à Linéaires, le mensuel français traitant du secteur de la grande distribution. En avril, l’entreprise avait dû rappeler ses produits Kinder et s’était également vu retirer son autorisation de production pour son usine d’Arlon. Des centaines de tonnes de chocolat avaient été détruites, une partie du chiffre d’affaires prenant le même chemin. Même si l’entreprise s’est refusée à tout commentaire, les conséquences sont sans doute considérables. D’autant que la crise s’est déclenchée en pleine période de Pâques, très prisée par les consommateurs de chocolat.
Avec quelle influence sur la réputation des produits made in Belgium? “Ferrero est une marque à part entière connue pour des produits spécifiques, ça n’a donc pas eu de répercussion immédiate sur l’image de notre chocolat”, estime Mieke Callebaut, conseillère chez Choprabisco, l’Association royale belge des industries du chocolat, de la praline, du biscuit et de la confiserie.
L’histoire aurait donc pu s’arrêter là. Mais c’était compter sans la paralysie de la plus grande usine de chocolat du monde, Barry Callebaut, à Wieze, en Flandre- Occidentale. En cause? La salmonelle, encore. A la suite de la présence de cette bactérie dans un échantillon de contrôle, l’entreprise a décidé d’interrompre d’elle-même sa production fin juin. “Cette bactérie aime se développer dans des produits qui ont une haute teneur en sucre et en graisse et une faible activité en eau, précise Aline Van den Broeck, porte-parole de l’Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire. Ce n’est donc pas très étonnant de la retrouver dans le chocolat.”
De nombreuses entreprises concernées
Le “problème” avec Barry Callebaut, c’est que la société compte de nombreux clients qui font partie des entreprises parmi les plus importantes du secteur en Belgique. Parmi elles, Neuhaus, Leonidas, The Belgian Chocolate Group, Guylian ou Mondelez (qui produit le chocolat Milka) mais aussi Nestlé ou encore Unilever (Magnum, Ben & Jerry’s et Carte d’or). Barry Callebaut livre son produit en vrac à une multitude de biscuitiers, fabricants de barres chocolatées et chocolatiers, qui préfèrent s’adresser à des géants comme le groupe suisse plutôt que de le produire eux-mêmes. D’après Korneel Warlop, porte-parole de Barry Callebaut, “73 clients belges ou étrangers sont concernés par cet incident”.
Barry Callebaut a proactivement détecté l’incident. Cela démontre à quel point nous sommes sérieux.”
Philippe de Selliers, président de l’association belge des industries du chocolat.
Quelles conséquences sur le chiffre d’affaires de Barry Callebaut et de ses clients? Il est encore un peu tôt pour le dire. D’autant que ceux-ci ont été affectés parfois différemment. Certains commanditaires n’étaient pas concernés par la livraison problématique, c’est le cas de Leonidas. D’autres ont certes réceptionné des citernes contaminées mais celles-ci sont pas entrées dans leur usine. Alors que d’autres encore, comme Neuhaus, ont dû complètement arrêter leurs activités afin de nettoyer les lignes de production. “Tant qu’on ignore combien de temps l’usine de Barry Callebaut sera fermée, estimer les conséquences pour les clients reste très compliqué”, ajoute-t-on chez Choprabisco. Et puis, “l’entreprise a proactivement détecté et communiqué l’incident sans le minimiser, cela démontre à quel point nous sommes sérieux en Belgique”, souligne Philippe de Selliers, CEO de Leonidas et président de Choprabisco. “Il n’y a pas de compromis sur la sécurité alimentaire et la qualité du chocolat belge.” (lire l’encadré page suivante)
“Il y a 20 ans, on n’aurait pas détecté ces incidents”
Ce n’est pas l’Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire (Afsca) qui a découvert “les incidents”, comme on dit dans le secteur. Comprenez la contamination à la salmonelle dans les usines de chocolat Ferrero et Barry Callebaut. “Dans les deux cas, c’est le système d’auto-contrôle des risques qui a permis de détecter la bactérie, précise Aline Van den Broeck, porte-parole de l’Agence. Cela démontre que ces systèmes fonctionnent, même si le risque zéro n’existe pas.”
Pour toutes les étapes de production et de transport, les opérateurs de la chaîne alimentaire doivent se soumettre à une législation européenne. Celle-ci est complétée par un volet belge que l’Afsca veille à faire respecter. En Belgique, chaque usine de chocolat possède son propre système de contrôle, validé par l’Afsca. “Le chocolatier sait à quel moment la chaîne de production présente un risque”, ajoute la porte- parole. L’Association belge des industries du chocolat a par ailleurs développé un guide qui traduit en pratique les exigences légales en la matière. Les chocolatiers belges sont soumis à un contrôle des autorités sanitaires tous les deux à quatre ans. Entre 2012 et aujourd’hui, l’Afsca a dénombré trois inspections de l’usine Barry Callebaut (sans compter les missions d’enquête spécifiques comme l’inspection des cuisines). La fréquence de ces contrôles dépend du profil de risque de l’entreprise. “Un atelier de viande sera beaucoup plus souvent contrôlé qu’un chocolatier”, illustre la porte-parole.
En 2021, l’agence a ainsi effectué 114.000 missions de contrôle (inspection, échantillonnage ou enquête spécifique) sur environ 60.000 opérateurs de la chaîne alimentaire.
Et sur près de 5.000 prélèvements réalisés en 2021 dans les produits à risque, 98,7% des échantillons étaient conformes. “Cela peut paraître déstabilisant de dire cela dans un contexte de crises alimentaires mais, globalement, la Belgique a un très haut niveau de sécurité alimentaire.”
Explication possible aux incidents Ferrero et Barry Callebaut? Les investissements liés à la sécurité alimentaire, justement. Ceux-ci augmentent d’année en année, et donc améliorent les techniques de détection. “Je pense qu’il y a 20 ans, on n’aurait pas détecté ces incidents, conclut Aline Van den Broeck, tout simplement parce qu’on n’aurait pas été en mesure de le faire scientifiquement.”
Une bonne nouvelle, déjà: le fait que le marché de Barry Callebaut soit essentiellement B to B a permis d’éviter que le consommateur final soit touché. Le grand public a en effet tendance à l’oublier mais l’industrie du chocolat ne se limite pas aux barres chocolatés et aux pralines. Elle recouvre tous les produits à base de cacao, des confiseries aux biscuits mais aussi ce qu’on appelle le chocolat de couverture. Utilisé par les professionnels, celui-ci fond et se tempère plus facilement, permettant de confectionner des chocolats avec une surface nette, lisse et brillante, qui se moulent rapidement et se démoulent aisément. En Belgique, ce chocolat de couverture, utilisé par de nombreux acteurs du secteur, provient principalement de trois sociétés: Barry Callebaut (groupe suisse), Cargill (groupe américain) et Belcolade, filiale du belge Puratos.
L’inflation menace davantage
A l’heure actuelle, le consommateur ne semble d’ailleurs pas troublé par ces évènements puisque les ventes de chocolat n’ont pas baissé chez les distributeurs. “Cette catégorie de produit souffre aujourd’hui davantage de l’inflation que, par exemple, d’une crise alimentaire”, partage Colruyt Group. Les hausses de tarif des matières premières combinée à celles de l’énergie ont en effet gonflé les prix du chocolat. “Il faut y ajouter l’indexation automatique des salaires à laquelle l’industrie du chocolat ne fait pas exception, poursuit Mieke Callebaut. Cela peut peser très lourd pour certains.”
Malgré ces hausses, l’industrie du chocolat se porte bien. Il faut dire que la crise sanitaire l’a moins impactée que d’autres. “Le chocolat a été un produit très sollicité par les consommateurs qui avaient besoin de petits plaisirs”, assure Philippe de Selliers. En 2021, le marché mondial du chocolat s’élevait à 106,6 milliards de dollars. L’industrie devrait en outre croître de 5,5% au cours de la période de prévision 2022-2027, pour atteindre les 147 milliards de dollars d’ici 2027.
En Belgique, 664 entreprises sont actives dans la fabrication de produits à base de cacao, selon les données de Statbel, et les usines de chocolat sont de gros employeurs pour leurs régions. Ferrero emploie ainsi de 725 à 1.100 personnes (en période de pointe saisonnière) dans son usine d’Arlon. Barry Callebaut fait travailler 2.000 personnes en Belgique, dont 600 rien que dans l’usine de Wieze. Pour un nombre d’emplois relativement stables. En 2015, ils étaient 8.342 à travailler dans le chocolat dans notre pays. Aujourd’hui, ils sont 9.302, ce qui représente 11% du total du secteur de l’industrie alimentaire. Mais sans perspective de croissance importante d’emploi sur le long terme. “A l’image de l’industrie alimentaire, le chocolat est un secteur qui est de plus en plus numérisé et robotisé”, explique-t-on chez Choprabisco.
Opportunité hors Europe
Pour quel succès international? Sur le podium des exportations de produits à base de cacao, la Belgique prend la troisième place. “On pourrait croire que c’est la principale matière que l’on exporte mais pas du tout”, explique-t-on à l’Agence wallonne à l’exportation (Awex) – la Belgique est d’abord exportatrice de produits chimiques et pharmaceutiques. Et les Pays-Bas exportent davantage de produits semi-finis, comme la pâte de cacao, depuis le port de Rotterdam grâce à leurs usines spécialisées dans le broyage des fèves. “Nous importons cette pâte de cacao mais nous exportons une grande partie sous forme de produits transformés“, rappelle Guy Gallet, secrétaire général de Choprabisco. Les pralines, par exemple, représentent 25% de nos exportations. Elles sont principalement à destination de nos voisins européens mais également des Etats-Unis et du Japon.
Perspective positive pour l’industrie du chocolat belge: la part d’exportations hors Union européenne continue de croître. “En Asie et en Amérique du Nord, la demande de chocolat augmente rapidement, il y a des opportunités pour le marché belge”, précise Guy Gallet. Preuve que le made in Belgium reste un gage de qualité supérieure. Et ce n’est pas le consommateur local, avec ses neuf kilos avalés par an, qui dira le contraire…
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici