Faut-il craindre la révolution ChatGPT?

Christophe Charlot
Christophe Charlot Journaliste

Le nouveau chatbot hyper-sophistiqué répondant au doux nom de ChatGPT fait le buzz. Donnant l’impression de pouvoir tenir une discussion logique et construite et capable de générer des contenus entiers, même à vocation artistique, cette intelligence artificielle relance le débat sur le pouvoir des algorithmes et leur impact sur de nombreux métiers, rédacteurs, marketeurs et juristes en tête…

Dans l’univers de la tech, rares ont été les grands moments de rupture depuis l’apparition de Google, des réseaux sociaux et le lancement du premier iPhone. Et peu d’innovations numériques capables de changer fondamentalement le cours des choses ont été relevées. Cela vient de changer.

Selon certains observateurs, le lancement du chatbot ChatGPT correspondrait en effet à l’an zéro d’une nouvelle ère dans l’univers du digital. Et plus encore dans le monde du travail. Cette “intelligence artificielle” mise au point par OpenAI, firme américaine initiée entre autres par Elon Musk (qui est sorti de son capital depuis) bluffe la planète entière depuis son apparition en ligne à la toute fin du mois de novembre.

Son usage est simplissime. Après inscription, vous pouvez lui poser toutes les questions que vous voulez et même lui demander d’écrire des textes spécifiques. Discours, poèmes, recettes, faits historiques, dissertations: ChatGPT génère du contenu sur plus ou moins n’importe quel sujet, répondant de manière fluide, complète et généralement “intelligente”. Presque à la manière d’un être humain.

Red Lions… sur glace

Bien sûr, le robot conversationnel (chatbot) est surtout capable d’apporter des réponses précises à des questions factuelles simples. Mais ChatGPT peut aussi écrire un poème d’une longueur souhaitée en intégrant certains mots qu’on lui définit ou selon un style déterminé. Il est également en mesure d’inventer des histoires en intégrant certains personnages imposés ou – nous avons fait le test – de rédiger un vrai communiqué de presse alors que ne lui sont livrées que quelques informations sommaires.

Les résultats sont surprenants. Certes, pas encore parfaits: des erreurs se glissent parfois dans certaines dates ou certains éléments factuels. Par exemple, pour ChatGPT, au moment de rédiger cet article, les Red Lions jouaient au hockey… sur glace. Néanmoins, on trouve généralement une structure assez logique, cohérente, voire une forme de raisonnement dans le propos.« C’est ce qu’on a vu de plus spectaculaire dans le domaine de l’échange conversationnel entre une intelligence artificielle et des humains », observe Cyril Vart, vice-président exécutif du cabinet de conseil spécialisé EY Fabernovel, qui reste toutefois encore un peu sceptique sur l’impact réel que pourrait avoir ChatGPT en termes d’usages.Lire aussi | Ce dont ChatGPT est capableYann Lecun, ponte de l’intelligence artificielle (IA) et responsable de ce segment chez Meta, la maison mère de Facebook, semble du même avis. Précisant que d’autres entreprises avaient mis au point ce type de technologie, déclarant que ChatGPT n’avait rien de révolutionnaire, ce dernier a notamment tweeté: « Je veux corriger la perception du public et des médias qui voient ChatGPT comme une invention incroyable, nouvelle, innovante et unique, loin devant tous les autres. Ce n’est pas du tout le cas. »

Un MBA « obtenu » par ChatGPT

Depuis un peu plus de deux mois, nombreux sont pourtant ceux qui se sont penchés sur l’application. De multiples tests ont été réalisés afin d’apprécier comment ChatGPT était capable de répondre aux questions, tenir une conversation, voire créer des textes plus ou moins complets ou artistiques. Et le monde s’est affolé. Celui de l’éducation, par exemple, alors que des tas d’élèves et d’étudiants ont déjà confié (une partie de) leurs devoirs (dissertations, etc) à ce chatbot de nouvelle génération. L’Etat de New York a ainsi été le premier à interdire cette technologie au sein de ses établissements scolaires publics.

Mais ce qui surprend et fascine le plus, ce sont les résultats obtenus par ce robot conversationnel à un certain nombre de tests de haut niveau. Ainsi, des chercheurs internationaux (Chicago Kent College of Law, Bucerius Law School de Hambourg et Stanford Center for Legal Informatics) ont testé ChatGPT sur des questions d’examens d’entrée aux barreaux américains. Selon eux, le robot aurait obtenu un score d’un peu plus de 50%.

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Certains y voient un échec. C’est pourtant mieux que pas mal d’étudiants, surtout sans avoir reçu un entraînement précis sur un panel de données spécifiques. Les chercheurs se disent convaincus que des intelligences artificielles de ce type pourront bientôt être en mesure de réussir ce prestigieux examen. Et le droit n’est évidemment pas la seule matière dans laquelle pourra exceller ChatGPT: celui-ci aurait correctement passé des examens de licence médicale aux Etats-Unis, des examens de gestion et même… un MBA à la célèbre Wharton School de l’université de Pennsylvanie.

Tout ce qui est indexable

Pour arriver à de tels résultats, OpenAI a entraîné son algorithme GPT (pour « Generative Pre-trained Transformer ») sur un nombre impressionnant de textes en ligne provenant de différentes endroits. Des sources que la firme ne dévoile pas vraiment. Les observateurs avancent des bases de données en ligne comme Wikipedia, les réseaux sociaux, des livres numérisés… et à peu près tout ce qui indexable sur le net (auquel ChatGPT ne serait, pour le moment, pas encore relié directement).

D’après les spécialistes, le modèle reposerait sur plus de 300.000 milliards de mots. En tout cas dans sa première mouture, et avec un horizon de temps qui ne dépasse pas (encore) 2021.

Bien sûr, le « robot » n’a pas la conscience de ce qu’il écrit ni de compréhension du langage. Il s’agit d’un modèle purement mathématique de la langue. La machine tient seulement compte du contexte des mots, des mots voisins et de la probabilité que l’un survienne après un autre.

Le processus fait aussi intervenir des humains, par exemple pour examiner les contenus dangereux ou sensibles sur lesquels l’algorithme se base. Ceci afin d’empêcher ChatGPT de tenir des propos haineux, violents, déplacés ou à connotation sexuelle. Le magazine Time a d’ailleurs dévoilé que la firme américaine avait fait appel, à cette fin, à des équipes sous-payées (moins de 2 euros de l’heure) au Kenya.

L’activité humaine touchée quasiment dans sa totalité

Pour Laurent Alexandre, auteur de plusieurs livres sur le sujet, les progrès réalisés par les algorithmes du langage n’ont vraiment rien d’anodin. Et il ne s’agirait pas, selon lui, d’une simple évolution en la matière.

« ChatGPT est la plus grande révolution depuis l’apparition du web grand public en 1993, cela ne fait aucun doute, insiste-t-il. Les applications autour de la reconnaissance, de la compréhension et de la génération du langage sont révolutionnaires parce qu’une très large part de l’activité humaine, économique et de création consiste en de la production de contenus langagiers. »

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ChatGPT se profile en effet très clairement comme un générateur de textes et de contenus. Une tâche qui incombe aujourd’hui à de très nombreux travailleurs dans une multitude de secteurs: de la note de projet au post promotionnel sur Facebook en passant par une présentation Powerpoint ou un communiqué. Sans oublier, bien sûr, la gestion des relations avec la clientèle dans une multitude d’entreprises. Déjà aujourd’hui, les clients qui contactent leur banque, leur opérateur télécom ou leur fournisseur d’énergie se trouvent en bonne partie devant une intelligence artificielle.

« Ces contacts clients via un chat sont d’ores et déjà à 90% de l’IA, fait remarquer observe Cyril Vart (Fabernovel). Cela fonctionne via un arbre conversationnel, une autre technologie. Et quand la machine ne sait pas répondre, cela clignote chez un humain. » Ce genre de service avec du GPT embarqué, qu’il vienne d’OpenAI ou non, permettra des relations bien plus fluides et performantes.

Dans l’univers du copywriting et de la création de contenu, ChatGPT pourrait bien rebattre les cartes de manière plus importante encore. Prenez le cas d’une agence de marketing sur les réseaux sociaux. Celle-ci demande quotidiennement à ses équipes de générer des briefings, des plans et des textes promotionnels. Un chatbot un peu évolué comme celui mis au point par OpenAI peut déjà intervenir en générant, à la demande, des posts Facebook.

Exploitable presque tel quel

« Dans tout ce qui est copywriting et même dans le domaine stratégique, ChatGPT sera évidemment utilisé, prédit Sabrina Bulteau, qui a longtemps dirigé l’agence sociale BeConnect dont la promesse était en bonne partie l’intelligence du contenu. Cette technologie va prémâcher le travail de manière importante, même pour des plans médias. Le gros avantage, c’est que ChatGPT apporte une base de structure à laquelle il suffira, en connaissant le métier, d’ajouter une couche d’intelligence humaine. Mais il pourra aussi générer des contenus quasi exploitables tels quels sur base d’un bon briefing. Cela fera gagner beaucoup de temps, et donc d’efficacité. »

Dans une récente étude réalisée par la start-up Sortlist, 22% des employeurs du secteur financier pensent réduire les effectifs si ChatGPT devait être introduit chez eux. Et 51% d’entre eux cibleraient… les équipes du marketing.

A côté du texte, les images…

L’agent conversationnel ChatGPT n’est pas le seul outil étonnant mis à disposition du public par OpenAI. La firme a aussi développé Dall-E, un générateur d’images. Demandez-lui un chanteur de funk afro-américain sur une fusée, peint à la façon de Van Gogh et vous aurez un résultat étonnant.

Voici justement ce dit que ChatGPT à propos de DALL-E: « Il est capable de générer des images à partir de descriptions écrites en langage naturel. Il utilise un encodage de transformer pour convertir les descriptions en vecteurs de caractéristiques, qui sont ensuite utilisés pour générer des images. DALL-E est capable de générer des images très variées, même à partir de descriptions très vagues ou imprécises, et a été utilisé pour générer des images de personnages de dessins animés, des objets, des scènes, etc. Il peut également générer des textes à partir d’images. Il est considéré comme un modèle avancé dans le domaine de génération d’images à partir de textes ».

Déjà utilisé par certains créatifs dans le cadre de leur métier, ce type d’algorithme suscite les mêmes questions que son homologue ChatGPT: quel sera son impact sur les jobs? comment les fera-t-il évoluer de facto? Des interrogations qui nous rappellent celles soulevées par le logiciel Photoshop lors de son arrivée sur le marché.

Un raisonnement que l’on peut largement élargir à une série d’autres secteurs. « Peu d’entreprises vont rationnellement continuer de demander à quelqu’un qui coûte 5.000 euros par mois de faire ce que ChatGPT sera capable de réaliser en 17 secondes, prédit Laurent Alexandre. Par exemple, un rapport que l’on confie d’ordinaire à un cadre moyen lui sera progressivement retiré. Cela va donc poser, à terme, un problème pour les cadres moyennement qualifiés du tertiaire. Pour les dirigeants, je ne suis pas inquiet. Par contre, il faudra que les middle managers prouvent qu’ils ont une plus-value. Ce que coûte un cerveau biologique, aujourd’hui, est très élevé. »

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Pour l’auteur, pas mal de secteurs seront fortement impactés, les assistants juridiques en tête. « On va vers une réorganisation majeure de l’entreprise, de l’éducation et même de l’hôpital puisque ChatGPT n’est pas nul en matière de santé », alerte-t-il.

Dans une intervention télévisée, Alexeï Grinbaum, directeur de recherche à l’Institut français de recherches sur les lois fondamentales de l’univers, se montre plus tempéré, sans toutefois nier l’impact de l’IA: « Des pans entiers de métiers vont changer, pas disparaître. Il y aura toujours des médecins, des juges, des avocats, des journalistes, etc. Mais le contenu du métier va se modifier ».

Gagner en productivité

Telle est aussi la vision de Michel Levy-Provençal, conférencier français spécialiste des questions d’innovation et créateur de Brightness, une firme qui utilise l’intelligence artificielle. « L’IA peut accélérer la production de contenu, reconnaît-il. Mais cela reste un outil avant tout. L’humain a toujours la main pour faire des demandes à l’intelligence artificielle, qui ne génère rien toute seule. La manière d’indiquer des commandes à l’IA sera aussi une compétence. On remonte en fait un peu dans la valeur et on gagne en productivité. »

Et si pour lui comme pour pas mal de sceptiques, les résultats d’un ChatGPT restent encore assez en dessous des productions humaines, « à la vitesse à laquelle cela avance, il est raisonnable de penser que dans trois ou quatre ans, on peinera à différencier la machine de l’être humain« . Rassurant?

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