Coronavirus: le risque sanitaire en entreprise est-il sous-estimé ?

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Le télétravail reste fortement recommandé en entreprises. Les mesures prises depuis le déconfinement et à l’horizon d’une seconde vague épidémique sont-elles suffisantes pour gérer le risque sanitaire dans les bureaux ? On fait le point.

Est-ce moins risqué d’aller boire un verre avec des amis que de se rendre au travail en temps d’épidémie de coronavirus ? Alors que les Pays-Bas et l’Allemagne partagent depuis quelques mois des données détaillées sur les principales sources de contaminations au coronavirus, la Belgique navigue toujours à vue sept mois après l’apparition du virus.

Pour l’heure, aucune donnée ne cible à l’échelle nationale les différentes sources d’infection. Ont-elles lieu principalement dans les écoles, au travail, dans les bars et restaurants ?

Le Comité interfédéral Testing & Tracing qui collecte les résultats des recherches sur les sources et les clusters des différentes régions, n’est pas en mesure de fournir des chiffres concrets. “Des travaux sont actuellement en cours pour rassembler les chiffres de manière structurée. Mais nous ne pouvons malheureusement pas fixer de calendrier“, déclare au Morgen Carmen De Rudder, porte-parole du Comité. “La recherche sur les clusters bat son plein en ce moment. C’est pourquoi il y a moins de capacité à s’occuper d’analyse et de rapports. Nous y travaillons en attendant, mais des priorités doivent être fixées”.

Chez nos voisins néerlandais et allemands, qui connaissent une deuxième vague de coronavirus similaire à la nôtre, les sources de contamination sont connues. Les Pays-Bas partagent ainsi des données détaillées au niveau national chaque semaine depuis début juillet rapporte De Morgen. Les autorités sanitaires sont ainsi en mesure de déterminer quelles sont les situations les plus risquées.

Un coup d’oeil sur les chiffres hebdomadaires de ce mardi 13 octobre pour les Pays-Bas montre que 59 % des infections pour lesquelles une source a été identifiée remontent au domicile (infection entre cohabitants).

13% des infections dans la sphère professionnelle

Pour le reste, 13 % des infections ont lieu dans la sphère professionnelle, 10,3% via des contacts avec le reste de la famille, 9,3% dans les centres de revalidation. Il y a, étonnamment, beaucoup moins de risque lors de réunions entre amis (3,8 %) et pendant les loisirs : au club de sport (3,7 %) et lors d’une sortie au café ou au restaurant (1,8 %).

Des chiffres qui interpellent quand les dernières mesures prises dans notre pays pour contrer la propagation du virus l’ont été justement dans le domaine du sport et dans le secteur horeca,… Serions-nous sur la mauvaise piste faute de tableau de bord des sources de contaminations ? Une étude publiée début septembre par les autorités sanitaires américaines pointe toutefois le rôle probable des restaurants et des bars dans la pandémie de Covid-19, tout en atténuant celui des transports en commun et des bureaux. Cependant, il faut nuancer : il est plus difficile de tracer des contacts dans un bar, un restaurant ou dans les transports publics.

Le point commun de ces chiffres est bien le grand nombre d’infections dans le cercle familial. Ce qui justifie pleinement la règle de 3 personnes de contact proches édictée dernièrement par le gouvernement belge.

Dans ce contexte de recrudescence du virus, les Pays-Bas ont décrété ce mardi un confinement “partiel” du pays en recommandant très fortement le télétravail et en y ajoutant des mesures encore plus strictes. Chez nous, le nouveau ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke, a aussi été clair sur ce point à l’issue du dernier comité de concertation: Les entreprises doivent recourir autant que possible au télétravail”, a-t-il martelé.

Au niveau régional, des tendances se dessinent en Belgique. L’Agence pour une vie de qualité (Aviq) analyse en effet les clusters de Covid-19 en Wallonie depuis le mois d’août. La récolte de ces préciseuses informations est une première en Belgique. Les premiers résultats de la gestion et analyse des clusters font apparaitre clairement que c’est bien dans le foyer familial que le virus se transmet principalement. “Concrètement, 2.597 clusters familiaux et 481 clusters collectivités ont été recensés”, rapporte Matthieu Henroteaux, chargé des relations avec la presse au sein de l’Aviq.

Pour ce qui concerne les collectivités, les chiffres enregistrés par le suivi des contacts montrent que c’est à l’école que les contaminations sont les plus importantes. La répartition des clusters hors foyer familial se décline de la façon suivante : 46 % des contaminations proviennent des écoles, 25 % appartiennent à la catégorie “autres” (dont l’Horeca fait partie), 18 % viennent des écoles supérieures, 9 % des entreprises et 2 % sont issus des milieux d’accueil de la petite enfance.

Après les écoles, ce sont donc des lieux comme l’Horeca qui sont les plus susceptibles de conduire à une infection, assez loin devant les milieux professionnels et universitaires. Pour Yves Coppieters, professeur de santé publique à l’ULB, ces clusters ne disent pas grand-chose du mode d’exposition au virus. “En effet, quand on détecte que, dans une école, cinq élèves sont touchés, cela ne dit pas comment ces élèves ont attrapé le Covid-19, ni où. Cela a pu se passer à l’école mais aussi dans le cercle familial. Il faut remonter les foyers en effectuant une enquête pour savoir d’où vient avec précision la contamination. Toutefois, ces indicateurs sont utiles pour déceler des tendances“, décode-t-il.

Coronavirus: le risque sanitaire en entreprise est-il sous-estimé ?
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Le flou dans les entreprises belges

Ces informations sur les source d’infection sont en effet extrêmement utiles, explique le biostatisticien Geert Molenberghs (UHasselt et KU Leuven), dans De Morgen.Non seulement pour les scientifiques, mais avant tout pour les décideurs politiques. Quand vous savez exactement où les gens sont infectés – dans les pubs, les transports publics, les clubs de sport ? – vous pouvez intervenir beaucoup plus spécifiquement par des mesures. Maintenant, on est aveugle. En outre, des données détaillées sur les sources d’infection peuvent également sensibiliser la population : les gens savent alors mieux dans quelles situations ils doivent être particulièrement prudents”.

En Allemagne, les autorités arrivent à préciser les foyers locaux d’infections en entreprises, comme cela a été le cas en début de semaine dans un abattoir régional ou dans un centre de distribution DHL. En France, l’analyse de la situation épidémiologique réalisée par Santé Publique France indique que depuis le déconfinement, près de 25 % des clusters identifiés l’avaient été sur les lieux de travail (entreprises privées et services publics), peut-on lire sur le site du Soir.

La Belgique reste, elle, dans le flou. Si des chiffres pour la Wallonie sont publiés par l’Aviq, au niveau national, ces données cruciales manquent dans notre pays pour dresser une carte globale des contaminations dans le monde du travail. Car, des contaminations ont inéluctablement lieu dans les open space ou lors de réunions d’équipes.

“Les foyers d’infection ne se trouvent pas en entreprise mais dans la sphère privée”, assurent, de leur côté, en choeur quelques patrons sondés par le journal L’Echo. Sur quelle base? “C’est ce que disent les virologues, l’inspection sociale, les conseils en prévention et les entreprises“, répond avec aplomb Pieter Timmermans interviewé par le journal économique. Pour le patron de la FEB, la seule mesure encore à prendre serait de diminuer réellement les contacts privés.

Les entreprises se disent, en général, bien équipées en matériel de protection (masques, gels, parois en plexy pour séparer les travailleurs,…) et entraînées à la distanciation et au roulement des équipes, depuis mars dernier et en prévision d’une nouvelle vague, quitte à renforcer le télétravail. Toutes ces mesures préventives ont permis d’éviter l’apparition de foyers d’infection sur les lieux de travail, assurent les différents dirigeants d’entreprises contactés par l’Echo.

Le télétravail, la mesure la plus efficace

Dans une carte blanche publiée sur le site du Soir, Vanessa De Greef, membre du centre de droit public de l’Université Libre de Bruxelles, et François Perl, directeur général du service des indemnités de l’Inami, ne sont pas de cet avis aussi tranché. Ils demandent de davantage mesurer le risque sanitaire que le travail en entreprises représente.

Avec le même constat : “Depuis le début de la crise de la Covid-19, un de nos espoirs a été que le monde du travail fasse l’objet d’une certaine forme de régulation afin d’assurer la protection de la santé publique et celle des travailleurs. Alors que les “clusters” en milieu professionnel font l’objet d’une analyse approfondie dans la plupart des pays européens, nous manquons singulièrement de données concernant la situation en Belgique”.

Pour Vanessa De Greef et François Perl, il est donc essentiel de pouvoir disposer d’une mesure de la quantification du risque. Selon eux, “ il n’est pas normal qu’après plus de six mois d’épidémie, il soit toujours aussi difficile d’avoir un relevé systématique des cas de contaminations en milieu professionnel. Nous suggérons également de comptabiliser dans quelle mesure et dans quels secteurs le lieu du travail est un lieu de contamination et d’y prévoir des actions ciblées.”

Le télétravail
Le télétravail “dans la mesure du possible”

Ils constatent aussi que “l’arsenal de mesures prises jusqu’à présent reste avant tout “suggestif” puisque les entreprises sont très souvent invitées à mettre en place des mesures de prévention – télétravail, règles de distanciation sociale – ‘dans la mesure du possible'”.

“Des problèmes récurrents d’application des recommandations”

Ils dénoncent un manque de suivi des consignes données : “Si une partie des observateurs s’accordent pour dire que les règles sont bien appliquées sur le terrain, d’autres relèvent des problèmes récurrents d’application des recommandations : des équipements de protection sont mis en place à géométrie variable dans les entreprises ; des systèmes de rotation entre travailleurs ne sont pas concrétisés dans des bureaux partagés ; des réunions sont prévues sans distanciation physique d’1,5 mètre et sans qu’une circulation d’air soit mise en place ; enfin, des procédures sont inexistantes concernant la marche à suivre sur le lieu de travail lorsqu’un travailleur ou un de ses proches est testé positif.”

Pour les deux experts, le télétravail, même s’il soulève une série de questions en droit du travail (calcul du temps de travail, déconnexion possible, etc.), demeure une des mesures les plus efficaces pour lutter contre les risques de contagiosité. D’autant plus, rajoutons-le, quand certains spécialistes avertissent que les systèmes de chauffage et de ventilation pourraient bien favoriser la circulation du virus dans les bureaux.

Or, le télétravail semble appliqué de manière plutôt erratique depuis le déconfinement (malgré les recommandations du Gouvernement fédéral), certaines entreprises ou administrations publiques faisant venir sur le lieu de travail des travailleurs qui peuvent pourtant effectuer leurs tâches à domicile”, regrettent les auteurs de la carte blanche.

Le comité de concertation Fédéral/Régions qui a lieu ce vendredi 16 octobre doit annoncer de nouvelles mesures plus strictes pour tenter d’enrayer la nouvelle propagation rapide du coronavirus. Et parmi celles-ci, le télétravail pourrait être exigé partout où il est possible, et non plus seulement recommandé, croit savoir le journal L’Echo.

Coronavirus: le risque sanitaire en entreprise est-il sous-estimé ?
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Mon collègue a été testé positif, que dois-je faire ?

Si un membre du personnel est testé positif au coronavirus, il faudra retracer les personnes avec lesquelles cette personne infectée a été en contact, et cela, deux jours avant l’apparition des premiers symptômes. On distinguera deux catégories de personnes : les contacts à haut risque (un collègue physiquement proche, avec qui la distanciation physique n’a pas été possible, présent à une réunion de plus de 15 minutes dans une pièce fermée,..) Et ceux à faible risque (un collègue dans le même espace mais assis plus loin, avec un contact rapproché mais court, etc.).

Les contacts à haut risque devront s’isoler à domicile et se faire tester, ceux à faible risque pourront continuer à travailler. Ils sont toutefois invités à prendre un maximum de précaution (port du masque, lavage des mains) et à surveiller l’apparition d’éventuels symptômes dans les jours qui suivent.

En cas de cluster, les collaborateurs de tout un département ou entreprise pourraient être dépistés.

Suis-je obligé de prévenir mon employeur si je suis testé positif ?

Un employé n’est pas tenu de divulguer l’origine de son absence en cas de maladie. Il en va de même, théoriquement, pour le coronavirus. Dans le cadre de la lutte contre la pandémie, la responsabilité de chacun est cependant engagée pour éviter au maximum la propagation du virus. Il sera donc de bon ton d’avertir son supérieur de sa positivité au virus, afin qu’il puisse prendre rapidement les précautions nécessaires avec le reste de l’équipe et contacter, comme détaillé ci-dessus, les personnes à haut risque et les autres. Le conseiller en prévention ou le service des ressources humaines peuvent également servir de relais si un employé ne veut pas parler directement à son supérieur hiérarchique.

Un cluster est détecté dans une entreprise, doit-elle fermer ?

Comme l’explique Le Soir sur son site, un cluster est déclaré dans une entreprise à partir de deux cas détectés en 14 jours et quand ils sont liés entre eux. Une éventuelle fermeture de la société se décide au cas par cas. “Tout dépend de la taille de cette dernière (s’il s’agit d’un petit commerce ou de vastes bureaux) et de l’analyse de risque faite par la médecine du travail“, précise Le Soir.

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