Pour le CEO de BNP Paribas Fortis: “Les entreprises belges sont extrêmement résilientes”
A l’occasion de la présentation des résultats au premier semestre de BNP Paribas Fortis, son patron Max Jadot fait le point sur l’état de santé économique du pays. Malgré 18 mois de crise, il ne s’attend pas à un tsunami de faillites.
Décontracté et souriant, Max Jadot… En cette rentrée 2021, le patron de BNP Paribas Fortis a même tombé la cravate. Et pour cause. Alors qu’elle avait enregistré l’an dernier un recul de son bénéfice de 23% au premier semestre, la première banque du pays voit aujourd’hui son résultat net bondir de 42%! Un rebond à l’image de la tonicité retrouvée de notre économie. Laquelle devrait, selon Max Jadot, avoir oublié la crise dès le début 2022. Et au final, dit-il, “sans de trop gros drames pour les entreprises”.
Profil
- Né en 1957.
- 1980. Master en droit (KU Leuven).
- 1981. Master in Comparative Law (Georgetown University, Etats-Unis).
- 1983. Commence sa carrière en entrant à la Générale de Banque.
- De 1984 à 2007. Assume diverses fonctions de direction dans différents domaines (directeur d’agence, directeur marketing) puis devient managing director du département corporate finance & capital markets de Fortis Banque.
- De 2007 à 2009, président du directoire et country manager de Fortis France.
- De 2009 à 2011, membre du comité exécutif de BNP Paribas Fortis et responsable du corporate & public banking pour la Belgique.
- Depuis mars 2011: président du comité de direction et CEO de BNP Paribas Fortis, membre du comité exécutif du groupe BNP Paribas.
TRENDS-TENDANCES. Vous venez de publier un bénéfice semestriel de 1,143 milliard d’euros, contre 804 millions voici un an. Qu’est-ce qui explique ce bon premier semestre?
MAX JADOT. Les banques ne sont pas des êtres éthérés qui vivent dans un monde à part. Elles sont complètement embedded (intégrées) dans l’économie. Bien entendu, certains secteurs comme l’événementiel ou le tourisme, voire certaines sous-régions spécifiques, souffrent encore beaucoup. Mais globalement, l’économie du pays fonctionne bien, ce qui fait que les résultats des banques et de BNP Paribas Fortis sont bons. Il y a une logique immédiate.
Vous avez donc été au rendez- vous de la reprise?
Qu’il s’agisse du retail, du private banking et de la banque d’affaires, les revenus progressent dans tous les segments d’activité. Ils sont bons également pour nos filiales, comme Arval par exemple. D’un autre côté, le niveau du risque est inférieur à ce qu’il était en plein covid et la maîtrise des coûts nous permet de maintenir une efficience opérationnelle quasiment la même que l’an passé, ce qui se traduit par une belle amélioration du cost income ratio à 57%. Dit autrement, la banque a bien performé dans tous ses métiers et dans toutes les composantes de son bénéfice.
Les banques ont joué leur rôle. Elles ont continué à soutenir l’économie réelle. Tout cela a permis aux entreprises de s’adapter.
La page de la crise est-elle déjà tournée?
Il y a bien sûr un effet de rattrapage par rapport à 2020 qui, comme on le sait, fut une année très particulière. Mais nous dégageons tout de même 100 millions de plus que sur la même période en 2019 (à l’époque, bénéfice semestriel était de 1,050 milliard, Ndlr). Nous avons donc retrouvé notre niveau pré-covid, comme beaucoup d’entreprises d’ailleurs.
Contrairement aux prévisions beaucoup plus négatives de certains, vous nous disiez justement voici un an que l’économie belge retrouverait son niveau d’avant-crise vers la mi-2022. Vos prédictions se révèlent aujourd’hui exactes.
A l’époque, c’était mon intuition personnelle. Entre-temps, nous avons développé en collaboration avec l’université de Gand un outil d’anticipation de l’évolution du PIB que nous appelons nowcasting. Sur base de différentes données anonymisées, dont les mouvements sur les comptes de nos clients entreprises (PME, corporate), nous sommes aujourd’hui capables d’encore mieux prédire l’économie, avant même des instances officielles comme la Banque nationale.
Plus concrètement?
Tout en restant légèrement positive, la croissance de l’économie belge va s’aplatir pour tourner autour de 1% au troisième trimestre. Et comme je l’ai dit il y a un an effectivement, elle retrouvera ensuite son niveau d’avant-crise début de l’année prochaine ( la banque prévoit une croissance de 3% en 2022, Ndlr).
> Lire aussi notre précédente interview de Max Jadot sur l’après-crise ici
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Il ne faut donc pas s’attendre à un tsunami de faillites?
Je n’observe pas de tels signaux au sein de nos clients pour le moment. Quand je parle avec eux, même ceux qui sont actifs dans les secteurs les plus difficiles, ils sont break-even. La tendance est donc plutôt positive. On le voit dans la confiance des entrepreneurs, dans le marché du travail, dans le comportement des consommateurs, dans les investissements des entreprises. Je reste donc positif: je ne m’attends pas à une vague de faillites.
Comment expliquez-vous ce fort rebond des entreprises après un choc qui fut gigantesque?
Les mesures de soutien publiques ont bien fonctionné: le chômage technique, les moratoires sur les crédits, les reports de cotisation, etc. D’un autre côté, les banques ont joué leur rôle. Elles ont continué à soutenir l’économie réelle. Nous finançons chez BNP Paribas Fortis plus de 130 milliards de crédits en Belgique. Tout cela a permis aux entreprises de s’adapter. Pendant un an et demi, elles se sont digitalisées, ont trouvé d’autres marchés, ont adapté leur base de coûts, etc.
Beaucoup de résilience, donc…
En fait, à chaque crise en Belgique, on se rend compte que les entreprises belges sont extrêmement résilientes. Elles l’ont prouvé durant la crise des années 1990, après la crise financière de 2008 et plus récemment lors du Brexit. Le fait qu’elles soient peu endettées aide également. Et puis, bien sûr, beaucoup d’indépendants ont pris sur eux au cours des 18 derniers mois, en s’octroyant moins de bénéfices, moins de salaire…
Tout n’est pas gagné pour autant.
L’économie est à nouveau dans le vert. La tendance est plutôt positive mais pas de manière exubérante comme au cours des derniers mois. Comme je l’ai dit, certains secteurs souffrent encore. Par ailleurs, va-t-on vers une quatrième vague? Je n’ai pas de boule de cristal. Mais nous avons la chance d’avoir un vaccin après un an. La réponse à cette incertitude est donc simple: vacciner, vacciner, vacciner! En tant que citoyen et CEO, il faut le dire.
Y a-t-il d’autres dangers à plus long terme?
Pour le moment, la demande est là. Mais pas l’offre. Il faudra voir comment ce choc sur la supply chain va évoluer. Est-ce temporaire ou pas, cela va-t-il se traduire dans l’inflation? A nouveau, je n’ai pas de boule de cristal. Mais une série d’éléments positifs vont nous soutenir dans les trimestres à venir.
On a beaucoup parlé du covid comme accélérateur de tendance, notamment sur le terrain du digital. Dans quelle mesure est-ce le cas chez vous?
Les chiffres sont assez impressionnants: plus de 2,4 millions de clients utilisent désormais nos canaux digitaux et nous enregistrons une croissance chez les plus de 65 ans de 30% sur l’appli bancaire. Nous accélérons également sur le terrain du beyond banking avec plusieurs développements dans quatre écosystèmes (living, mobility, work, payments). Début 2022, nous offrirons par exemple un nouveau service de télésurveillance, Homiris. En matière de mobilité, nos clients bénéficient désormais de l’infrastructure des bornes de recharge électrique du réseau Optimile, dont nous avons récemment augmenté le capital de 8 millions d’euros en partenariat avec Touring et AG Insurance.
Le covid vous amène aussi à accélérer dans le private equity et la bancassurance?
Notre activité en matière de private equity n’est pas neuve, elle a toujours existé. Cela fait 40 ans que nous en faisons. Les plus anciens se souviendront de VIV et Synerfi. Mais, effectivement, il y a clairement une accélération liée au covid. Nous voulons investir 100 millions de plus par an pour arriver à un milliard d’euros d’ici 2025. Cela correspond à un besoin accru d’accompagnement des entreprises dans leur croissance. Et c’est pour la banque une vision stratégique.
Et en assurance?
Là aussi, nous voulons être encore plus proches des clients. Raison pour laquelle nous lancerons en novembre une nouvelle business line de produits d’assurance pour les entrepreneurs. Une équipe de 50 à 70 nouveaux collègues va pousser la distribution de produits développés par notre partenaire AG Insurance. Une vingtaine d’assurances et des packs sur me- sure pour des secteurs spécifiques seront ainsi directement mis à disposition des entrepreneurs au travers d’un one-stop-shop couvrant 85% de leurs besoins (habitation, véhicule, assistance juridique, etc.). C’est un développement important et stratégique également.
Nous ne prévoyons pas de taux d’intérêt négatif pour l’épargnant de base. Cela ne correspond pas à notre rôle dans la société.
Un mot sur les inondations?
Ces événements révèlent une fois encore l’importance du rôle sociétal que nous jouons, tout d’abord par le biais de nos activités mais aussi, et plus largement, en tant qu’acteur clé du tissu économique et social en Belgique. Nous avons rapidement mis en place des solutions spécifiques ainsi qu’une hotline pour aider nos clients sinistrés afin de traiter notamment 5.000 demandes d’indemnisation. Sur le plan interne, j’ai personnellement appelé cinq collègues qui figuraient parmi les plus touchés. Les histoires sont vraiment effrayantes.
Quid du télétravail: qu’avez-vous décidé à ce niveau-là?
Des discussions sont en cours à ce sujet avec les syndicats. Depuis le 6 septembre, notre personnel des services centraux preste trois jours de télétravail par semaine. Je suis absolument convaincu de l’importance d’une certaine présence au bureau: pour la formation, pour l’ affectio societatis, etc. Mais pour cela, cinq jours par semaine ne sont pas nécessaires.
Votre nouveau siège, à la rue Montagne du parc, ne sera-t-il pas trop grand?
Non, il est entièrement modulable, durable et totalement adapté aux new ways of working. Les premières équipes déménageront mi-novembre. Ce nouveau siège nous permettra de regrouper tous les services centraux localisés à Bruxelles (rue du Marais, building Boréal, etc.). Le regroupement de l’ensemble des équipes à Bruxelles était prévu pour 2025, mais l’opération va maintenant se dérouler plus rapidement, ce qui permettra de faire des économies.
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En agence, comment s’organise le retour au bureau?
Nous conservons le système de l’ouverture uniquement sur rendez- vous, qui fonctionne très bien, et qui est étendu à l’après-midi. Les clients sont satisfaits. Ils peuvent désormais prendre rendez-vous durant toute la journée – y compris le samedi – et plus uniquement le matin. C’est un modèle de fonctionnement que nous continuons de suivre de près en fonction de la crise sanitaire et des besoins des clients.
Pour terminer, allez-vous appliquer un taux d’intérêt négatif sur le compte d’épargne comme le font déjà plusieurs banques en Belgique?
Les taux vont rester bas pendant encore un certain temps. La problématique va rester la même pour les banques. Avec une marge sur les dépôts qui s’effondre depuis deux ou trois ans, il faut dégager de nouvelles sources de revenus, maîtriser fortement les coûts et bien gérer les risques. Dans ce contexte, il n’est pas impossible que les gros dépôts se voient un jour imposer un taux négatif. Ce que je peux vous dire par contre, c’est que nous ne prévoyons pas de taux d’intérêt négatif pour l’épargnant de base. Cela ne correspond pas à notre rôle dans la société. C’est la liquidité qui a sauvé la banque en 2008, lors de la crise financière. Il ne faut pas l’oublier: c’est une question de respect envers les épargnants.
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