Pourquoi la Fed fait-elle trembler la Bourse?

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L’avenir de la politique souple de la banque centrale américaine est de plus en plus incertain. Une incertitude qui n’est pas sans conséquence pour les marchés financiers. Que peut signifier cette politique de repli et pourquoi crée-t-elle la panique sur les marchés boursiers?

Jeudi dernier, les marchés boursiers du monde entier sont passés dans le rouge après la publication du compte rendu de la réunion de la Fed, la banque centrale américaine. Dedans, on peut lire qu’une grande majorité des responsables de la Fed s’attendent à réduire la politique monétaire accommodante — le fameux programme quantitative easing ou QE — cette année.

Qu’est-ce que le tapering ?

Dans le jargon de la Fed, cette réduction progressive est appelée tapering. Après la crise financière de 2008, les banques centrales du monde entier, la Fed en tête, ont commencé à acheter massivement des obligations et des prêts hypothécaires sur les marchés financiers. Au départ, l’objectif était d’écarter le risque de déflation après la crise et de donner un coup de pouce à la reprise économique.

Ces programmes de rachat ont permis de maintenir les taux d’intérêt à un bas niveau et d’injecter beaucoup de liquidités sur les marchés financiers. Les critiques décrivent le QE comme une perfusion dopante à laquelle l’économie a été branchée pendant une période inutilement longue. D’autres analystes et économistes la considèrent comme cruciale pour contrer les forces déflationnistes qui n’ont jamais disparu depuis 2008.

En 2008, le bilan de la Fed contenait un peu moins de 1 000 milliards de dollars d’actifs. Depuis lors, elle a acquis plus de 7 000 milliards de dollars d’obligations d’État, de dettes d’entreprises et de titres hypothécaires. Une tendance similaire est observable en Europe. Au début de 2008, le bilan de la Banque centrale européenne (BCE) s’élevait à 1500 milliards d’euros. Aujourd’hui, il a atteint 7000 milliards d’euros. Si l’on ajoute à cela les programmes de rachat de la Banque d’Angleterre et de la Banque du Japon, les quatre principales banques centrales ont racheté plus de 30 000 milliards de dollars d’actifs financiers, principalement des obligations d’État, ces dernières années.

Bien que ces programmes étaient destinés à amortir les effets immédiats de la crise financière, les banques centrales n’y ont jamais mis un terme. Le premier programme QE de la Fed, en 2009, a été suivi par le QE2 en 2010, le QE3 en 2012 et le QE4 en 2013. Les analystes plaisantent aujourd’hui sur l’infini de l’assouplissement quantitatif. En Europe, la BCE n’a commencé qu’en mars 2015.

Début 2020, la nécessité de poursuivre ces achats a été remise en question, mais la pandémie a alors éclaté et les banques centrales ont augmenté le rythme mensuel de leurs programmes QE. Actuellement, la Fed achète pour 120 milliards de dollars par mois. La BCE achète pour environ 100 milliards d’euros par mois.

Pour la première fois depuis des années, la Fed semble avoir élaboré des plans concrets pour diminuer progressivement sa politique. Une grande partie des responsables de la Fed sont en faveur d’une réduction progressive cette année, selon le procès-verbal.

D’où vient cette panique en Bourse ?

La nouvelle a bouleversé les marchés financiers. Ce qui n’a rien de surprenant. Ils voient disparaître un important pilier, qui les a soutenus ces dernières années. L’assouplissement quantitatif a eu un impact majeur sur les marchés, notamment sur les actions. Les cours n’ont fait qu’augmenter depuis 2009. La plupart des indices boursiers ont atteint des niveaux records, loin de la situation d’il y a douze ans.

L’assouplissement quantitatif a permis aux banques centrales de maintenir des taux d’intérêt bas pendant tout ce temps. Les épargnants ont vu disparaître les rendements de leurs livrets d’épargne et de leurs comptes à terme, et les investisseurs ont obtenu des rendements de plus en plus faibles sur les produits de placement sûrs tels que les obligations d’État et autres titres de créance. Les actions, en revanche, ont rarement connu des jours meilleurs, tout comme d’autres actifs à risque tels que l’immobilier, l’or et le capital-investissement. Ces classes d’actifs n’ont cessé d’attirer les épargnants et les investisseurs.

L’assouplissement quantitatif a également soutenu les marchés obligataires internationaux. Les banques centrales sont devenues les principaux acheteurs d’obligations au cours de la dernière décennie, en particulier des obligations d’État.

Maintenant que la fin de l’assouplissement quantitatif se profile à l’horizon, accompagnée d’une possible augmentation des taux d’intérêt, les obligations et les ressources deviennent soudainement plus intéressantes que ces dernières années, et les marchés boursiers risquent de voir disparaître à nouveau l’argent qui leur a été massivement prodigué ces dernières années. Les marchés obligataires verront alors disparaître le principal acheteur d’obligations d’État, et avec lui une forte demande et des liquidités.

Quelles sont les conséquences du tapering pour les marchés ?

En 2013, l’ancien président de la Fed, Ben Bernanke, déclarait lors d’une audition devant la Chambre des représentants américaine que la Fed envisageait de réduire ses achats d’obligations. L’économie s’était remise du pire de la crise financière, le marché du travail était en bonne santé, tout comme les marchés financiers. La réaction des marchés financiers fut aussi inattendue que vive. Les marchés boursiers ont chuté de plus de 5 % en peu de temps, et le taux d’intérêt des obligations d’État américaines à 10 ans est passé de 1,8 à 3 %. Les taux d’intérêt des obligations augmentent lorsque leurs prix baissent.

Après cette panique, la Fed a renoncé à son intention de limiter le QE, et depuis lors, les analystes et les marchés sont encore plus attentifs à tout ce que la banque et ses dirigeants disent à ce sujet. Dans chaque discours ou conférence de presse, les mots des responsables de la Fed sont pesés par les bourses, à la recherche de toute référence à un éventuel tapering. La Fed n’en est que plus prudente dans son choix de mots et de formulations.

Un tapering est-il tout de même probable ?

Comme en 2013, la Fed laisse sous-entendre qu’un tapering est au programme, mais cette information n’a rien d’officiel. D’une part, l’économie se redresse fortement et il y a des signes d’inflation, un indicateur clé pour la Fed. D’autre part, le marché du travail américain n’est pas encore au niveau d’avant Covid-19 et le variant delta pourrait tuer dans l’oeuf la reprise économique.

Ces dernières semaines, certains responsables de la Fed ont déclaré, dans des discours et des interviews, que la Banque centrale envisageait d’organiser prochainement un débat sur un possible tapering. Impossible de faire plus conditionnel. Le président de la Fed, Jerome Powell, a récemment déclaré qu’il souhaitait d’abord voir une reprise plus forte du marché du travail.

Si la reprise économique américaine se consolide, que le chômage diminue et que la hausse actuelle de l’inflation se poursuit, la Fed pourrait agir plus tôt que prévu, mais les investisseurs peuvent être sûrs que la Fed l’annoncera suffisamment à l’avance pour que les marchés financiers se fassent à cette idée.

Tous les regards sont donc rivés sur le symposium économique annuel de la Fed, se tenant à Jackson Hole à la fin de la semaine prochaine, ou sur la prochaine réunion régulière de la Fed, organisée en septembre. Certains s’attendent à ce que la Fed annonce qu’elle réduira ses achats en octobre ou à la fin de l’année. D’autres voient encore trop d’incertitudes économiques et pensent que ce sera pour plus tard.

Quid de la BCE ?

Pour l’instant, le tapering et l’agitation qu’il engendre aux États-Unis n’ont pas encore fait leur entrée en Europe, où la reprise économique est à la traîne. En outre, les taux d’inflation européens n’ont pas encore augmenté aussi fortement qu’aux États-Unis et les marchés du travail des 27 États membres ont encore du chemin à parcourir pour atteindre le plein emploi. La BCE n’est donc en aucun cas prête à réduire ses programmes de rachat. Ceux-ci se poursuivront au moins jusqu’à la fin de 2022, dit-on à Francfort.

Les bourses européennes ne sont toutefois pas à l’abri de la panique américaine, comme nous l’avons vu jeudi. Les principaux indices européens ont perdu beaucoup de terrain.

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