La Bourse à marée basse: depuis 2005, 30.000 société ont quitté les marchés boursiers mondiaux

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Les cours des actions flambent. Pourtant, depuis 15 ans, le nombre de sociétés cotées diminue. Ce reflux s’explique par la facilité à aller trouver de l’argent ailleurs. Mais pas seulement.

Derrière les envolées d’actions stars comme Apple, Tesla ou Amazon se cache une autre tendance moins positive sur les marchés boursiers. C’est la réduction continue du nombre des sociétés cotées depuis 15 ans. L’OCDE a calculé: “depuis 2005, plus de 30.000 sociétés ont été radiées des marchés boursiers dans le monde, soit 75% de toutes les sociétés cotées aujourd’hui”, soulignent les économistes de l’institution dans une récente étude (*). Ces radiations n’ont pas été compensées par de nouvelles introductions, ce qui a entraîné une perte nette de sociétés cotées. Pour l’Europe seule, on est à 8.000 disparitions. “Cela signifie que plusieurs milliers d’entreprises de moins sont aujourd’hui en mesure d’accéder directement aux marchés publics d’actions, à un coût relativement faible”, ajoute l’OCDE.

Avec l’abondance de l’argent pas cher, les sociétés se tournent abondamment vers l’emprunt.

Bruxelles ne fait pas exception. “Même si l’année 2021 s’annonce comme un bon cru pour Euronext Bruxelles avec quatre nouvelles cotations et un pipeline solide pour le reste de l’année, sur le long terme nous voyons un tassement du nombre de sociétés cotées à Bruxelles qui est en ligne avec la tendance mondiale”, admet Pascal Brabant, responsable de la communication d’Euronext Bruxelles.

La Bourse à marée basse: depuis 2005, 30.000 société ont quitté les marchés boursiers mondiaux

Plus insidieux encore: parmi les entreprises qui font appel quand même à la Bourse, on compte désormais un grand nombre de SPAC, ces coquilles vides auxquelles les investisseurs donnent un chèque en blanc pour concrétiser un projet d’acquisition d’une société ou d’investissement dans une thématique particulière.

Chez nous, les introductions en Bourse concernent souvent des segments comme l’immobilier ou les biotechs. Ces deux segments sont certes des success stories économiques mais on ajoutera que l’investissement en biotech reste risqué. Les biotechs qui s’introduisent en Bourse cherchent à financer la phase clinique de projets de traitement mais les taux de réussite de ces développements ne dépassent pas les 14% en moyenne.

Ces considérations mises à part, on observera toutefois que le marché boursier fonctionne bien. Les sociétés cotées voient leur valeur augmenter et se servent de la Bourse pour lever des capitaux. “La valorisation moyenne des sociétés cotées à Bruxelles a fortement progressé: la capitalisation boursière totale de la cote bruxelloise est passée de 201 milliards en 2004 à 339 milliards à la fin 2021”, précise Pascal Brabant.

Beaucoup d’alternatives

Mais pourquoi, alors que la valeur des entreprises cotées augmente, la Bourse n’attire-t-elle plus beaucoup de nouveaux candidats? “Cela s’explique par une intense activité de fusions et acquisitions, des taux bas et le financement via le private equity, répond Pascal Brabant. Par ailleurs, on se doit de constater que la réglementation touchant les sociétés cotées a eu une tendance à croître ces dernières années dans le but de protéger l’investisseur.”

Avec l’abondance de l’argent pas cher, les sociétés se tournent abondamment vers l’emprunt. L’an dernier, malgré la crise sanitaire, les sociétés non financières n’ont eu aucun mal à lever des obligations et ont pu récolter un record de 2.900 milliards de dollars. Le montant des obligations émises par les sociétés non financières dans le monde dépasse désormais les 14.800 milliards de dollars.

Et les sociétés qui cherchent des candidats pour entrer dans leur capital peuvent aussi compter sur de nombreux investisseurs privés. “Les sociétés et les entrepreneurs ont de plus en plus d’alternatives à la Bourse, abonde Michael Van Eeno, le responsable du département corporate finance chez ING Belgium. Le nombre de transactions qui s’effectuent avec des fonds de private equity (qui investissent dans des sociétés non cotées, Ndlr) ou des family offices en témoignent. Dans ces opérations, on atteint le même niveau de valorisation qu’une introduction en Bourse mais les obligations de transparence sont moindres.”

La floraison de SPAC s’explique par des raisons semblables, ajoute le banquier. “Les SPAC restent un phénomène très américain, poursuit-il. Mais c’est un peu le même sujet. Une SPAC est une société de private equity cotée qui se concentre sur un thème ou une transaction. Leur succès s’explique parce qu’il y a beaucoup d’argent disponible. Beaucoup d’entrepreneurs, également en Belgique, réussissent à vendre leurs sociétés pour des montants considérables. Si ces montants se retrouvent sur leur compte en banque, ils doivent payer un intérêt négatif parfois de plusieurs dizaines de points de base. Ils cherchent donc où investir pour avoir un rendement, et c’est pourquoi les SPAC et les fonds de private equity continuent à attirer de l’argent.”

“The winner takes it all”

Une autre raison explique aussi la disparition des petites sociétés de la cote: c’est le phénomène de concentration qui touche tous les secteurs de l’économie. Les grandes entreprises avalent les petites, et les grands investisseurs institutionnels investissent surtout dans les grandes sociétés cotées. “Sur tous les marchés avancés, la part moyenne de la propriété institutionnelle dans les grandes sociétés cotées est nettement plus élevée que dans les petites sociétés, notent les économistes de l’OCDE, qui ajoutent que les gestionnaires des plateformes boursières ont également intérêt à “encourager la concentration sur les grandes entreprises dont les actions sont liquides”.

De plus, comme le fait observer Pascal Brabant, les petits particuliers – et notamment les nouveaux venus apparus avec la pandémie – favorisent eux aussi les grandes entreprises. “De nos chiffres, il ressort que ces nouveaux investisseurs s’orientent en priorité vers les grandes sociétés du Bel 20 au détriment des petites et moyennes capitalisations qui, justement, pourraient bénéficier le plus de ce flux”, note le porte-parole d’Euronext, qui poursuit: “C’est pourquoi nous plaidons pour des incitants en faveur des investissements dans les PME cotées, avec deux mesures peu coûteuses et simples à mettre en place: la suppression de la taxe sur opérations de Bourse pour les transactions sur les sociétés ayant une valeur de moins d’un milliard d’euros, et la réduction du précompte mobilier pour ces mêmes sociétés ayant une valeur de moins d’un milliard d’euros”.

On laissera le mot de la fin à Michael Van Eeno: “La Bourse aura toujours sa place pour supporter tout type de sociétés, dit-il. Mais une IPO doit faire partie intégrante de l’histoire de croissance d’une entreprise. Nous avons assisté dans les années 1990 à des entrées en Bourse de sociétés qui se sont retirées ensuite parce qu’elles ne s’étaient pas demandé: que ferai-je une fois en Bourse et quelles conséquences aura cette cotation pour toutes les parties prenantes de la société?”.

(*) OCDE, 2021, “The Future of Corporate Governance in Capital Markets Following the Covid-19 Crisis”

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