Détruire de la valeur en cherchant à croître
Une entreprise peut se développer de deux manières: en réduisant ses coûts et en travaillant plus efficacement, de façon à réaliser plus de bénéfices avec les mêmes ressources et les mêmes capitaux. Ou en investissant pour développer ses activités ou pour procéder à des acquisitions, ce qui revient en quelque sorte à acheter du chiffre d’affaires.
Pour évaluer le potentiel de croissance d’une entreprise, il convient d’examiner tous les éléments constitutifs de cette croissance. Le premier est le taux de croissance du secteur dans lequel la société est active: tous les secteurs ne se développent pas au même rythme. Les analystes s’attendent à ce que les logiciels, les métaux précieux et l’électronique, par exemple, progressent de 30% au cours des cinq prochaines années, alors que les entreprises du secteur pétrolier, des médias et de l’aéronautique connaîtront un ralentissement – toute croissance n’y sera pas impossible, mais elle n’ira pas de soi. Vient ensuite le taux de croissance de l’entreprise elle-même. Le spécialiste des logiciels qui progresse de 30% l’an évolue au rythme du secteur, ni plus ni moins; or pour être efficace, l’investisseur de croissance doit sélectionner des entreprises plus rapides. Pour cela, il doit connaître le secteur et comprendre les tendances qui le définissent. Il existe par ailleurs différents types de croissance: la société peut vouloir appuyer sa progression sur l’évolution de son chiffre d’affaires, de son bénéfice ou de ses cash-flows. La croissance du chiffre d’affaires ne garantit pas nécessairement celle des bénéfices, et inversement.
L’évolution du chiffre d’affaires est le meilleur indicateur de croissance au sein d’un secteur. Avec une croissance de 60% l’an en moyenne sur les cinq dernières années, le chiffre d’affaires de l’américain Twilio progresse plus vite que son secteur. Installé de longue date, Adobe Systems s’est limité, sur cette même période, à 20%. Mais il est rentable depuis longtemps, alors que Twilio, très jeune encore, est dans le rouge année après année. La croissance influe également sur la valorisation de l’action. Ainsi les actions des secteurs de croissance affichent-elles une valorisation supérieure à celle des actions des domaines à l’historique plus long, comme l’immobilier ou l’industrie. Au sein d’un même secteur, enfin, les entreprises de croissance sont plus onéreuses que leurs concurrentes plus anciennes. Twilio s’échange à plus de 200 fois son cash-flow opérationnel, Adobe à 30 fois.
Le ratio PEG (price earnings to growth) permet à l’investisseur qui valorise un titre de tenir compte de la croissance. Le ratio PEG compare le ratio cours/bénéfice (“PE”, ou C/B; lire ici la première analyse de la série consacrée aux ratios) d’une action aux bénéfices prévisionnels de son émettrice. Si une action affiche un rapport C/B de 35 et que les analystes misent sur une hausse de 45% du bénéfice par action, le ratio PEG s’élève à 0,8. On estime généralement que les actions dont le PEG est inférieur à 1 sont dignes d’achat et qu’au-delà, elles sont chères, mais cette vision est trop réductrice. Le PEG dépend des bénéfices calculés par les analystes, lesquels se montrent souvent trop optimistes. Il dépend aussi étroitement des taux d’intérêt: lorsque les taux sont bas, les actions s’échangent généralement à des rapports C/B plus élevés, ce qui fait augmenter le PEG, sans rendre les titres plus ou moins intéressants à acquérir pour autant.
Création ou destruction de valeur
Une entreprise peut se développer de deux manières: en réduisant ses coûts et en travaillant plus efficacement, de façon à réaliser plus de bénéfices avec les mêmes ressources et les mêmes capitaux, étant entendu que la croissance générée par ce biais ne peut être infinie. Ou en investissant pour développer ses activités, par exemple en construisant de nouvelles usines ou en se dotant d’une équipe commerciale; ou encore en procédant à des acquisitions, ce qui revient en quelque sorte à acheter du chiffre d’affaires.
De tels investissements comprimant le bénéfice net et le cash-flow disponible, il est impératif de s’assurer de leur rentabilité. Dans le jargon, le rendement sur capital investi (return on invested capital, ou ROIC) doit être supérieur au coût du capital pour que la croissance génère de la valeur ajoutée pour l’entreprise. Si le rendement des investissements est égal à la dépense, la croissance est insignifiante et donc, sans valeur: le chiffre d’affaires aura beau augmenter, la société ne gagnera pas plus, ce qui veut dire qu’elle ne vaudra pas plus, qu’auparavant. Quand le rendement des investissements consentis pour assurer la croissance est inférieur à la dépense, le développement est destructeur de valeur. Ce qui est le cas pour plus de la moitié des entreprises. Pour Aswath Damodaran, professeur d’analyse boursière à l’université Stern de New York, il s’agit là d’une des statistiques de croissance les plus effrayantes qui soient.
Pour savoir si une entreprise crée ou détruit de la valeur en se développant, il convient de comparer son ROIC au coût du capital, ce qui est tout sauf simple. Le ROIC est le résultat de la division du résultat opérationnel après impôts par la somme des capitaux propres et de la dette nette. L’investisseur que ce calcul rebute peut se fier à des sites bien connus tels que Yahoo! Finance ou Koyfin, qui publient le ROIC des plus grandes sociétés cotées. Le coût du capital est encore plus compliqué à obtenir, mais Aswath Damodaran se charge de calculer chaque année le coût moyen du capital au sein d’un panel de secteurs dans toutes les économies avancées. Le spécialiste néerlandais de l’alimentation animale ForFarmers, par exemple, réalise un rendement de plus de 5% sur le capital investi, contre 3% pour le reste du secteur européen; s’il devait investir dans sa croissance, il augmenterait sa valeur, bien qu’il opère dans un secteur en déclin.
Croissance exceptionnelle
La stratégie d’acquisition peut parfois s’avérer décevante puisque, nous l’avons vu, l’entreprise peut très bien détruire de la valeur au lieu d’en créer. Maintes études ont montré que les avantages de synergie sont généralement moindres que prévu, voire inexistants. Mieux vaut donc bien surveiller les entreprises qui se développent principalement par ce biais. Les sociétés qui affichent une croissance supérieure à la moyenne de leur secteur étant confrontées à la concurrence de leurs pairs, elles finissent par tomber dans une situation où le surcroît de bénéfice ne justifie plus le surcroît d’investissement – la croissance supérieure à la moyenne est, pour ainsi dire, détruite par le jeu de la concurrence.
Quelques rares noms parviennent toutefois, grâce à l’avantage concurrentiel dont ils disposent, à maintenir une croissance supérieure à la moyenne. Nous songeons évidemment à Google, avec ses algorithmes de recherche inégalés, ou à Microsoft, qui détient une position de quasi-monopole dans un certain nombre de niches. Il s’agit toutefois d’exceptions: dans la plupart des cas, la croissance extraordinaire n’est que temporaire. L’investisseur partira donc du principe que les sociétés de croissance qui entrent en Bourse pourront évoluer plus rapidement que la moyenne au début mais qu’après quelques années, elles ne feront pas mieux que le reste de leur secteur. Le spécialiste de la gestion sécurisée des identités et des accès Okta est entré au Nasdaq en 2017. Au cours des deux années qui ont suivi, son chiffre d’affaires a affiché une croissance de 50% à 60%; la hausse plafonne, depuis, à 40-50%, et devrait tourner autour de 30-35% dans le futur. Actif depuis plus longtemps, son concurrent Fortinet n’a progressé que de 20% par an ces 10 dernières années. Quant à Check Point Software, plus ancien encore, il affiche des taux inférieurs à 10%.
Investir dans la croissance est généralement plus risqué qu’opter pour des sociétés établies, car la croissance est encore plus difficile à prévoir que les cash-flows des entreprises matures. L’investisseur doté d’un certain flair peut bien sûr investir plus que d’autres dans ce segment; mais ne parier que sur lui est trop risqué. La croissance a sa place dans tout portefeuille d’investissement, mais dans une certaine mesure seulement.
Série “Les ratios”
Les ratios de valorisation – les “multiples”, dans le jargon financier – sont omniprésents dans l’univers des investissements. C’est d’eux que s’inspirent les décisions d’achat. Il existe énormément de ratios, dont chacun met en lumière un aspect particulier d’une action et de la société à l’origine de son émission. L’ensemble de ces ratios permet de se faire une idée de la santé financière et du potentiel de rendement des sociétés cotées en Bourse. L’Initié de la Bourse consacre actuellement six articles aux plus importants et plus prisés d’entre eux:
1) Lire ici : cours/bénéfice
2) Lire ici : cours/valeur comptable
3) Lire ici : EV/Ebitda
4) Lire ici : ratios d’endettement
5) Le présent article : ratios de bénéfices
6) En ligne le 9/7: marges bénéficiaires et cash-flows disponibles
Stratégie
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