Dette sur capitaux propres et dette sur Ebitda

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Comme tous les ratios de valorisation, les ratios d’endettement examinés seuls sont peu éloquents: ils doivent être contextualisés, et étudiés à la lumière de l’exploitation de l’entreprise. Ainsi constate-t-on des différences marquées entre les secteurs sur le plan de la dépendance au financement par la dette.

Certains ratios financiers ne renseignent pas tant sur la valorisation de l’entreprise que sur sa santé financière. C’est le cas des ratios d’endettement. En comparant les dettes à certains des postes du bilan et du compte de résultat, l’investisseur peut se forger une idée de la capacité qu’a l’entreprise à supporter ses engagements.

Toute entreprise peut se financer de deux manières: au moyen de ses capitaux propres, ou de fonds de tiers. Dans le premier cas, elle lève des fonds auprès des actionnaires, en Bourse ou ailleurs; les bénéfices qui ne sont ni distribués, ni réinvestis dans l’exploitation, peuvent venir grossir ces fonds chaque année. Les capitaux de tiers sont, eux, les prêts accordés par les banques ou obtenus sur les marchés obligataires, ou encore les dettes à l’égard des fournisseurs.

L’investisseur se doit de surveiller l’équilibre entre fonds propres et fonds de tiers. En commençant par comparer la dette financière nette (les dettes financières moins les liquidités) aux capitaux propres. Soit, dans le jargon, le gearing (littéralement : l’engrenage), qui donne une idée de la dépendance de l’entreprise au financement par la dette. Cette dépendance peut être fondamentalement différente d’une société ou d’un secteur à l’autre. Le fabricant de moquettes Balta, par exemple, a un ratio de 122%: il a en d’autres termes plus de dettes que de fonds propres. En revanche, la dette financière nette du producteur de PET Resilux représente 13% seulement de ses fonds propres. Dette sur capitaux propres élevée rime avec risques accrus, ce qui se reflète dans les cours et les valorisations; les sociétés trop endettées s’échangent à des cours plus bas que leurs concurrentes.

L’investisseur se demandera ensuite si l’entreprise génère des flux de trésorerie suffisants pour supporter et rembourser ses dettes. La dette sur Ebitda est un ratio couramment utilisé pour s’en assurer, qui compare la dette financière nette au cash-flow opérationnel, ou Ebitda. Ce rapport permet de connaître la capacité de remboursement de l’entreprise, c’est-à-dire combien de fois l’Ebitda annuel est nécessaire pour rembourser la dette. Balta ayant un ratio dette/Ebitda de 4, il aurait en théorie besoin de quatre ans pour rembourser ses emprunts bancaires et obligataires s’il utilisait à cette fin l’intégralité de ses flux de trésorerie opérationnels. Resilux affiche pour sa part un rapport dette/Ebitda de 0,4, soit l’équivalent d’une demi-année.

Prévisibilité

Comme tous les ratios de valorisation, les ratios d’endettement examinés seuls sont peu éloquents: ils doivent être contextualisés, et étudiés à la lumière de l’exploitation de l’entreprise. Ainsi constate-t-on des différences marquées entre les secteurs sur le plan de la dépendance au financement par la dette. Les entreprises dont les flux de trésorerie sont très prévisibles, comme les sociétés de services aux collectivités ou les immobilières, peuvent généralement tolérer des ratios élevés; le ratio dette/Ebitda de l’opérateur du réseau à haute tension Elia, par exemple, est supérieur à 8, mais une grande partie des revenus du groupe est générée par des contrats à long terme, ce qui la rend gérable. Conclus pour plusieurs années, les baux apportent régularité et prévisibilité aux revenus des promoteurs immobiliers également.

Les entreprises des secteurs défensifs, comme les producteurs de biens de consommation de base ou les télécommunications, bénéficiant elles aussi souvent de flux de trésorerie stables, elles peuvent s’autoriser des ratios plus élevés. C’est le cas d’AB InBev, dont le ratio dette/Ebitda est passé de 2,6 à 6,6 depuis l’acquisition du sud-africain SABMiller, en 2016; le brasseur n’a donc plus qu’à vendre autant de bières que possible pour la faire baisser. Pour les entreprises dont les revenus proviennent de grands projets ponctuels et peu réguliers, en revanche, des ratios aussi considérables sont plus difficiles à supporter.

Arme à double tranchant

La dette est une arme à double tranchant. D’une part, elle exerce un effet de levier sur les bénéfices – une entreprise très endettée, qui engrange de plantureux bénéfices, pourra affirmer qu’elle dégage des rendements considérables avec peu de capitaux propres. Mais elle peut aussi être la pierre qui tire vers le fond la société dont une grande partie des revenus, pour une raison ou une autre, disparaît.

Ainsi AB Inbev, très cruellement frappé par les confinements, a-t-il dû sabrer dans les dividendes et, plus encore, dans les coûts. A l’autre bout du spectre, Kinepolis et l’entreprise technologique Barco s’en sont bien sortis: malgré la disparition complète de ses revenus, Kinepolis a réussi à garder la tête hors de l’eau; bien que très affecté lui aussi, Barco a investi dans le développement, pour sortir renforcé de la pandémie.

Confiantes dans l’atonie des taux d’intérêt, certaines entreprises ont une fâcheuse tendance à sous-estimer les inconvénients d’un endettement trop lourd. Emprunter coûte actuellement si peu que plusieurs d’entre elles, oubliant qu’il faudrait rembourser tôt ou tard, se sont lourdement endettées. C’est la raison pour laquelle il est important de suivre l’évolution de ce poste. Souvenons-nous du belge Nyrstar: en 2010, ce spécialiste mondial des métaux, leader sur le marché du zinc et du plomb, affichait une dette nette de 38 millions d’euros, pour un Ebitda de 207 millions et des fonds propres de 832 millions. Huit ans plus tard, sa dette atteignait 1.693 millions d’euros, alors que l’Ebitda stagnait à 205 millions d’euros et que les capitaux propres avaient plongé dans le rouge. Nyrstar s’était endetté pour se développer dans un domaine qu’il ne connaissait pas: l’exploitation minière. Ce qui rendait sa situation beaucoup plus inconfortable que celle d’AB Inbev, par exemple, qui, en rachetant des concurrents, ne s’est pas lancé à l’assaut d’autres secteurs.

Le groupe FNG, spécialisé dans la création et la distribution de vêtements et de chaussures, est un autre exemple, plus récent, d’une politique trop ambitieuse. Très agressive, sa stratégie de rachats l’avait incité à s’endetter de plus en plus. Comme les résultats d’exploitation (Ebit) n’ont pas suivi, l’endettement est tout bonnement devenu ingérable.

Autres engagements

En plus des dettes financières, l’investisseur sera bien inspiré d’examiner les autres engagements importants actés au bilan. Le géant de la chimie Solvay, par exemple, a constitué pour 2,2 milliards d’euros de provisions destinées à financer divers plans de pension au profit de son personnel. Il ne s’agit pas de dettes à proprement parler, mais de sommes que le groupe s’est engagé à débourser à terme. Si on les ajoute aux 2,5 milliards d’euros de dette financière nette, on obtient un ratio dette/capitaux propres de non plus 34%, mais 65%, et un rapport dette/Ebitda qui passe de 1,3 à 2,4. Rien de cela ne met Solvay en danger mais pour les sociétés très endettées, la vue d’engagements importants doit déclencher une sonnette d’alarme dans l’esprit de l’investisseur.

Pour autant, l’endettement n’est pas une stratégie à proscrire. Le financement par la dette pouvant contribuer à rendre l’exploitation plus rentable, il fait partie de la boîte à outils de tous les CFO. Les sociétés qui tirent insuffisamment parti des possibilités de financer leurs activités ou projets par la dette, seront sanctionnées par les marchés. L’opérateur de télécommunications Telenet, par exemple, s’est vu reprocher par CIAM de ne pas suffisamment utiliser sa marge de financement pour rémunérer ses actionnaires: selon le fonds d’investissement activiste, le groupe belge pourrait parfaitement s’endetter davantage pour racheter ses propres actions.

A chaque entreprise, donc, de trouver le meilleur équilibre entre capitaux propres et capitaux de tiers. Un équilibre qui dépend dans une large mesure du secteur d’activité.

Série “Les ratios”

Les ratios de valorisation – les “multiples”, dans le jargon financier – sont omniprésents dans l’univers des investissements. C’est d’eux que s’inspirent les décisions d’achat. Il existe énormément de ratios, dont chacun met en lumière un aspect particulier d’une action et de la société à l’origine de son émission. L’ensemble de ces ratios permet de se faire une idée de la santé financière et du potentiel de rendement des sociétés cotées en Bourse. L’Initié de la Bourse consacre actuellement six articles aux plus importants et plus prisés d’entre eux:

1) Lire ici : cours/bénéfice

2) Lire ici : cours/valeur comptable

3) Lire ici : EV/Ebitda

4) Le présent article : ratios d’endettement

5) En ligne le 2/7: ratios de bénéfices

6) En ligne le 9/7: marges bénéficiaires et cash-flows disponibles

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