Les cryptoactifs : une bonne idée pour votre portefeuille ?
La récente envolée du bitcoin a ramené les cryptoactifs à l’avant-plan au point d’attirer des fonds de pension et même de susciter l’intérêt d’une grande banque privée belge. Avant de vous lancer, ne perdez toutefois pas de vue l’importante volatilité inhérente à ce type d’actifs.
Déjà annoncés comme cliniquement morts à deux reprises, les cryptoactifs ont à nouveau déjoué les pronostics. Le bitcoin a ainsi atteint pour la première fois le cap des 70.000 dollars en mars, dépassant ses deux précédents pics de 2021.
La récente hausse a été soutenue par le lancement d’une dizaine d’ETF au comptant (spot) sur le bitcoin aux Etats-Unis. Ces derniers ont en effet suscité un véritable engouement parmi les investisseurs. L’iShares Bitcoin Trust de BlackRock a ainsi atteint 10 milliards de dollars d’actifs en moins de deux mois.
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Comparativement, le plus important ETF sur l’or avait mis deux ans pour atteindre ce seuil en 2006. Au total, les ETF spot sur le bitcoin pesaient plus de 60 milliards de dollars début juin, ce qui a gonflé la demande et les cours des cryptoactifs.
Le b.a.-ba des cryptoactifs
“Les cryptomonnaies sont basées sur une blockchain agissant comme un cahier de compte numérique ayant la double particularité d’être ouvert à tous et ineffaçable, pointe Jean-Paul Delahaye. Ce registre est conservé de façon décentralisée par un réseau d’ordinateurs fonctionnant en pair à pair et disposant tous d’une même copie du registre.
Lorsqu’un utilisateur veut effectuer une transaction, il contacte numériquement l’un de ces nœuds qui fait ensuite circuler l’information. Régulièrement, un des nœuds ayant collecté des transactions est désigné pour ajouter une nouvelle page à la blockchain. Cette dernière circule ensuite entre tous les nœuds en vue de la validation et de l’ajout au registre.
A noter que la désignation du nœud validateur est basée sur ce qu’on appelle la preuve de travail dans le cas du bitcoin. Concrètement, tous les nœuds qui veulent être désignés doivent résoudre des problèmes mathématiques nécessitant en moyenne 10 minutes pour être résolus. Le premier qui y parvient obtient la récompense qui est actuellement de 3,125 bitcoins et propose la nouvelle page.
Il existe toutefois d’autres protocoles comme la preuve d’enjeu, aujourd’hui utilisée par le réseau ethereum. Le nœud validateur, désigné toutes les 15 secondes, est alors désigné au hasard en proportion de son engagement au sein de la blockchain.”
Qu’est-ce qu’un ETF spot ?
Les ETF (Exchange-Traded Funds) sont des fonds d’investissement cotés en Bourse. Ils s’échangent aussi facilement que des actions. Ce type de produit est notamment largement utilisé pour l’émission de fonds sur des indices boursiers ou des matières premières (or, pétrole, etc.).
Les premiers ETF (américains) sur le bitcoin ont été introduits en 2021. Ils n’investissaient toutefois pas directement dans la cryptomonnaie, mais sur des produits dérivés liés au bitcoin. Ce qui engendre certains risques supplémentaires. Un ETF spot détient par contre directement des bitcoins en rapport avec le nombre de titres émis. Chaque part d’ETF représente ainsi une part de bitcoin. A noter qu’il existait déjà des ETF spot en Europe, mais ils n’ont pas rencontré de grand succès pour des raisons réglementaires (limitant leur commercialisation) et de coûts.
L’approbation des ETF au comptant aux Etats-Unis a par contre stimulé le marché et permis à de nombreux investisseurs de miser sur le cryptoactif à moindres frais et sans devoir s’encombrer d’une clé numérique privée ou se tourner vers des plateformes à la réputation parfois sulfureuse (lire plus loin “Faut-il se méfier des plateformes cryptos ?”).
Le fonds de pension de l’Etat du Wisconsin y a ainsi investi plus de 160 millions de dollars. Le fonds de pension du Japon, le plus important au monde, a confirmé s’être renseigné au sujet des ETF sur le bitcoin. En Belgique, Jérôme van der Bruggen, chief invest officer chez Degroof Petercam, nous a confié que la première banque privée du pays “opterait sans doute pour un ETF spot si elle devait un jour investir dans le bitcoin”, ce qu’elle ne fait pas aujourd’hui.
Existe-t-il des ETF sur d’autres cryptoactifs ?
Le gendarme boursier américain est sur le point d’approuver des ETF au comptant sur l’ether(eum), le deuxième cryptoactif en importance, pesant 425 milliards de dollars. Cependant, les spécialistes s’attendent à ce que la demande soit bien moins fournie que pour les ETF sur le bitcoin. Ce qui transparaît déjà sur le marché des produits dérivés. Aux Etats-Unis, le bitcoin représente ainsi 88,6% des contrats à terme et l’ethereum le solde de 11,4%. Derrière ces deux géants qui concentrent 71% du marché total des cryptoactifs, peu d’autres offrent de réelles perspectives en termes d’investissement.
Tether, le troisième en importance, est une stablecoin dont l’unique objectif est d’afficher une valeur proche d’un dollar pour faciliter les échanges. Le quatrième, le BNB, est la cryptomonnaie propriétaire de la plateforme Binance reposant sur seulement 41 nœuds validateurs (contre plusieurs dizaines de milliers pour bitcoin). Un peu plus loin dans la hiérarchie, le Dogecoin, huitième cryptoactif en importance, brille essentiellement grâce à son symbole, un chien shiba inu, et aux tweets d’Elon Musk. Sa valorisation globale est ainsi toujours largement inférieure au sommet de 2021 (85 milliards de dollars) alors que plusieurs milliards de Dogecoin sont créés chaque année.
Dans l’ensemble, plus de 99% des 10.075 cryptoactifs répertoriés par CoinMarketCap ont une capitalisation totale inférieure à un milliard de dollars.
La hausse va-t-elle se poursuivre ?
Outre l’impact du halving pour le bitcoin, “la récente tendance haussière est liée à l’adoption générale de cet actif par les particuliers et les entreprises, estime Claire Balva, VP Strategy chez Deblock. L’arrivée sur le marché américain des ETF bitcoin a soutenu les cours de ce dernier depuis début 2024. Ce qui se reflète sur les autres cryptomonnaies, les détenteurs de bitcoin profitant de la hausse pour diversifier leur portefeuille dans d’autres cryptos.”
Reste à voir si cette tendance va se poursuivre alors que les flux sur les ETF au comptant américains ont commencé à faiblir à partir du 5 juin et sont tombés dans le rouge (davantage de retraits que d’investissements) au cours de la semaine dernière selon les données de SoSoValue.
Pourquoi des cycles de quatre ans pour le bitcoin ?
Il est souvent fait référence à des cycles quadriennaux en raison du halving, une spécificité propre au bitcoin qui renvoie à la division par deux de la récompense pour le nœud validateur de chaque nouvelle “page” de la blockchain. Lors de son lancement en 2009 par Satoshi Nakamoto, un pseudonyme derrière lequel se cachent probablement plusieurs personnes encore inconnues, cette récompense était de 50 bitcoins qui ne valaient à l’époque guère plus de quelques centimes. Depuis le 20 avril, elle est de 3,125 bitcoins. Les problèmes informatiques devenant de plus en plus compliqués – en raison de l’augmentation de la puissance de calcul dédiée –, les coûts pour les résoudre augmentent également. Actuellement, le seuil de rentabilité se situe ainsi à un prix du bitcoin compris entre 40.000 et 60.000 dollars selon les estimations.
“Le halving est l’une des principales causes de la hausse cyclique du prix du bitcoin”, précise ainsi Claire Balva. A noter que vers 2140, le halving devrait avoir pour effet de ramener la récompense sous 1 satoshi (un cent millionième de bitcoin). Elle disparaîtra alors et les nœuds seraient rémunérés par des frais de transaction.
Dans quoi investissez-vous ?
C’est un peu la question à 2.500 milliards de dollars, soit la valeur actuelle de l’ensemble des cryptoactifs, selon CoinMarketCap. Cela dépend avant tout de leur utilité. Jusqu’à présent, leur usage en tant que monnaie demeure assez limité. Mais elles disposent de différents atouts selon Jean-Paul Delahaye, professeur émérite à l’université de Lille et auteur notamment de l’ouvrage intitulé Au-delà du bitcoin (éditions Dunod) : “rapidité, faible coût des transactions, les applications smart contract (ndlr : protocoles informatiques qui facilitent, vérifient et exécutent la négociation ou l’exécution d’un contrat) qui ne peuvent fonctionner qu’avec des cryptomonnaies”.
Claire Balva souligne que les cryptos sont un univers hétérogène. “Toutes ne se valent pas. Si l’on prend les plus grandes, en particulier le bitcoin, on peut y voir plusieurs utilités comme la possibilité d’échanger de la valeur numérique sans intermédiaire, redéfinissant le rapport de force de l’individu avec le monde financier, ou la résistance à la censure des Etats, ce qui est particulièrement utile dans des contextes politiques ou économiques instables ou totalitaires. Certaines cryptos, comme Monero ou Zcash, offrent aussi une grande protection de la vie privée en ligne, mais elles sont généralement interdites par les régulateurs.”
Pas de blanc-seing du gendarme boursier américain
L’autorisation des ETF spot sur le bitcoin aux Etats-Unis est régulièrement présentée comme un gage de sérieux pour les cryptoactifs, accepté par l’importante Securities and Exchange Commission. Le gendarme boursier américain, qui n’avait plus vraiment d’autre choix après une décision de justice, a toutefois assorti sa décision d’une sérieuse mise en garde :
“Les investisseurs doivent rester prudents face à la myriade de risques associés au bitcoin et aux produits dont la valeur est liée aux cryptos”.
Quel est l’impact du bitcoin sur un portefeuille diversifié ?
Amy Arnott, analyste pour Morningstar, a évalué l’influence d’un investissement en bitcoin sur le profil de risque et de rendement d’un portefeuille diversifié. Comme vous pouvez le constater ci-contre, l’envolée initiale du cryptoactif a sensiblement accru les performances. Le rendement annuel est ainsi passé de 14% par an pour un portefeuille d’actions américaines à 21% par an avec 99% d’actions et 1% de bitcoin, la pondération étant rééquilibrée annuellement.
Revers de la médaille, la forte volatilité du bitcoin se reflète aussi sur l’ensemble du portefeuille. La perte maximale (du pic au creux) subie est ainsi trois fois plus importante à près de 34% pour le portefeuille avec 1% de bitcoin. Ce qui est évidemment un aspect à prendre en compte avant toute décision d’investissement, sachant que des hausses de plus de 1.000 % par an ne sont désormais plus possible pour le cryptoactif star.
Faut-il se méfier des plateformes cryptos ?
Vous n’êtes pas obligé de passer par un ETF pour investir dans les cryptoactifs. Vous pouvez aussi en acheter directement via une plateforme ad hoc. Le cas échéant, de nombreux produits de yield ou de staking peuvent vous permettre de générer des intérêts, même s’il convient de rester prudent selon Claire Balva: “Si le rendement vous paraît très élevé, c’est que les risques le sont aussi”. Concernant les plateformes de transaction, la faillite de FTX en 2022 a ébranlé la confiance dans ces intermédiaires.
Si le rendement vous paraît très élevé, c’est que les risques le sont aussi.” – Claire Delva (Deblock)
Pour l’améliorer, le secteur ne voit pas/plus d’un mauvais œil la réglementation, comme l’explique Joan Carette, managing partner auprès du cabinet spécialisé dans la fintech Simont Braun. “Pour autant que la réglementation soit rédigée intelligemment, son principal bénéfice est d’apporter de la clarté et de la certitude au niveau juridique, deux éléments importants pour qu’un secteur d’activité puisse se développer sereinement. En cela, le règlement européen MiCA (ndlr : Markets in Crypto-Assets Regulation), qui entrera pleinement en vigueur pour le mois de décembre, doit, à notre avis, être vu comme un point positif. D’autant plus que cela permettra d’harmoniser la législation en vigueur dans les différents Etats membres alors que la situation est aujourd’hui hétéroclite. La Belgique ne dispose par exemple pas de cadre spécifique, freinant le développement du secteur en comparaison avec la France ou les Pays-Bas. En revanche, les réglementations financières s’accompagnent souvent d’obligations lourdes, telles que l’obtention d’un agrément préalable ou le respect de nombreuses règles d’organisation et de fonctionnement. Ces obligations entraînent des coûts de compliance importants, qui rendent plus difficile l’accès des petites entreprises au marché et freinent potentiellement l’innovation. L’impact de MiCA ne pourra être évalué qu’au fur et à mesure de son application, mais le sentiment général sur le marché est que MiCA impose des obligations lourdes.”
Il est donc probable que cela entraîne une certaine concentration et un renchérissement des frais, corollaire d’une plus grande sécurité pour les utilisateurs de ces plateformes.
Comment se positionnent les banques belges ?
“BNP Paribas Fortis déconseille fortement l’achat de cryptomonnaies et demande à ses clients de ne pas procéder à l’achat de cryptomonnaies via des comptes de la banque”, explique Valéry Halloy, porte-parole, qui justifie cette position par les avertissements de la FSMA et de la BNB.
Du côté de Beobank, “les investissements en cryptoactifs ne font pas partie de leur modèle de conseil. Le message de base à celles et ceux qui s’intéresseraient aux cryptoactifs est donc de faire preuve de prudence et de faire des recherches approfondies, les cryptoactifs comportant des risques importants et une volatilité considérable”, selon Sandrine Roberti de Winghe, porte-parole. La banque privée DegroofPetercam reconnaît un certain intérêt .
Nous restons encore à l’écart à l’heure actuelle par manque de recul sur l’évolution des cryptoactifs dans certaines conditions de marché.” – Jérôme van der Bruggen (Degroof Petercam)
“Le bitcoin a les mêmes côtés attrayants que l’or, le volume limité en faisant potentiellement une réserve de valeur, explique ainsi Jérôme van der Bruggen. Nous restons toutefois encore à l’écart à l’heure actuelle par manque de recul sur l’évolution des cryptoactifs dans certaines conditions de marché, notamment en cas de crise similaire à 2008. Par ailleurs, investir dans ce type de produit – sur l’or ou le bitcoin – n’est pas un exercice naturel pour notre institution car ces matières (ou moyens d’échange) ne génèrent pas de revenu et ne peuvent dès lors pas être valorisées.”
Quelle est la fiscalité applicable pour les investisseurs ?
“La taxation des cryptoactifs n’a fait l’objet d’aucune réglementation spécifique, pointe Joan Carette. Les activités liées aux cryptoactifs sont donc soumises au régime de taxation classique. Pour les particuliers, cela signifie en pratique que les plus-values sur les cryptoactifs ne sont pas taxées pour autant que l’investissement puisse être considéré comme une opération de gestion normale d’un patrimoine privé.
Les plus-values sur les cryptoactifs ne sont pas taxées pour autant que l’investissement puisse être considéré comme une opération de gestion normale d’un patrimoine privé.” – Joan Carette (Simont Braun)
Toutefois, s’il y a spéculation ou si une personne est engagée professionnellement dans des activités liées aux cryptoactifs, ce revenu peut être imposé en tant que revenu divers ou revenu professionnel. Les autorités fiscales conservent un large pouvoir d’appréciation en la matière, sans certitude absolue à ce jour sur la classification fiscale des activités liées aux cryptos. Cela a donné lieu à plusieurs demandes de ruling auprès des autorités.”
En ce qui concerne les ETF sur les cryptoactifs, la fiscalité est identique à d’autres ETF.
La gabegie électrique et environnementale du bitcoin ne concerne pas les autres cryptomonnaies fonctionnant selon de meilleurs protocoles.” – Jean-Paul Delahaye (université de Lille)
Une gabegie environnementale
“L’impact environnemental du bitcoin est très important à cause de son protocole”, pointe Jean-Paul Delahaye. Le professeur évoque une consommation annuelle de 150 TWh, en accord avec l’évaluation de l’Université de Cambridge et quasiment le double de la production d’électricité en Belgique (82 TWh en 2023 selon Elia).
“Mais cette gabegie électrique et environnementale ne concerne pas les autres cryptomonnaies fonctionnant selon de meilleurs protocoles comme la preuve d’enjeu d’ethereum”.
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