Clemens Scholzen (CBC): “Dire que les Wallons n’entreprennent pas, c’est faux”

Sebastien Buron
Sebastien Buron Journaliste Trends-Tendances

Clemens Scholzen, le patron de la banque CBC, estime que l’entrepreneuriat ne se porte pas si mal que cela en Wallonie, même si le taux d’emploi reste insuffisant, dit-il.

Malgré la crise de l’énergie et les deux années de covid, ainsi que l’inflation et la forte augmentation des coûts salariaux, CBC poursuit sa croissance en Wallonie. L’an dernier, la filiale 100 % wallonne du groupe de banque et d’assurance KBC a réussi à dégager un bénéfice en hausse de 8 % et à attirer plus de 22.000 clients supplémentaires, portant ainsi son portefeuille de clients à 394.000 Wallons. Des chiffres dont se réjouit bien évidemment son CEO, Clemens Scholzen, pour qui le sud du pays, en dépit des difficultés, fait preuve d’une “belle dynamique entrepreneuriale”.

TRENDS-TENDANCES. Vous poursuivez votre expansion en Wallonie. Preuve que la situation économique au sud du pays n’est pas aussi désastreuse qu’on le dit ?

CLEMENS SCHOLZEN. Si l’on regarde ce qui se passe à Liège ou à Gosselies par exemple, on voit que beaucoup de jeunes entrepreneurs se lancent. Et ce avec un certain succès sur le marché belge mais aussi à l’étranger. Dire que les Wallons sont fainéants ou n’entreprennent pas, c’est faux.

Ne s’agit-il pas surtout d’une dynamique exclusivement numérique ?

Ce qui est frappant effectivement, c’est que beaucoup de ces créations de start-up vont toutes dans la même direction. Nous le voyons bien avec notre accélérateur Start It @CBC que nous avons lancé il y a un an à la Grand Poste, à Liège. En général, ce sont de nouvelles applications qui facilitent l’utilisation du digital. Rares sont les start-up qui lancent une nouvelle chaîne de magasins, par exemple.

Il y a donc des trous dans le pantalon ?

La capacité d’investissement n’est malheureusement pas suffisante. Mais ce qui reste surtout problématique, ce sont les anciens bassins industriels où le chômage demeure structurellement élevé. Le problème de la Wallonie, c’est son taux d’emploi et un développement économique qui n’est pas homogène.

Comment doper ce taux d’emploi ?

Il faut peut-être investir autrement dans l’enseignement. Peut-être aussi susciter plus d’échanges entre les régions. Quand je regarde la région d’où je viens, Eupen et ses alentours, 9.000 personnes franchissent chaque jour la frontière vers l’Allemagne et le Luxembourg, ce qui fait que le taux d’emploi dépasse 80 % en région germanophone. Je constate que très, très peu de Wallons vont travailler en Flandre, alors que le nord du pays est à la recherche de profils.

Un peu plus de 100.000 Wallons et Bruxellois travaillent en Flandre

Etes-vous confronté à la pénurie de talents ?

Pas au niveau de CBC. Par contre, les attentes des jeunes ont fortement changé. Il est plus difficile de les garder. La balance entre vie privée et vie professionnelle est bien plus importante, et surtout aussi les plans de carrière. La fidélité à l’employeur est tout à fait différente de ce que nous avons connu il y a 30 ou 40 ans. Par le passé, quand vous rentriez dans une banque, vous y restiez jusqu’au bout de votre carrière. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Les jeunes ne conçoivent pas leur parcours professionnel de cette manière. Cela veut dire qu’il faut prendre soin d’eux. Le talent management est devenu beaucoup plus important, ce qui est aussi très passionnant.

Comment faites-vous pour couvrir un territoire aussi disparate d’un point de vue économique ?

L’an dernier, nous avons adapté notre modèle de distribution. CBC compte actuellement une septantaine d’agences, mais de deux types différents. Nous accueillons les clients dans ce que nous appelons 33 agences full service qui sont dotées de spécialistes (crédits, placements, professions libérales, etc.). A côté de cela, dans les endroits plus reculés et donc moins fréquentés, nous disposons d’environ 40 agences dites Live. Ces dernières sont ouvertes trois jours par semaine et fonctionnent les deux autres jours de la semaine en remote, c’est-à-dire via notre service à distance CBC Live. Un employé peut donc par exemple travailler physiquement trois jours par semaine dans l’agence de Huy et pendant les deux autres jours de la semaine répondre de chez lui à un client qui appelle de Mouscron ou de Verviers. Et si ce dernier ne peut être aidé à distance, un rendez-vous est alors fixé en agence.

C’est donc un modèle hybride ?

Les employés de CBC qui travaillent en agence sont aujourd’hui capables de faire du face-to-face avec les clients mais aussi de les servir à distance. Depuis 2018 et le début de la crise du covid, le nombre d’appels entrants a été multiplié par trois pour l’ensemble de CBC. Beaucoup de clients ne viennent plus à l’agence, mais le nombre de contacts n’a pas diminué. Il a juste changé de nature.

Vous allez fêter très bientôt votre 400.000e client. Qu’est-ce qui fait le succès de CBC en Wallonie ?

Notre objectif est d’atteindre 430.000 clients d’ici 2025. Nous y serons donc avant. Je pense que nous avons une bonne image. CBC est aussi une banque autonome intégrée dans un grand groupe. Chaque euro déposé par un client wallon est réinvesti en Wallonie. Nous disposons aussi, je pense, d’une bonne technicité dans plusieurs métiers : les crédits, les placements, le private banking. Notre formule de banque directe et son agence Pure Online, avec un compte gratuit et une carte de crédit gratuite, marche aussi très bien. Elle totalise aujourd’hui plus ou moins 70.000 clients. C’est un canal d’acquisition qui représente plus ou moins la moitié de nos nouveaux clients, dont certains basculent par après vers le réseau d’agences en cas de besoin plus spécifiques.

Un mot sur la hausse des taux d’intérêt qui secoue les banques…

Nous avons d’abord connu des taux bas, porteurs pour les activités liées au crédit et ensuite, une remontée de taux qui a diminué l’attrait pour les prêts mais qui a permis de restaurer la rentabilité sur les produits d’épargne. C’est plutôt une bonne chose. Mais la hausse est tellement brutale que l’actif du bilan, c’est-à-dire les activités de crédit et les financements obligataires, souffre. Si les taux avaient progressé un peu moins vite, les difficultés auraient été moins prononcées. Clairement, le but poursuivi par les autorités monétaires sera atteint. L’économie est en train de ralentir, et je l’espère, pas dans la direction d’une récession.

Observez-vous un ralentissement suite à la hausse des taux ?

Je constate que le nombre de prêts hypothécaires a fortement diminué depuis le début de l’année, y compris chez CBC. La hausse des taux et l’inflation, via l’augmentation du prix des matériaux, a un impact sur la construction et l’immobilier en général. C’est une double peine. Mais il ne s’agit pas d’un credit crunch. CBC n’est pas plus sévère qu’avant dans l’octroi de crédits professionnels ou à destination des particuliers. C’est en l’occurrence la demande qui s’est écroulée en prêts hypothécaires, mais pas en crédits professionnels.

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