Le rebranding des partis, gagnant des élections ?

LES PARTIS qui ont su se réinventer, dont Les Engagés, sont sortis vainqueurs des élections. © BELGA
Baptiste Lambert

Plus qu’un simple changement cosmétique, trois partis, à des degrés divers, ont opéré un rebranding. C’est assez évident pour Les Engagés, dont beaucoup se sont pourtant moqués. C’est aussi vrai pour le MR, en tout cas dans le style. Et sans doute également pour Vooruit, dont Conner Rousseau est une marque à lui seul. Ces trois partis ont gagné les élections.

Au matin du 27 mai 2019, le cdH se réveille avec la gueule de bois. Les humanistes font leur pire score en Wallonie et dépas­sent à peine le seuil électoral à Bruxelles. Le président du parti, Maxime Prévot, annonce une cure d’opposition à tous les niveaux de pouvoir. Un travail d’introspection débute dans la foulée. Il va durer deux ans. Deux ans à consulter la société civile et la population. “On a fait quelque chose d’inédit, se remémore Maxime Prévot. On s’est remis en ques­tion pour porter nos grandes oreilles au cœur des préoc­cupations des citoyens, pour s’enraciner à nouveau. Loin des débats ­parfois trop nombrilistes des partis. Une démar­che d’authenticité.”

Pourtant, le processus démarre dans la douleur. Le samedi 11 janvier 2020, à Namur Expo, Maxime Prévot annonce qu’il “fera beau demain”. Un slogan dont beaucoup vont se moquer. On a pourtant échappé au pire, puisque des noms comme “Shaker” ou encore “Brasero” avaient été proposés par une agence de communication. Bref, à ce moment-là, personne n’y croit vraiment, mais ce long processus aboutira à une nouvelle identité.

Maxime Prevot

Le 12 mars 2022, le cdH laisse place à un nouveau nom, une nouvelle couleur et un nouveau logo. Les Engagés se parent de bleu turquoise et veulent entrevoir le soleil. Le parti s’identifie désormais comme un mouvement, plus moderne, plus dynamique, mais partant toujours du centre. L’inspiration est macronienne, mais pas seulement : “En France, la notion de centre était quelque chose de nouveau. Ici en Belgique, le centre politique, dans lequel nous nous inscrivions, existait depuis longtemps. Il fallait donc aller plus loin”, explique l’actuel directeur com’ des Engagés, François Baudru. Ce dernier juge toutefois que le terme de “rebranding” est trop réducteur : “On est bien au-delà du ravalement de façade”. L’idée du nom émerge d’une très petite équipe autour de Maxime Prévot. “Pas plus d’une dizaine de personnes, se remémore le communicant. Il y a eu énormément de réunions et de brainstormings, avec des propositions navrantes et quelques fulgurances.”

En partant de la nuance, un élément central, le président de parti a voulu aller au-delà de l’indignation et du ras-le-bol qui gagnaient la population. “Il fallait quelque chose de plus fort : on est passé de l’idée des Indignés aux Engagés”, poursuit François Baudru. Ce nom a trois mérites : il est compréhensible, prononçable et facile à retenir.

Nous avons soumis le nom, la couleur et le logo à l’œil avisé de Gwenaël Hanquet de Minale Design Strategy. Cette entreprise est entre autres à la base du rebranding de Proximus, Beobank et tout dernièrement d’AKT, l’ancienne Union wallonne des entreprises. Autant dire qu’ils savent de quoi ils parlent. “Ce que je note, d’abord, c’est le sens du collectif. Il n’y a pas qu’un seul engagé mais des engagés. Maxime Prévot n’est pas seul. C’est une marque fédératrice.”

Ensuite, l’expert met en avant un élément de rupture : “Ils n’avaient plus trop le choix. Ils devaient se réinventer. Le PSC est devenu cdH pour se défaire de ses racines chrétiennes en mettant en valeur la notion philosophique d’humanisme. Mais il fallait plus que cela. Il fallait un marqueur de changement important que seul un rebranding complet peut apporter. Les citoyens avaient du mal à se reconnaître dans les partis classiques. Ils ont donc opéré cette rupture, mais avec un choix résonné : valoriser l’objectif plutôt que le parti en lui-même ; prendre les choses en main, s’engager.”

Cette rupture, elle se retrouve également dans la couleur dont l’importance n’est pas à négliger. C’est un marqueur de différenciation. “Quand vous faites un citytrip et que vous louez une voiture, vous ne cherchez pas un logo mais une couleur. Vous vous tournez vers le vert pour Europcar et le rouge pour Avis”, argumente Gwenaël Hanquet. “Le choix d’une couleur n’est pas innocent. Ils veu­lent faire passer un message : le bleu turquoise, c’est du vert et du bleu.”

Au sein de l’appareil du parti, on met plutôt en avant la volonté de s’éloigner d’une couleur primaire. Plus prosaïquement, beaucoup de couleurs étant déjà prises, il fallait trouver une couleur plus complexe. “On nous a souvent fait remarquer le mélange de bleu et de vert, mais ce n’était pas l’intention”, nous dit-on, en rappelant la couleur social du parti.

“Le choix d’une couleur n’est pas innocent. Ils veulent faire passer un message : le bleu turquoise, c’est du vert et du bleu.” – Gwenaël Hanquet (Minale Design Strategy)

Le logo, lui, a été réalisé par une société française. Il reprend la notion d’inclusivité, avec un second “e”, pour inclure les Engagées. Symboliquement, on retrouve aussi six barres qui formaient les six chapitres du nouveau manifeste des Engagés. “Il y a aussi une dynamique dans ce logo, avec un ‘e’ en mouvement et en forme de drapeau. Ils sont aussi dans cette logique du porte-drapeau d’un programme. C’est plutôt malin et bien foutu”, conclut l’expert en rebranding.

Le déclencheur

En mai 2022, Maxime Prévot est réélu président à 81,7% des voix. Le processus est lancé, mais les sondages ne décollent pas pour autant. Certains, en interne, semblent s’y perdre. En octobre 2022, Véronique Lefrancq, députée bruxelloise, annonce quitter Les Engagés, se sentant “orpheline politiquement”. Elle dit avoir besoin “d’une identité et de marqueurs” qu’elle ne retrouve plus. Pour diverses raisons, certains barons ne se représenteront pas non plus : l’ancienne ministre Alda Greoli, le très connu André Antoine et la très appréciée Catherine Fonck.

Mais d’autres font le trajet inverse. En mars 2022, Jean-Luc Crucke, faiseur de voix au MR, au profil de centre-droit, se dispute avec Georges-Louis Bouchez et s’engage. Il est le premier d’un long mercato qui permettra, in fine, de matérialiser la démarche des Engagés. Des profils très différents débarquent. C’est le cas d’Yvan Verougstraete, fondateur de Medi-­Market et élu Manager de l’Année en 2019 par Trends-Tendances. Suivront Olivier de Wasseige (UWE), Yves Coppieters (épidémiologiste), Jean-Jacques Cloquet (aéroport de Charleroi), Vincent Blondel (recteur de l’UCE) ou encore Armelle Gysen (animatrice). C’est le coup de génie de Maxime Prévot. “Ces personnalités nous ont permis de cautionner notre processus de renouveau”, reconnaîtra-t-il. Les Engagés s’ancrent sur le terrain, ce ne sont plus seulement des mots.

Dès 2023, les sondages s’améliorent. Jusqu’à s’emballer durant la campagne. Le 9 juin, c’est le triomphe. Les Engagés manquent de peu de prendre la deuxième place au PS en Wallonie. Plus personne ne se moque. Les Engagés ont réussi leur rebranding.

Le style Bouchez

GEORGES-LOUIS BOUCHEZ 
a fait du MR un nouveau parti sans devoir 
opérer un rebranding. © BELGA

Le MR n’a pas changé de nom et n’a opéré qu’un très léger changement de couleur, passant d’un bleu consensuel à un bleu plus agressif. En parfaite ligne avec le style de Georges-Louis Bouchez, qui a transformé le parti. Propulsé et soutenu par le clan Michel, le Montois devient prési­dent du MR le 29 novembre 2019, à l’âge de 33 ans. Il sort vainqueur d’un affrontement parfois sanglant avec Denis Ducarme.
 GLB imprime rapidement sa marque de fabrique, quitte à faire des étincelles. Sa présidence a tangué à plusieurs reprises, mais de chaque polémique, Georges-Louis Bouchez semble finalement être ressorti renforcé.

Tout a déjà été dit et écrit sur le style Bouchez : clivant, hyper-communicant, impatient, voire impétueux. Mais le principal marqueur de sa présidence reste sa particip-opposition. Bouchez ne cessera de torpiller ce qui ne lui plaisait pas dans une Vivaldi composée de sept partis. Le MR est devenu à la fois un parti de pouvoir et un parti d’opposition, qui s’inscrit dans la protestation ambiante.

Georges-Louis Bouchez a fait du MR un nouveau parti sans devoir opérer un rebranding en tant que tel. Son coup de génie ? La campagne d’affichage “50 nuan­ces de gauche et nous”. Tous les débats qui ont suivi lui ont donné de raison. C’était du tous contre un. “L’ère Georges-Louis Bouchez, c’est le MR sous stéroï­des, abonde Nicolas Baygert, spécialiste de la communication politique et enseignant à l’IHECS, à l’ULB et à Science Po (Paris). Une droite assumée avec une pédagogie manichéenne. Le slogan des 50 nuances de gauche l’a montré : il y avait d’un côté une gauche multiple et donc fragmentée, et de l’autre le MR. Cela a amené de la lisibilité. Il y a bien sûr le risque d’une simplification extrême des enjeux, mais le but était de mobiliser l’opinion publique, avec un MR en campagne permanente.”

“L’ère Georges-Louis Bouchez, c’est le MR sous stéroïdes.” – Nicolas Baygert (IHECS, ULB et Science Po Paris)

La suite appartient à l’histoire. Le MR devient première formation politique tant en Wallonie qu’à Bruxelles. Le style Bouchez est validé. Au point que la créature a aujourd’hui échappé à son maître. Le MR des clans Michel et Reynders, c’est désormais terminé. GLB a pris le pouvoir au MR, et désormais, tout le monde l’applaudit.

Le retour du roi

Avec les déboires de leur président, on aurait presque oublié que les socialistes flamands ont également effectué une mue. En pleine pandémie, le sp.a devient Vooruit et ne veut plus faire “de la vieille politique”. Son président, Conner ­Rousseau, qui a pris la tête du parti en 2019 à seulement 26 ans, entend “faire bouger les choses chaque jour, afin de contrer la lenteur, l’inertie et la régression”. En avant !

Conner Rousseau © belgaimage

“Il y a eu un travail de repositionnement. Et il y a aussi eu une logique de mouvement, constate Gwenaël Hanquet. ­Vooruit, c’est un nom très fort. Mais surtout personnalisé autour de Conner Rousseau. C’est lui seul qui est finalement mis en avant. C’est clairement une marque moins fédératrice, moins collective que les Engagés.”

Petit à petit, Conner Rousseau phagocyte son parti. Il est mi-politique, mi-people et affiche sa vie et ses états d’âme sur les réseaux sociaux. “Dans les pays anglo-saxons, en communication politique, on parle de politician-brand, des candidats-marques qui ont tendance à s’émanciper des partis politiques, explique Nicolas Baygert. Il ne s’agit plus tellement de rebranding mais de self­branding. Ces candidats incarnent à eux seuls le parti politique. Ils jouent souvent sur l’émotionnel pour répondre au besoin affectif de l’électeur. Ils vont lier le choix politique aux sentiments des électeurs vis-à-vis de leur propre personne.”

“C’est un vrai défi pour les partis et cela peut représenter un danger, ajoute l’universitaire. L’état de forme de Vooruit est directement lié à celui de la marque Rousseau.” De fait, lorsque le jeune trentenaire s’est rendu coupable de propos racistes sur la communauté rom, et qu’il a été contraint de quitter la présidence de son parti, le résultat a été immédiat : une importante chute dans les sondages qui étaient jusque-là très favorables.

Mais la traversée du désert n’aura duré que quelques semaines pour le natif de Saint-Nicolas. Sa remplaçante, Melissa Depraetere, ouvre la porte à un retour. Conner Rousseau s’y engouffrera juste avant les élections. Et là encore, le résultat ne s’est pas fait attendre : Vooruit regagne les points qu’il avait perdus et peut s’afficher comme l’un des gagnants du scrutin au nord du pays. Mais le revers de la médaille est évident : une dépendance du parti par rapport à la marque Conner Rousseau, qui revendique à nouveau la présidence.

Le repositionnement politique

Un changement de nom ne doit pas être pris à la légère. Cela peut avoir de lourdes conséquences. Il suffit de regarder la politique française avec des changements de noms incessants jusqu’à per­dre son identité. En Belgique, le rebranding des Engagés, du MR et de Vooruit s’est accompagné d’une plus grande réflexion sur le repositionnement politique.

Du côté des Engagés, il fallait éviter de répéter les erreurs commises lors de la précédente transformation : changer de nom, en laissant de côté les racines chrétiennes, sans modifier le positionnement politique. Le cdH pensait que l’espace politique se trouvait au centre gauche. Il était finalement au centre droit.

Il faut dire que les Engagés ont bien été aidés par les autres formations politiques. Le MR a opéré un virage clair à droite sur le plan économique et culturel, comme le montre une récente étude comparative de l’UAntwerp et l’UCLouvain, sur le positionnement des partis, entre 2019 et 2024. A gauche, le PS et Ecolo sont restés très proches du PTB et ont perdu. DéFI a lui opéré un virage à gauche sur le plan économique et est à l’agonie. Le tout dans un contexte de droitisation de la société : tous les vainqueurs des élections ont fait un déplacement plus ou moins marqué vers la droite. On y retrouve le MR, les Engagés et Vooruit.

“Le H du cdH, pour humanisme, ne formait pas un marqueur de différentiation pertinent, selon Nicolas Baygert. A l’époque, le rebranding a débouché sur la mise en orbite de Joëlle Milquet. Il y a eu un phénomène de per­sonnalisation. C’était devenu la fameuse ‘madame non’.”

L’autre élément qui collait aux basques du cdH était son association presque systématique avec le PS. Il fallait donc un élément de rupture politique : “Aujourd’hui, l’entente entre Maxime Prévot et Georges-Louis Bouchez laisse entendre qu’une autre dynamique est possible. Avec ce repositionnement au centre-droit, les Engagés ont réveillé un électorat de la classe moyenne qui a comme préoccupation le pouvoir d’achat.” Mais qui ne se reconnaît pas non plus dans le style Bouchez, accordant plus de place au social, voire à l’environnement. Les Engagés s’y sont engouffrés.

Car au MR, le président a voulu en finir avec le libéralisme social de ses mentors. “Avec un spectre politique qui penchait à gauche, on a assisté au phénomène de sinistrisme, explique l’expert en communication politique. Le MR était systématiquement accusé d’être à droite toute par les autres partis. Plutôt que de s’en défendre, ce qu’ont fait ses prédécesseurs, Georges-Louis Bouchez a assumé.”

Le Montois est parti à la conquête de la droite camping-car. Bouchez a tourné son objectif vers un électorat populaire qui exprimait un certain ras-le-bol sur les questions socio-économiques, en particulier entre les travailleurs et les sans-emplois. Un terrain qui a été fortement délaissé par la gauche.

“Georges-Louis Bouchez est peut-être parvenu à parler à un électorat plus jeune aussi, ajoute Nicolas Baygert. En apportant de la lisibilité, une grille de lecture simplifiée, il a permis d’adhérer plus facilement au projet. La tactique c’était : cliver pour se démarquer. Et être le seul à occuper un thème. De cette manière, il a rompu avec le consensualisme qu’on pratiquait jusque-là en Belgique francophone.”

Une source d’inspiration ?

En conclusion, les partis qui ont su se réinventer sont sortis vainqueurs des élections. Ceux qui ont adopté une position plus conservatrice, en gardant leur logiciel, y ont laissé des plumes. Le rebran­ding et le repositionnement politique sont clairement les gagnants des élections. Certains y verront des démarches plus authentiques que d’autres. Mais ce qu’on observe déjà, c’est que les Engagés semblent faire des émules. Ecolo et DéFI ont tout deux annoncé une cure d’opposition et les brainstormings ont déjà commencé. Sévèrement punies, politiquement mais aussi financièrement, les deux formations politiques ne joueront pas moins que leur survie dans cinq ans. Un changement de nom n’est pas encore au programme, mais ces deux partis devront à leur tour se poser les bonnes ­questions.

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