Vivaldi: le projet offensif du gouvernement a échoué

ALEXANDER DE CROO “La première arme de ce gouvernement, c’est son Premier ministre”, dixit Pieter Timmermans. © BELGAIMAGE
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

Le gouvernement fédéral d’Alexander De Croo a protégé les entreprises lors des crises successives (covid, énergie, Ukraine, inflation, etc.) mais n’a pu réformer le pays en profondeur. Le “projet ambitieux pour la Belgique” n’a pas été concrétisé, estiment nos interlocuteurs.

Il reste un an au gouvernement fédéral d’Alexander De Croo (Open Vld) pour marquer le pays de son empreinte, avant les élections du 9 juin 2024. Composée de sept partis (socialistes, libéraux, écologistes et CD&V), la Vivaldi a entamé la législature avec du retard, début octobre 2020, dans un contexte difficile: il s’agissait de gérer l’épidémie de covid tout en menant un “projet positif pour la Belgique” face au nationalisme flamand, après l’échec des discussions entre PS et N-VA.

Un conclave doit tenter de relancer la dynamique au sujet de la réforme fiscale ces 16, 17 et 18 juin. Mais à l’heure du premier bilan, le sentiment général dans les milieux économiques est le suivant: si la Vivaldi a plutôt bien géré les crises successives (l’énergie et l’Ukraine ayant pris le relais du covid ), elle a peiné à concrétiser un projet cohérent et des réformes ambitieuses. Un des députés emblématiques de la majorité, Kristof Calvo (Groen), n’a-t-il pas lui-même déclaré que la Vivaldi, en tant qu’ensemble cohérent, était un échec en raison des stratégies de partis et des luttes d’ego?

“Une force: la gestion des crises”

“Ce serait trop facile de dire que la Vivaldi est un échec pur et simple, tempère Pieter Timmermans, administrateur délégué de la Fédération des entreprises de Belgique (FEB). Comme ce serait erroné d’affirmer que cette équipe a accompli des prouesses dans des circonstances difficiles. L’analyse doit être nuancée.” Pour scruter le bilan du gouvernement De Croo, à la demande de Trends-Tendances, Pieter Timmermans s’est appuyé sur l’outil SWOT, que l’on utilise pour la stratégie des entreprises. SWOT comme Strengths (forces), Weaknesses (faiblesses), Opportunities (opportunités) et Threats (menaces).

Les forces, selon lui? “La première arme de ce gouvernement, c’est son Premier ministre, Alexander De Croo, capable de négocier des compromis, souligne l’administrateur délégué. Il a pu fédérer les opinions et rassurer les sept partis de la majorité, ce qui était loin d’être évident à accomplir. Le Premier ministre et son gouvernement ont par ailleurs été à la hauteur des crises qui ont secoué le pays et l’Europe, que ce soit la pandémie ou la crise énergétique. Là encore, c’était tout sauf évident dans ce pays complexe qui ne dispose pas de hiérarchie de normes.”

“L’amplification du droit-passerelle, c’est la grande victoire de la Vivaldi! Grâce elle, les icebergs ont pu être évités.” PIERRE-FRÉDÉRIC NYST (UCM)
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“L’amplification du droit-passerelle, c’est la grande victoire de la Vivaldi! Grâce elle, les icebergs ont pu être évités.” PIERRE-FRÉDÉRIC NYST (UCM)

La gestion des crises a sans doute été la meilleure facette de la Vivaldi, confirme Pierre-Frédéric Nyst, président de l’Union des classes moyennes (UCM). Nous avons été les premiers à flinguer le Premier ministre et son ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke, durant la crise du covid, parce qu’ils fermaient des secteurs sans raison. Avec le recul, je trouve qu’ils n’ont pas si mal géré que cela cette situation délicate. Ils l’ont en tout cas mieux fait que les Régions avec des administrations disparates qui ne répondaient pas et payaient les indemnités avec retard. Je salue la simplicité des mécanismes mis en place au fédéral, que ce soit le droit-passerelle ou le chômage de force majeure. L’amplification du droit-passerelle, c’est la grande victoire de la Vivaldi! Grâce à lui, les icebergs ont pu être évités.

Le résultat, c’est une économie belge qui a finalement été plus résiliente qu’on aurait pu le croire. Le patron des classes moyennes loue aussi le plan national pour le bien-être au travail: “C’est fondamental parce que quand les acteurs de l’économie ont des bas. Cela engendre des drames”.

“Une vision à court terme”

On le constate, aux yeux de nos interlocuteurs, la gestion “défensive” du gouvernement face aux urgences fut louable. En revanche, selon eux, son projet “offensif” a péché par manque d’ambition. “Ou bien les réformes structurelles ont fait défaut, ou bien c’étaient des réformettes, souligne le président de l’UCM. En matière fiscale, on risque bien d’avoir une réforme incomplète. Pour les pensions, la ministre de tutelle Karine Lalieux (PS) est certes sortie à plusieurs reprises dans la presse, et en irritant ses partenaires de gouvernement, mais on est loin de la grande réforme attendue.”

Lorsqu’il s’agit d’évoquer les faiblesses sur base de sa grille SWOT, Pieter Timmermans n’est pas plus clément, débutant par une expression en néerlandais: de waan van de dag, que l’on peut traduire littéralement par “le délire du jour”. “C’est une façon de dire que le court-termisme prend chaque jour le pas sur la vision à long terme, explique-t-il. On le voit dans les dossiers des pensions, du marché du travail ou encore de l’énergie. Un jour, on ferme les centrales nucléaires, mais le lendemain, on les maintient. La seule réforme imprégnée d’une vision à long terme, c’est celle initiée par le ministre Van Peteghem (CD&V) sur les voitures de société.”

“Ou alors à l’inverse, on fixe des objectifs mais sans mesures pour y parvenir, prolonge Pieter Timmermans. C’est typiquement le cas de la volonté d’atteindre un taux d’emploi à 80% à l’horizon 2030. Chaque ministre a vendu cela comme LA solution pour financer des mesures, mais il n’y a aucune décision prise pour aller dans ce sens. On compte à 100% sur les entreprises mais on ne fait rien pour les soutenir.”

“Vivaldi: c’était présomptueux”

“Baptiser cette coalition Vivaldi, c’était très présomptueux, reprend Pierre-Frédéric Nyst. Vivaldi est un de mes compositeurs préférés: dans sa musique, il y a de la légèreté, du soleil, des merveilles… On ne retrouve rien de tout cela dans la politique de cette coalition hétéroclite. Dès le début, quand le gouvernement a écrit sa partition, c’était déjà très compliqué: il y avait beaucoup de flou et des redondances. Les partenaires sociaux étaient censés se réunir sur une quarantaine de sujets. Est-ce arrivé? Non évidemment. En fait de partition, c’était surtout une vieille rengaine. Puis, on a assisté à une fameuse cacophonie tout au long de législature.”

Reste que ce n’était pas tout à fait de la faute des responsables politiques, nuance Pierre-Frédéric Nyst – mais aussi le président de DéFI, François De Smet (lire pages 26 et 27). “Personne n’avait commandé la crise du covid ou la guerre en Ukraine. D’ailleurs, je dois reconnaître que mes prévisions au sujet de l’avenir de ce gouvernement étaient erronées: je pensais qu’il finirait par tomber parce que le PS retirerait la prise. Mais il a tenu bon…”

Tant qu’à faire, le président de l’UCM salue aussi la revalorisation de la pension des indépendants, dénonçant tout de même un message difficile à faire passer sur la forfaitisation. Surtout: “le gouvernement a oublié le coût du vieillissement alors que cela fait 20 ans que l’on tire la sonnette d’alarme”. Pierre-Frédéric Nyst s’indigne en outre de la volonté de toucher au deuxième pilier “alors que les gouvernements précédents ont incité les indépendants à cotiser pour la pension complémentaire”. “C’est imbuvable”, dénonce-t-il.

En matière d’emploi, si l’UCM se félicite de la mesure “zéro cotisation” pour le premier recrutement, de l’indexation des salaires défiscalisée pour les deux premiers trimestres ou du maintien de la loi de 1996 sur la compétitivité, elle fustige le bilan du fédéral et des entités fédérées. “Là encore, ce qui est positif, c’est que le gouvernement a préservé les acquis. Mais au-delà, le bilan du ministre socialiste Pierre-Yves Dermagne est extrêmement mince. D’ailleurs, à l’autopsie, vous trouverez davantage de satisfaction dans les rangs patronaux en raison du statu quo, plutôt que dans les milieux syndicaux.”

“Il manque un débat sans tabou sur la compétitivité et la réforme du marché du travail.” PIETER TIMMERMANS (FEB)
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“Il manque un débat sans tabou sur la compétitivité et la réforme du marché du travail.” PIETER TIMMERMANS (FEB)

Interrogé la semaine dernière par Trends-Tendances, Thierry Bodson ne cachait en effet pas sa déception. “Pour nous, le résultat de la Vivaldi est mitigé, expliquait le président de la FGTB. Pour le dire de façon diplomatique, nous n’avons pas l’impression que les travailleurs en ont vraiment bénéficié.”

“Notre compétitivité est menacée”

Suivant à nouveau le cours de son bilan SWTO, Pieter Timmermans épingle, lui, des opportunités apparues durant cette législature: “Le gouvernement a pu les saisir en terme d’énergies renouvelables, d’économie circulaire, ainsi que de vaccins et de pharma. Ce que l’on fait pour l’éolien en mer du Nord, c’est bon pour tout le pays, et cela peut aussi devenir un produit d’exportation. En matière de vaccins, durant la crise du covid, la Belgique s’est distinguée. Ce sont de bonnes choses pour l’avenir.” Mais le patron des patrons craint surtout les menaces. “Notre situation budgétaire est très préoccupante, indique-t-il. Le coût du vieillissement évolue à un rythme exponentiel alors qu’il n’y a pas de réforme des pensions digne de ce nom. Madame Lalieux travaille sur la problématique de l’impact de genre: fort bien mais cela coûtera de l’argent et cela ne freinera pas cette explosion des coûts. Ce n’est pas soutenable.”

“Par ailleurs, prolonge Pieter Timmermans, notre compétitivité est en danger. Tout le monde se félicite que l’inflation baisse et déclare que l’on est sauvé. Mais l’inflation sous-jacente ne baisse pas et la croissance est très faible. On voit la pointe de l’iceberg hors de l’eau mais pas la partie immergée, pleine de fissures. Je réclame depuis des mois un nouveau pacte social. Il manque un débat sans tabou sur la compétitivité et la réforme du marché du travail. Ce sont d’ailleurs les deux socles indispensables pour financer la future réforme fiscale. Tout le monde se félicite de la perspective d’avoir plus de net ou de voir réduit l’écart entre ceux qui travaillent et ceux qui ne travaillent pas. Mais qui va payer? Les entreprises, là encore. Nous ne sommes pas demandeurs d’une telle réforme si elle n’est pas équilibrée.”

Quant à une réforme de l’indexation des salaires souhaitée dans les milieux patronaux, elle reste dans les limbes. “A très court terme, ce ne sera pas possible avec ce gouvernement, dit Pieter Timmermans. C’est dû à sa composition et à l’agenda de fin de législature. Nous souhaitons toutefois que la réduction de cotisations patronales qui avait été octroyée temporairement au début de cette année soit rendue structurelle. Mais à long terme, nous serons bien obligés d’avoir ce débat. Nous avons une différence de 5% avec les pays voisins, cela se payera cash.”

Les syndicats se disent déçus de la Vivaldi? Le patronat n’est pas en reste. Mot de la fin, partagé par nos interlocuteurs? “Les partis de gauche du gouvernement ont obtenu leur trophée en début de législature, avec l’augmentation de la pension minimum et le refinancement de la sécurité sociale. Depuis, les autres partis cherchent leur trophée, mais c’est forcément compliqué parce que le PS n’a plus intérêt à bouger.”

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