La menace d’un pacte PS/N-VA

Paul Magnette et Bart De Wever côte à côte en 2020 lors des négociations en vue de la formation d’un nouveau gouvernement. Une image que l’on pourrait redécouvrir dans moins d’un an... © BELGA IMAGE
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

Un donnant-donnant entre autonomie supplémentaire pour la Flandre et moyens pour sauver la Wallonie et Bruxelles: on en parle pour 2024. C’est la trame de notre histoire institutionnelle depuis près d’un demi-siècle. Attention, danger pour les francophones.

Un pacte faustien sera-t-il conclu après les élections du 9 juin 2024 entre le PS et la N-VA? Un donnant-donnant entre une autonomie accrue pour la Flandre et davantage de moyens pour le redéploiement industriel de la Wallonie (et son sauvetage budgétaire)?

Officiellement, le PS nie. Mais cet été, un député socialiste, Malik Ben Achour, n’a pas exclu le scénario. Et Bart De Wever, président de la N-VA, a répété à l’envi ce désir lors de ses interviews de la rentrée politique. Parce que, précise-t-il, les entités francophones sont “au bord de la faillite”.

“Forcément, le PS ne va pas avancer cette pièce officiellement pendant la campagne électorale, sourit Pierre Verjans, politologue émérite de l’ULiège. Mais après? La faiblesse budgétaire des francophones est la toile de fond de nos réformes de l’Etat depuis 1980, de même que la détermination flamande à obtenir des avancées institutionnelles.”

“C’est une mécanique infernale contre laquelle je m’insurge, souligne Olivier Maingain, ancien président de DéFi et actuel délégué aux relations entre Bruxelles et Wallonie. Si cela est possible, c’est avant tout parce que les francophones ne savent pas ce qu’ils veulent!”

“Ce donnant-donnant est le scénario privilégié de Bart De Wever, c’est évident, acquiesce Dave Sinardet, politologue à la VUB. Mais la question serait cette fois de savoir d’où vient l’argent, parce que le seul niveau de pouvoir susceptible de d’en donner, c’est la Flandre. Tous les partis flamands seront-ils d’accord? Une majorité des deux tiers sera-t-elle possible ou travaillera-t-on de manière extralégale? Bien des questions demeurent.”

De Cools à Di Rupo, la faiblesse francophone

Reste que comme Pierre Verjans le rappelle, les francophones ont de tous temps cédé aux sirènes flamandes. “Le ver est bien dans le fruit depuis 1980, raconte-t-il. Quand on met sur pied les Régions, André Cools (PS) réalise le vieux rêve d’André Renard (syndicaliste wallon qui, dans les années 1960, réclamait l’autonomie économique du sud du pays, Ndlr). Sauf que cela arrive bien trop tard: la sidérurgie et les charbonnages wallons sont dans un état catastrophique.”

Durant des années, on entendra en effet le slogan: “Pas d’argent flamand pour l’acier wallon”. Une faiblesse structurelle qui sera la source numéro un des discussions à venir, avec un PS alors en parti ultra-dominant.

“La création de la Région bruxelloise a stabilisé le pays jusqu’à aujourd’hui.”

En 1988-89, nouvelle réforme de l’Etat. Faute d’accord en 1980, la Région bruxelloise avait été mise au frigo. Elle voit enfin le jour… “Cela fut un acquis essentiel, dû à Philippe Moureaux (PS) et qui a stabilisé le pays jusqu’à aujourd’hui, explique Pierre Verjans. Mais lors de cette réforme de l’Etat, on a également décidé de transférer les routes aux Régions et l’enseignement aux Communautés.”

Or, dès le départ, les dotations accordées ne suffisent pas, surtout au niveau de la Communauté française et de l’enseignement. Une problématique qui concernera moins la Flandre. En effet, celle-ci a immédiatement fusionné Région et Communauté, permettant plus aisément des transferts de moyens d’une institution à l’autre, bien que ce soit contraire à la Constitution…

Pierre Verjans (ULiège)
Pierre Verjans (ULiège) © pg

Entre 1993 et 2001, les francophones sont secoués par les grèves des profs. L’enseignement réclame en effet déjà un refinancement et les partis sont bien obligés de réclamer une révision de la loi de financement pour le mettre en œuvre. Donc une nouvelle réforme de l’Etat… Avec quelle préparation? L’histoire retiendra que sous la direction de Jean-Luc Dehaene, les partis flamands abordent la première négociation, en 1993, armés d’ordinateurs Toshiba, avec des économistes moulinant toutes les données sur des tableaux type Excel. En face, aucun ordinateur… Une préparation et une détermination qui payeront dans les critères choisis en bout de course pour théoriquement améliorer le financement des Communautés.

En 2001, une autre négociation s’impose dès lors pour les francophones, toujours aussi désargentés. Nouvelle réforme de l’Etat. Et donc nouvelles compétences transférées vers les entités fédérées.

Le plus grand blocage de l’histoire

Quelques années passent… Soucieux de ne plus se faire duper dans ces donnant-donnant, les partis francophones décident d’adopter une autre stratégie, quittant la posture de “demandeurs”. Joëlle Milquet, alors présidente de cdH, devient “Madame Non” lorsque l’homme fort du CD&V, Yves Leterme, réclame la scission de l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde après les élections de 2007.

Résultat: le plus grand blocage de l’histoire du pays. Puis, sous la pression de la N-VA, une sixième réforme de l’Etat en 2011. Une réforme à l’occasion de laquelle le Premier ministre Elio Di Rupo (PS) dut “concéder un déplacement du centre de gravité de l’Etat fédéral vers les Régions et Communautés”, rappelle Pierre Verjans. “Les partis flamands, avec un Bart De Wever déterminé, ne laissaient rien passer.” Au passage, la Région bruxelloise est toutefois refinancée. Parce qu’elle aussi souffrait d’une loi de financement mal négociée. Ah, cette faiblesse structurelle des francophones!

“Cette succession de réformes est une mécanique infernale.”

Olivier Maingain, alors président de DéFi, n’a pas approuvé cette sixième réforme de l’Etat, épure institutionnelle et au caractère alambiqué qui, dit-il, ne pouvait rien résoudre. Selon lui, elle ouvrait fatalement la porte à une septième réforme puisque ce nouveau transfert de compétences n’était pas accompagné d’un financement complet, handicapant surtout la Wallonie et Bruxelles.

Olivier Maingain (DéFI)
Olivier Maingain (DéFI) © belga image

Exemple? “La Région bruxelloise a obtenu 500 millions lors de cette sixième réforme, mais ce montant devait être affecté à des choix sur lesquels les Flamands ont pesé, dont un bilinguisme renforcé”, dénonce l’ancien président. Cette succession de réformes, Olivier Maingain la décrit comme une “mécanique infernale”: “Les partis francophones les acceptent chaque fois parce qu’ils considèrent que cela leur permet de sortir un peu la tête hors de l’eau.” Mais la sixième réforme de l’Etat a aussi induit une diminution progressive de la solidarité fédérale, effective entre 2024 et 2034, qui coûtera à terme quelque 800 millions d’euros. “On minimise l’impact que cela aura sur des finances déjà mal en point”, indique-t-il.

“Le problème des partis francophones, c’est de ne pas avoir défini ce qu’ils veulent précisément maintenir au niveau fédéral et ce qu’ils veulent faire entre eux, résume l’ancien président de DéFI. Ils négocient mal parce qu’ils ne se parlent pas entre eux. Plus on se divise, plus on s’affaiblit budgétairement, c’est aussi simple que ça. Le PS veut le maintien de la solidarité par la sécurité sociale et entend gagner du temps, le MR mise sur le volet économique, et dans tous les cas de figure, on abandonne Bruxelles et sa périphérie. Lors de la sixième réforme de l’Etat, j’avais dit à Elio Di Rupo que l’on faisait le lit des prochaines revendications. En vain…”

“Que les principaux présidents de partis francophones ne se parlent pratiquement plus est extrêmement préoccupant.”

Mais outre la faiblesse francophone, l’autre toile de fond de ce récit institutionnel, selon Olivier Maingain, c’est l’implacable détermination nordiste. “Les Flamands savent précisément ce qu’ils veulent pour eux-mêmes. Dès le début, en fusionnant leurs institutions, ils se sont mis en ordre de marche. En transférant certaines compétences sans une dotation adéquate, ils savent que les charges seront plus lourdes pour le sud que pour le nord. Et le confédéralisme qu’ils appellent de leurs vœux est une façon de conserver la Belgique mais tout en gardant tous les avantages pour la Flandre. Imbuvable!”

Face à cette Flandre, si cela ne tenait qu’à Olivier Maigain, il faudrait en fait surtout définir clairement ce qui cimente l’Etat fédéral: sécurité sociale, fiscalité, fonctions régaliennes. On instituerait alors un lien de solidarité à long terme, valable pour 35 à 40 ans. Eternel communautariste francophile, le délégué aux relations Wallonie-Bruxelles remettrait par ailleurs de l’ordre dans la maison francophone, pour éviter la division. “J’ai rencontré des centaines de personnes dans le cadre de ma mission de délégué, une grande majorité y est favorable.” Une mission au terme de laquelle un rapport final sera émis, début 2024.

En attendant, l’ancien président de DéFI se dit une nouvelle fois révolté par la tournure prise par les événements à un an du scrutin du 9 juin 2024. “A Bruxelles, les Flamands organisent le chaos afin de forcer une négociation. La situation à la gare du Midi ou l’accueil des réfugiés, ce sont des compétences exclusivement fédérales, mais les ministres fédéraux CD&V tentent de prouver que la Région est mal gérée afin de réclamer ensuite une modification des structures. Ils créent en permanence les conditions pour nous mettre en position de faiblesse.”

Bien entendu, dire que l’on ne parlera plus de rien, croire en un stop institutionnel, c’est absurde, concède Olivier Maingain. Mais les francophones doivent se ressaisir. “Le fait que les principaux présidents de parti ne se parlent pratiquement plus parce qu’ils sont dans une logique partisane, c’est extrêmement préoccupant.” Certes, le président du MR, Georges-Louis Bouchez, lance un “appel aux francophones” pour s’unir, et des contacts ont lieu en coulisses. Mais pas entre tous, et pas de façon structurelle.

Une gymnastique extralégale?

Qui plus est, dans une récente interview accordée à l’hebdomadaire flamand Humo, Bart De Wever, président de la N-VA, illustre à sa manière l’espoir de voir la “mécanique infernale” se prolonger. “La Wallonie et Bruxelles sont virtuellement en faillite, soulignait-il. Les francophones sont à court d’argent. Il y a là une opportunité à saisir. Mais pour cela, les partis flamands doivent former un front. Cela ne se produira que si la N-VA devient le plus grand parti et décroche le droit d’initiative. Pour cela, le CD&V et l’Open Vld doivent subir une lourde défaite afin qu’ils n’osent plus poursuivre le statu quo belge.”

Selon le président de la N-VA, il s’agit donc s’unir dans un large parti de droite. “Avec l’aile droite de l’Open Vld et du CD&V, nous pouvons former un large parti populaire et conservateur qui, je l’espère, atteindrait 40% en Flandre”, souligne-t-il. Pour négocier face à qui? Aux yeux de Dave Sinardet, politologue à la VUB, il est évident que le leader nationaliste privilégie une alliance avec le PS en vue d’obtenir des avancées institutionnelles. Même si ce ne sera pas si simple. Et même si, dans le cas de la N-VA, cela ressemble aussi à un aveu de faiblesse face au Belang.

“Dans le cadre d’un deal entre le PS et la N-VA, la question à se poser est la suivante: d’où viendra l’argent pour la Wallonie et Bruxelles? insiste Dave Sinardet. Les caisses de l’Etat fédéral sont vides. Cela ne peut donc venir que de la Flandre. Le tout est de savoir si les autres partis flamands seront dans une telle logique de payer pour obtenir des compétences supplémentaires. Peut-être préféreront-ils investir dans l’enseignement ou d’autres politiques concrètes en Flandre même? En outre, il est peu probable que l’on trouve une majorité des deux tiers à la Chambre pour une réforme constitutionnelle. Sans doute faudra-il travailler dans un cadre extralégal.”

Dave Sinardet (VUB)
Dave Sinardet (VUB) © BelgaImage

De Wever l’a déjà évoqué. Il ne faut pas nécessairement y voir l’idée d’un “coup d’Etat” ou d’une alliance avec le Vlaams Belang, mais bien une gymnastique “extralégale” déjà pratiquée par le passé. “En tout état de cause, on peut être sûr d’une chose, c’est qu’il sera tout sauf agréable pour les francophones de négocier en sachant que les partis flamands, N-VA en tête, sont sous la pression d’un Vlaams Belang devenu premier parti de Flandre”, soulignent Pierre Verjans et Olivier Maingain.

Un pacte faustien? Une chose est sûre: l’après-élections, en 2024, ne sera pas une partie de plaisir. Et l’on ne parle même pas du contexte budgétaire catastrophique, qui pèsera sur la discussion.

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