Cette explosion de la Belgique que personne ne veut voir venir

Bart De Wever (N-VA) et Paul Magnette (PS) avec le roi en juillet 2020. BELGA PHOTO BENOIT DOPPAGNE
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

Dans un an, le 9 juin 2024, on vote à l’échelon fédéral et régional. Le principal danger est un écartèlement des voix entre le Nord et le Sud, un blocage de longue durée ou un coup de force. Mais du côté francophone, tout le monde fait l’autruche.

On ne peut s’empêcher d’être troublé. Dans un an, les électeurs se rendront aux urnes pour « la mère de toutes les élections », un scrutin fédéral, régional et européen – avant les communales en octobre. Tout le monde évoque la zizanie entre les partis et le risque d’une montée des extrémismes. Mais lorsque l’on évoque l’avenir de la Belgique, c’est comme si, du côté francophone, tout le monde faisait l’autruche. Circulez, il n’y a rien à voir ! Pourtant, le risque d’une explosion est réel.

Le calcul est vite fait pour balayer toute inquiétude. Pour réformer l’Etat et modifier la Constitution, il convient d’avoir une majorité des deux tiers au parlement. Impossible, dès lors que les partis francophones ne sont pas demandeurs et que les voix des partis extrémistes – Vlaams Belang et PTB – sont « inutiles » : jamais ils ne seront intégrés à un tel calcul. C’est tout juste si certains ont pris au sérieux les mises en garde répétées faites par Bart De Wever, président de la N-VA, n’excluant pas coup de force extra-légal ou soulignant qu’il pourrait un jour s’allier avec le Belang si ce parti met de l’ordre dans ses affaires intérieures et sépare le bon grain conservateur de l’ivraie extrémiste.

On ne veut pas voir…

Se prépare-t-on ? Non…

Dans les Etats-majors des partis francophones, c’est l’électroencéphalogramme plat. Se prépare-t-on à un possible round institutionnel ? Non, ou à peine. Se concerte-t-on ? Non, car le degré de confiance entre les présidents des partis est au plus bas. De toute façon, la priorité est aux enjeux budgétaires, économiques, sociaux et climatiques. Ce n’est pas faux. Sauf que, dans notre pays, tout est dans tout : les questions socio-économiques ont souvent des relents communautaires.

Pas uniquement, bien sûr, vous répondra-t-on. La fracture gauche – droite n’épouse pas complètement la frontière linguistique, bien sûr. Le PvdA progresse actuellement au Nord et Vooruit est en bonne forme, même si les socialistes flamands ont souvent des inspirations que ne dédaignerait le centre-droit. Le MR glisse lentement mais sûrement vers la droite du centre-droit et rêve de refaire affaires avec la N-VA. Alors, la ligne de fracture communautaire, pensez donc… Elle est factice, la réalité du pays est plus complexe. Certes…

Un nouveau bras de fer

Attention, là encore : Bart De Wever a déjà dit qu’il privilégierait un dialogue avec le PS et une orientation confédérale. Piège : Paul Magnette a déjà rétorqué qu’il ne céderait rien face à la N-VA et qu’il pourrait opter pour l’opposition si jamais. De toute manière, on finira bien par mettre une Suédoise bis où la N-VA abandonnera son totem institutionnel ou une Vivaldi améliorée (avec les Engagés, DéFi) pour prolonger le programme de réforme à un train de sénateurs.

Sauf que… Le paysage qui découlera des urnes pourrait être davantage préoccupant qu’on ne le pense : un Vlaams Belang loin devant en Flandre, un PTB très haut du côté francophone et en progrès au Nord, ainsi que certains partis battus à plate couture (on pense à l’Open VLD et au CD&V, sous les 10%). Bref, une arithmétique compliquée, faisant pression sur la N-VA et le PS. Budgétairement, l’effort à réaliser sera de cinq à dix milliards rien que la première année, et le poids de la dette des entités francophones sera un boulet et un repoussoir. Tout cela risque de compliquer les discussions, fortement.

L’agenda, en outre, n’est pas non plus idéal. Le scrutin de juin sera suivi des communales en octobre et certains risquent d’être tentés d’avancer leurs pions dans les Régions si le blocage est trop important au fédéral. A droite au Nord, à gauche au Sud Résultat : des mouvements élargissant le fossé. Et, potentiellement, un nœud fédéral impossible à démêler.

Le scénario du pire

Interrogés par Daardaar, les présidents de partis flamands évoquent en moyenne une durée autour des 250 jours pour former un gouvernement fédéral après le scrutin. Personne ne parle des 541 jours, la plus longue crise, de 2010-11. Rien ne permet pourtant de l’exclure.

Le scénario du pire est-il le plus évident ? Non. Mais exclure de l’envisager constitue une irresponsabilité certaine. Et on ne peut s’empêcher d’être troublé, aussi, d’entendre des professeurs de droit constitutionnel affirmer que le programme confédéral de la N-VA est le plus abouti. Et pour cause : il n’a pas d’équivalent du côté francophone, au-delà des déclarations de principe affirmant que l’on serait bien inspiré de réfédéraliser certaines matières.

Si le blocage persiste, si le rapport de forces au parlement est à ce point tendu et si la situation se dégrade, qui empêchera certains à la N-VA de vouloir faire le grand saut ? si ce n’est pas pour faire éclater le pays, ce se pourrait être pour des calculs d’apothicaires qui risquent de faire très mal au Sud.

On se souviendra alors des « Toshiba-boys », ces conseillers de Dehaene qui avaient éclaté leurs homologues francophones avec leur programme de simulation pour réformer l’Etat. Et dans les partis francophones, on regrettera de ne pas s’être préparé plus tôt.

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