Portugal, Espagne, Italie, Grèce… : la revanche des mauvais élèves de l’euro

Espagne, Portugal, Italie et Grèce affichent un taux de progression de leur PIB supérieur à celui de l’Allemagne. © Getty Images
Sebastien Buron
Sebastien Buron Journaliste Trends-Tendances

L’an passé, la croissance de l’Espagne, du Portugal, de l’Italie et de la Grèce a dépassé celle des pays du noyau dur de la zone euro. Traitement de choc budgétaire, retour des touristes et plan de relance européen expliquent cette santé économique retrouvée. De quoi donner des leçons aux voisins du Nord, en ce compris la Belgique.

Considérés voici 10 ans comme les maillons faibles de la zone euro, comme ceux par qui l’union monétaire risquait d’imploser suite à la crise de la dette, voilà que les pays “périphériques”, désignés par l’acronyme peu flatteur “PIIGS” (Portugal, Italie, Irlande, Grèce et Espagne), se portent aujourd’hui particulièrement bien. Au point que ces Etats “cochons” sont en train de prendre leur revan­che sur leurs partenaires du Nord, autrefois présentés comme les bons élèves de la zone euro.

Pour s’en convaincre, il suffit de s’attarder quelques instants sur la croissance économique enregistrée par ces Etats l’an passé : Espagne, Grèce, Italie et Portugal affichent un taux de progression de leur PIB largement supérieur à celui de l’Allemagne, pourtant si rigoureuse et si travailleuse. En 2023, le PIB espagnol a augmenté de 2,5 %. Celui du Portugal a grimpé de 2,3 % et celui de la Grèce, de 2,2 %. En revanche, la locomotive allemande a vu le sien reculer de 0,3 %, alors que la France patine et que 2023 s’est soldée pour l’économie belge par une croissance de (seulement) 1,5 %. Et si on compare par rapport à la croissance anti­cipée pour la zone euro cette année (0,9 %), seule l’Italie ferait moins bien en 2024, selon les chiffres de la Commission européenne.

Reprise du tourisme

Ces bons chiffres de croissance enregistrés en 2023 par les anciens mauvais élèves de l’euro, on les doit d’abord au tourisme, reparti à la hausse depuis la fin de la pandémie, expose Bernard Keppenne, économiste en chef de la ban­que CBC : “Outre les réformes qu’ils ont menées et qui ont eu des effets bénéfiques à long terme, ces Etats ont profité de la reprise exceptionnellement forte du tourisme après la période covid et du fait aussi que les touristes européens ont privilégié ces destinations plutôt que des pays plus lointains pour des raisons de coûts, de prise de conscience de l’impact écologique et de restrictions sur les voyages maintenues plus longtemps dans certaines parties de l’Asie.” Un exemple ? La Grèce, berceau de la crise de l’euro, dont la dette publique s’était à l’époque envolée à plus de 130 % du PIB. L’an dernier, le tourisme a représenté un quart de l’activité économique et augmenté de plus de 15 %, au point de redevenir pour la péninsule une source majeure de revenus.

Grèce. 
Berceau de 
la crise de l’euro, 
le pays a connu 
une transformation financière 
majeure. © Getty Images

Economiste chez ABN Amro, Erik Joly partage l’analyse de son confrère de CBC et pointe à ce propos le cas très flagrant du Portugal, qui “a gagné plus d’argent que jamais grâce au tourisme en 2023”, soit 25 milliards de dollars, contre 21 milliards un an plus tôt. C’est bien simple, le nombre de visiteurs étrangers a atteint un record de plus de 18 millions l’année dernière, soit une progression de près de 20 % par rapport à 2022 et de plus de 10 % par rapport à 2019, l’année pré-­covid. Cet afflux a d’ailleurs provoqué de sérieux désordres au pays du fado, où la population peine désormais à se loger. D’autant que “beaucoup de personnes fortunées ont acheté une seconde résidence au Portugal”, ajoute Erik Joly. Pour se remettre en selle, Lisbonne a en effet adopté un système d’exonération fiscale à destination des retraités étrangers. “Créée en 2009 pour les étrangers vivant au moins la moitié de l’année au Portugal, la mesure accordait une exonération pendant 10 ans, qui était totale jusqu’en 2020. Depuis, les nouveaux arrivants ont pu bénéficier d’un taux d’imposition réduit de 10 %. Mais le système a été abrogé depuis le début de cette année, car il a entraîné une flambée des prix de l’immobilier”, précise Bernard Keppenne.

Soutien européen

Parallèlement à cette reprise du tourisme et à un traitement budgétaire de choc (vaste programme de privatisations, réduction des dépen­s­es sociales, augmentation des impôts…), la santé économique retrouvée des “cancres” de la zone euro est aussi rendue possible par l’argent de NextGenerationEU, le fonds européen de relance mis sur pied après le covid, qui bénéficie surtout aux pays de la périphérie.

“C’est la deuxième explication, observe Bernard Keppenne. Dans le cadre du plan de relance européen de 750 milliards d’euros, ces pays ont rapidement mis en place les réformes attendues par la Commission européenne et ont alors très vite eu accès à ces fonds. Ce dernier point est fondamental. Il faut rappeler les critères de la Commission : 70 % de la somme dépendent notamment de la population, du PIB par habitant et du taux de chômage avant le début de la pandémie, de 2015 à 2019. Les 30 % restants sont fonction des baisses du PIB et de l’emploi observées sur 2020, pour tenir compte des conséquences économiques de l’épidémie de coronavirus. Ce qui veut dire que ces pays bénéficieront des plus gros montants et surtout qu’ils en ont déjà perçu une part importante.” Dans le détail, cela donne pour l’Italie, pays auquel le fonds européen de relance profite le plus, 101 milliards d’euros déjà versés (pour un montant total à recevoir de 194 milliards), pour l’Espagne, 37 milliards (sur un total de 163 milliards), pour le Portugal, 7,7 milliards (sur 22) et pour la Grèce, 14,7 milliards (total : 36).

Bernard Keppenne
“Outre des réformes qui ont eu des effets bénéfiques à long terme, ces pays ont profité de la reprise exceptionnellement forte du tourisme après la période covid.” ​- Bernard Keppenne (CBC)

A l’inverse, la Belgique n’a pas encore reçu sa première tranche – on parle tout de même de 973 millions d’euros. En tout, notre pays devrait percevoir quelque 5,3 milliards d’euros. A condition toutefois de procéder aux réformes nécessaires. Car le gouvernement a tardé, pour la réforme des pensions. C’est donc seulement maintenant que la Commission analyse le projet, au sujet duquel elle réclame en outre des précisions. Pas de panique ! s’exclame le secrétaire d’Etat à la Relance, Thomas Dermine (PS). Mais rien ne dit que la Commission jugera la réforme suffisante. On parle de septembre pour un possible déblocage de la situation.

De nouvelles bases

Les retombées de cet apport de fonds européens sont pourtant loin d’être négligeables. Car “si les réformes et les plans d’austérité extrêmement douloureux portent leurs fruits, l’apport des fonds européens, sous forme de prêts et de subventions, fonctionne aussi”, souligne Bernard Keppenne. Aux pays concernés, il a permis de repartir rapidement sur de nouvelles bases et de soutenir une réindustrialisation en profondeur, avec comme résultat des exportations en nette augmentation. “Pour le Portugal, il s’agit par exemple des textiles et des composants automobiles, note Erik Joly. Le pays est aussi devenu le premier fabricant de vélos en Europe. Par ailleurs, il a réussi à se rendre moins dépendant du gaz. L’énergie éolienne a représenté 25 % de sa production d’électricité l’année dernière.”

Selon Erik Joly, on peut faire le même constat pour l’éco­nomie espagnole, qui se comporte elle aussi très bien. “Là encore, les exportations jouent un rôle crucial, indique l’économiste d’ABN Amro. Mais il n’y a pas que les exportations. Vous remarquez que la demande intérieure reste très forte mais en même temps, les entreprises et les ménages ont réduit leur endettement. Le taux d’endettement se situe à des niveaux antérieurs à la période désastreuse de 2008-2012. Par ailleurs, le chômage est retombé à des planchers que nous n’avions pas connus depuis 2007. Et surtout, l’Espagne dispose d’un grand nombre de travailleurs qualifiés.

“La Grèce a clairement regagné la confiance des investisseurs.” – Erik Joly (ABN Amro)

Quant à la Grèce, elle a elle aussi connu une transformation financière majeure. La construction est en hausse. L’an dernier, le nombre de permis de bâtir délivrés a augmenté de 56 % par rapport à 2019. La meilleure preuve que la Grèce est de retour est la vente, par le gouvernement, d’une partici­pation de 30 % dans l’aéroport d’Athènes. Il s’agit de la plus grande introduction en Bourse depuis 20 ans. La Grèce a clairement regagné la confiance des investisseurs”, souligne Erik Joly.

Quant à l’Irlande, “c’est un cas à part de par la présence sur son territoire de centres financiers de multinationales américaines”, rappelle Bernard Keppenne, qui précise que Dublin a aussi mené les réformes demandées par la Commission et a déjà touché 101 milliards d’euros sur les 194 milliards prévus.

Et si la Belgique s’en inspirait ?

Conséquence logique de tout ce qui précède : exit la pression des marchés financiers ! Les PIIGS ont vu le coût de leur dette reculer fortement ces derniers temps. La prime de risque demandée par les investisseurs pour prêter aux pays périphériques – mesurée par l’écart de taux (spread) entre leurs obligations et celle de l’Allemagne, jugée l’emprunteur le plus sûr de la zone euro – a littéralement fondu. “Le différentiel de taux d’intérêt entre les obligations d’Etat portugaises et allemandes à 10 ans s’est considérablement réduit au cours des derniers mois, relève Erik Joly. Il en va de même de l’écart entre les taux d’intérêt à 10 ans de l’Espagne et de la France. Cela montre clairement que les marchés apprécient et pensent que les économies du Sud vont continuer à bien se porter.”

La Belgique peut-elle emprunter le même chemin pour redresser la barre ? Certes, sa situation économique n’est pas aussi dégradée que celle du Portugal ou de la Grèce dans les années 2010, mais notre pays aurait tort de ne pas s’inspirer de ces Etats pour la gestion de ses deniers publics, surtout après la dégradation de sa note par l’agence de notation Fitch et l’abaissement de celle de la Région bruxelloise par Standard & Poor’s. Sans oublier l’énorme dette wallonne et la menace d’une procédure d’infraction pour déficit excessif de la part de la Commission qui plane sur Bruxelles.

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