Décrochages d’onduleurs de panneaux solaires : “La proposition de compensation de 55 euros est inacceptable, dangereuse même”

Panneaux solaires
© Getty Images

La Commission wallonne pour l’Energie (CWaPE) propose d’indemniser les propriétaires de panneaux solaires en cas de décrochage de l’onduleur de leur installation. La proposition de 55 euros par an fait bondir l’asbl BeProsumer.

Le décrochage d’onduleur arrive quand une petite installation de production photovoltaïque se déconnecte automatiquement du réseau. Ces décrochages sont de plus en plus fréquents en Wallonie. Ils sont causés par l’augmentation trop rapide du nombre de prosumers – les producteurs-consommateurs d’électricité d’origine solaire – sur un réseau inadapté à l’afflux de production. La Wallonie comptera 300.000 installations photovoltaïques d’ici à la fin de cette année.

Dans ce contexte, le ministre de l’Énergie, Philippe Henry (Ecolo) a chargé en juin dernier la Commission wallonne pour l’Energie (CWaPE) de rédiger un avant-projet de proposition de décret organisant l’indemnisation des prosumers, en attendant que le réseau de distribution soit adapté à cette explosion des installations.

Une concertation a réuni ce mardi 12 septembre, GRD (gestionnaires de réseaux de distribution), la CWaPE, fournisseurs et associations de consommateurs. Elle avait comme objectif d’aboutir à une solution quant à l’indemnisation des propriétaires lésés. Il en est ressorti, selon le rapport que L’Echo a pu consulter, que le régulateur wallon propose d’indemniser les prosumers à hauteur de 55 euros par an pour une installation moyenne (soit 12,31 euros par kWe selon les chiffres du premier semestre 2023). 

« Un indemnisation inacceptable » 

Des avis positifs ne viennent pas du côté de l’asbl BeProsumer, l’association de défense des propriétaires de panneaux photovoltaïques. Cette compensation n’est clairement pas assez élevée, elle est même « inacceptable » et « dangereuse » par rapport au préjudice subi par des dizaines de milliers de prosumers, selon les dires de son président Régis François.

Ce dernier explique à Trends Tendances : « La société de distribution d’énergie flamande Fluvius a présenté en juillet son système d’indemnisation qui oscillait entre 40 et 120 euros par an. Mais, Fluvius subit moins de décrochages, car il y a davantage de batteries individuelles en Flandre, notamment via son système de primes (ndlr : arrêté aujourd’hui). Ces batteries permettent de stocker l’énergie pour la réutiliser plus tard. Dans son projet, la Cwape s’est calée sur le même système. Le souci, c’est que nos gestionnaires de réseaux en Wallonie sont beaucoup moins réactifs. »

Seulement 3% de la production

Il poursuit : « Ces 55 euros d’indemnisation moyenne proposés par le régulateur correspondent à 120 kWh, soit environ 3% de la production d’un prosumer dont l’onduleur décroche. Or, certains perdent 30, 40 voire même 50 % de leur production chaque année. Non seulement c’est insuffisant, mais ce type d’indemnisation ne devrait même pas exister. Ce qui est très dangereux, c’est que si on accepte une indemnisation qu’elle soit de 55, 200 ou 250 euros, le risque majeur est qu’elle empêche tout recours en justice puisque nous serons dédommagés sur quelque chose que nous n’avons plus. »

Ce qui est très dangereux, c’est que si on accepte une indemnisation qu’elle soit de 55, 200 ou 250 euros, le risque majeur est qu’elle empêche tout recours en justice.

Régis François, président de l’asbl BeProsumer

Régis François nous donne une estimation de la compensation réelle dans une situation précise. « Un prosumer moyen produit 30 kWh par jour en Wallonie. S’il décroche dès 10 heures du matin, par exemple jusqu’à 16 heures, il va perdre automatiquement 20 kWh par jour. S’il décroche durant une cinquantaine de jours d’ensoleillement entre mai et fin août, il perd systématiquement 1000 kWh. Si on doit valoriser ces kWh perdus, cela équivaut à 500-600 euros. Aujourd’hui la CWaPE veut nous donner quasiment moins de 10 % de ce tarif-là. Evidemment pour nous, ce n’est absolument pas acceptable, pas équitable. »

BeProsumer argumente encore que le montant et la formule de calcul standardisé proposés négligent les spécificités individuelles de chaque installation ainsi que les variations saisonnières. « Chaque installation a des coûts uniques basés sur des facteurs variés, et la production solaire fluctue selon les saisons. » 

Un réseau mieux adapté

Régis François ajoute que cette « très faible indemnisation » n’aborde pas le cœur du problème et que l’accepter ne va pas accélérer la modernisation du réseau. Pour le président de l’asbl, des solutions durables, telles que les systèmes de stockage communicants et intelligents, pourraient offrir une alternative bien plus viable.

BeProsumer martèle que la priorité doit être la mise à jour et l’adaptation rapide du réseau. « Ce que nous demandons aujourd’hui, ce n’est pas de l’argent, c’est d’avoir un réseau qui fonctionne. La transition énergétique exige aussi que l’on puisse injecter cette énergie verte directement dans le réseau. »

« Ce que nous demandons aujourd’hui, ce n’est pas de l’argent, c’est d’avoir un réseau qui fonctionne.”

Régis François, président de l’asbl BeProsumer

Testachats critique aussi, de son côté, cette trop faible compensation.Il s’agit d’un forfait indépendant de la perte réelle liée au décrochage de l’onduleur. 10% de non-fonctionnement peut mener par exemple à une perte de 40 euros et non de 12,31 euros par kWe“, explique l’organisation de défense des consommateurs dans L’Echo.  Elle plaide pour que l’indemnité soit augmentée si le gestionnaire de réseau ne parvient pas à résoudre le problème dans l’année.

Ores a présenté récemment un plan d’investissement à 4 milliards d’euros (soit 1 milliard de plus que prévu) sur les 10 années à venir afin de moderniser son réseau. Resa, son homologue liégeois, estime que 3 milliards lui seront nécessaires à l’horizon 2050, rappelle L’Echo.

Des interprétations approximatives et partielles

La CWaPE, de son côté, déplore les fuites autour de sa proposition d’indemnisation forfaitaire des prosumers. « Les informations parvenues à la presse présentent des interprétations approximatives et partielles, et des chiffres résultant de l’application d’une formule aux paramètres non encore fixés », laisse entendre le régulateur par voie de communiqué.

La CWaPE rappelle que le texte soumis à concertation n’est pas définitif. Elle précise qu’elle ne communiquera plus à ce stade et ce jusqu’à la communication de la proposition finalisée au Ministre wallon en charge de l’Energie le 22 septembre prochain. Le régulateur assure que la proposition “tiendra compte des remarques pertinentes formulées par les acteurs“. “Le cas échéant, il revient ensuite au Gouvernement d’adopter cette proposition par voie d’arrêté“, ajoute la CWaPE.

Pas de cadastre réel des installations

Les décrochages d’onduleurs font plus en plus de victimes en Belgique, à mesure que les installations photovoltaïques se multiplient. En témoignent les plaintes envoyées à l’organisation des consommateurs Testachats. Notamment celle d’un consommateur, qui fait état de « 80 à 120 décrochages par jour, pour un total de 8962 décrochages rien qu’en 2022 ».

De nombreux prosumers ne se rendent même pas compte de ces décrochages. La faute au manque de cadastre réel: comme ils ne sont répertoriés nulle part, si le propriétaire de panneaux solaires n’est pas un minimum vigilant quant au bon fonctionnement de son installation, il peut facilement passer à côté. BeProsumer appelle les consommateurs à vérifier leur système régulièrement et à « avertir leur gestionnaire de réseau au plus vite, afin que cela soit résolu rapidement ».

Pour plus de 98% des propriétaires de panneaux photovoltaïques, tout fonctionne sans souci

Annabel Vanbéver, porte-parole d’Ores

Annabel Vanbéver, porte-parole d’Ores informe, pour sa part, que depuis début 2023, la société a enregistré un peu plus de 3.800 demandes d’intervention de la part des propriétaires de panneaux photovoltaïques pour des décrochages d’onduleurs. « Nous avons au total aujourd’hui près de 220.000 installations photovoltaïques raccordées à notre réseau de distribution. Cela signifie que pour plus de 98% des propriétaires de panneaux photovoltaïques, tout fonctionne sans souci», précise-t-elle par voie de communiqué.

La porte-parole insiste sur l’importance des compteurs communicants qui peuvent donner des informations sur les problèmes liés à la tension vers ses systèmes, afin de les résoudre. Ores explique encore qu’elle peut intervenir de différentes manières : directement sur le raccordement du client, sur les éléments du réseau – au niveau de la cabine – ou en procédant à des investissements plus conséquents, notamment en renforçant le réseau.

Autoconsommer au maximum

Ores tient aussi à rappeler que le réseau de distribution a été conçu pour acheminer l’énergie dans un sens (des producteurs vers les consommateurs), et non pour accueillir de la production intermittente. « Au total, l’ensemble des unités de production renouvelable raccordées aux réseaux d’ORES (photovoltaïque, éolien, hydraulique …) représente près de 2.500 MW de puissance, soit l’équivalent de près de 3 réacteurs nucléaires, ce qui est énorme et change le modèle suivant lequel le réseau de distribution a été initialement conçu ».

Ores incite dans ce contexte les prosumers à consommer massivement durant les pics de production, de façon à éviter un afflux trop important d’énergie sur le réseau. “C’est un élément capital de la transition énergétique : produire, mais aussi consommer autrement et adapter ses habitudes“.

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