Le climat, c’est aussi une opportunité économique

Offshore wind turbine farm at sunset. © Getty Images
Christophe De Caevel
Christophe De Caevel Journaliste Trends-Tendances

Réussir la transition écologique passera notamment par des investissements massifs dans les technologies innovantes développées par les entreprises.

1. La technologie nous sauvera-t-elle du risque climatique?

“Nous sommes engagés dans une course contre la montre pour réduire les émissions de gaz à effet de serre”, pointe d’emblée Nabil Jijakli, deputy CEO de ­Credendo. Il rappelle, de concert avec Jean Jouet, CTO du groupe John Cockerill, “les conclusions sans équivoque ” des rapports du Giec sur les impacts de l’activité industrielle sur le climat.

“Les énergies fossiles nous ont aussi permis d’atteindre un niveau de richesse et de confort incroyable, ajoute Marc Van Den Neste, qui a été CTO d’AGC pendant 15 ans avant de prendre en charge, l’an dernier, la mise en place d’un district cleantech à Charleroi. Je ne suis pas de ceux qui croient que nous pourrons maintenant diminuer ce confort.”

“Avec des entreprises comme Jan De Nul ou DEME, nous avons des champions de l’éolien offshore, présents dans le monde entier.” Nabil Jijakli (Credendo)

Le défi n’est plus aujourd’hui de trouver des alternatives aux énergies fossiles mais de rendre leur utilisation simple et, nous y viendrons au point 4, accessible financièrement. Jean Jouet est convaincu que la technologie aura ici un rôle décisif. “C’est en effet un moyen de faciliter l’utilisation de toutes les alternatives aux énergies fossiles, de rendre demain la biomasse peut-être aussi simple que le chauffage au gaz naturel, estime Jean Jouet. Mais la priorité, c’est de réduire la consommation et cela implique aussi d’adapter nos comportements. Pour prendre une image simple : nous devons éteindre la lumière en sortant de la pièce, même si nous avons mis placé des ampoules leds ou placé des panneaux photovoltaïques sur le toit.”

“La technologie ne nous sauvera pas, mais nous ne pourrons pas être sauvés sans la technologie, abonde Marc Van Den Neste. Elle fait partie de la solution, comme les réductions de consommation et plus largement l’adaptation de nos comportements.”

2. Quels sont les atouts de l’économie belge face au défi climatique?

“Le premier atout de notre tissu économique est d’exister, assène Jean Jouet. Il est beaucoup plus difficile de créer du neuf que de maintenir ce qui existe. Battons- nous donc pour garder nos industries et les aides à évoluer.” Et de citer l’exemple de Lhoist et Carmeuse, les leaders mondiaux de la production de chaux, basés en Wallonie et désormais lancés dans d’ambitieux projets de décarbonation.

Le second, c’est une politique d’innovation soutenue, à travers laquelle les entreprises ont appris à travailler avec les centres de recherche et les universités. Jean Jouet est le CTO de Rely, la ­co-entreprise créée par John ­Cockerill et Technip energies pour former ni plus ni moins que la plus grande société d’ingénierie dans l’hydrogène vert.

“Cela va peut-être vous étonner mais je ne classe pas l’hydrogène comme la première alternative aux énergies fossiles, nuance Jean Jouet. Il faut d’abord développer les énergies renouvelables et la capture du CO2 là où il n’existe pas d’autres solutions. L’hydrogène vert vient ensuite, notamment pour sa capacité à stocker de l’énergie qui serait produite à partir de sources renouvelables.”

“Avec des entreprises comme Jan De Nul ou DEME, nous avons en Belgique des champions de l’éolien offshore, présents dans le monde entier, reprend Nabil Jijakli. Cela se voit dans notre portefeuille : le secteur Oil&Gas est descendu de la troisième à la septième place en quelques années, au profit des producteurs d’énergie renouvelable, désormais bien dans le top 3 de notre portefeuille. On peut dire la même chose avec des sociétés comme Denys ou Aspac dans le traitement des eaux.”

“Le risque majeur pour le défi climatique, c’est la perte de confiance dans les sciences.” Jean Jouet (John Cockerill)

Marc Van Den Neste pointe également le bon positionnement de la Belgique dans l’économie circulaire. Les systèmes de collecte des déchets ont été mis en place très tôt, le tri devient de plus en plus performant (“le tri robotisé des métaux mis au point par le groupe Comet, c’est de la vraie industrie fine”, dit-il) et les filières de recyclage se développent. “Tout cela est certes subsidié mais de manière intelligente, insiste Marc Van Den Neste. On trouve les solutions de circularité d’abord, on développe la supply chain ensuite et, en bout de course, on commence à imposer une certaine parts de matériaux recyclés dans la production. On crée l’offre avant d’imposer la demande.”

3. Quels sont les principaux écueils de cette transition industrielle?

Nos interlocuteurs pointent quatre types d’écueil. Il y a évidemment celui de la tuyauterie. Si l’on veut développer une industrie de l’hydrogène et du stockage de CO2 dans les fonds marins, il faut aménager les réseaux en conséquence. “Il faut designer les infrastructures pour les besoins de demain, comme nous avons construit des autoroutes à quatre ou six bandes à une époque où il n’y avait pas autant de véhicules, pointe Marc Van Den Neste. C’est un pari sur l’avenir et cela implique des financements publics, notamment européens, importants.”

Il salue dans cet esprit le choix d’implanter deux centres de test pour l’hydrogène à haut débit à Anvers et Charleroi. “En ce domaine, nous avons vraiment besoin d’une stratégie belge pour disposer des volumes suffisants, dit-il. Tout comme nous avons besoin du CO2 des cimenteries et chaufourneries wallonnes pour le terminal gazier de ­Zeebrugge.”

Le deuxième écueil est celui de la main-d’œuvre nécessaire pour concevoir, construire et faire fonctionner l’industrie du futur. “La capacité à trouver les ingénieurs dont nous avons besoin est l’un des risques, estime Jean Jouet. Quand on se lance dans un projet sur l’hydrogène, on se projette à 20, 30, 40 ans voire plus. Il faut vraiment donner aux jeunes le goût, l’envie de travailler à la mise au point de ces technologies. Quand je vois des sociétés comme I-care qui prédit les incidents des machines industrielles ou, dans un tout autre domaine, Eyed Pharma, qui développe des implants oculaires, je me dis que nous avons les exemples pour montrer ce que la technologie peut apporter à la société, tant en amélioration des processus qu’en confort de vie.”
Marc Van Den Neste évoque un troisième risque : l’approvisionnement en énergie. Si l’électricité remplace le gaz dans les processus industriels, cela démultiplie les besoins. “Un parc éolien offshore, c’est génial mais ce sera un peu juste pour remplacer nos centrales nucléaires, dit-il. Nous avons pris, en Belgique avec le centre de Mol et l’IRE à Fleurus, une place considérable dans les connaissances scientifiques liées à l’énergie nucléaire. Nous avons les atouts pour être, demain, parmi les leaders des petits réacteurs (SMR) ou du nucléaire thermique.”

A titre de comparaison, pour alimenter l’usine sidérurgique d’ArcelorMittal de Gand par l’hydrogène, il faudrait 500 à 600 électrolyseurs, soit l’équivalent de deux à trois ans de production d’une gigafactory, telle que les conçoit John Cockerill…
Jean Jouet ajoute un quatrième écueil, qu’il placerait d’ailleurs volontiers tout en haut de la liste : la perte de confiance dans les sciences. “Pour moi, la montée de l’anti-science est le risque majeur, dit-il. La science nous dit ce qui est, pas ce qui doit ou devrait être, elle nous présente les faits, notamment en matière de bouleversement climatique. Mais trop souvent, des opinions – les positions du nouveau président argentin par exemple – viennent contester ces faits. Dans ces conditions, il devient plus difficile de faire passer les messages sur la nécessité de changer nos comportements et je trouve cela très inquiétant.”

4. Le coût des opportunités économiques liées au climat n’est-il pas prohibitif ?

Les énergies fossiles nous ont amené un confort de vie mais également des produits et plus généralement une énergie à un coût relativement faible. Le passage aux énergies renouvelables et à une électrification massive des procédés industriels devrait se traduire par une forte hausse des coûts de production.

“Effectivement, l’hydrogène vert est aujourd’hui cinq à six fois plus cher que celui que l’on produit à partir de gaz naturel, concède Jean Jouet. Nous parviendrons à réduire ce prix en rendant la production plus efficace et en augmentant les volumes. Mais cela restera plus cher. Je vous l’ai dit, la première chose à faire, c’est de consommer moins.”

“J’ai travaillé longtemps dans l’industrie du verre, abonde Marc Van Den Neste. Le coût de production actuel d’un mètre carré de verre est issu d’années d’optimisation des procédés, années durant lesquelles les émissions de CO2 n’entraient pas dans l’équation. Aujourd’hui, les paramètres sont différents, les procédés sont revus et ils seront améliorés au fil du temps.” Cela vaut aussi en matière de rénovation énergétique des bâtiments, avec des chantiers qui peuvent désormais être industrialisés en utilisant des parois et toitures préfabriquées en atelier, selon une technique mise au point par la jeune société Build Up (Aarschot) et qui a déjà séduit des grands groupes de la construction.

Les cinq volets de l’Atlas des risques mondiaux, dont est tiré cet article, feront chacun l’objet d’un débat télévisé. Vous pouvez les retrouver en vidéos sur Canal Z ou en podcast sur www.trends-tendances.be

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