La fièvre du bitcoin: opportunité ou bulle spéculative?
Élection de Trump, appétit des investisseurs : le bitcoin poursuit sa course effrénée aux records. Alors que le bitcoin a franchi jeudi pour la toute première fois de son histoire la barre des 100.000 dollars, faut-il investir ou se méfier? Gros plan sur les raisons d’une envolée historique.
ll est sur toutes les lèvres. Tout le monde en parle en cette fin d’année 2024. “Il”, c’est bien sûr le bitcoin. Où s’arrêtera la cryptomonnaie : 150.000 dollars, 200.000 dollars, voire bien plus comme le prédisent certains ?
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Deux ans après avoir accusé le contrecoup de la faillite de la plateforme d’échange FTX en novembre 2022, la plus populaire des devises numériques vole à nouveau de record en record. Le 20 novembre dernier, son cours dépassait pour la première fois de son histoire les 98.000 dollars. Et cette nuit, la monnaie électronique s’est envolée d’environ 4%: à l’origine de ce nouvel accès de fièvre, le président élu Donald Trump a annoncé mercredi qu’il prévoyait de nommer, une fois investi, l’avocat républicain Paul Atkins, favorable au développement des cryptomonnaies, pour diriger l’Autorité américaine de régulation des marchés financiers, la SEC. Du coup, c’est bien simple : entre la victoire de Donald Trump à la présidentielle américaine, le 5 novembre dernier, et aujourd’hui, au moment d’écrire ces lignes, le bitcoin a gagné plus de 40%. La hausse dépasse même les 120% depuis le début de l’année. Et si l’on prend comme référence un prix récent du bitcoin, on arrive aujourd’hui à une valeur totale du marché bitcoin d’environ 1.800 milliards de dollars ! Soit à peu près l’équivalent du PIB de pays comme l’Australie ou l’Espagne qui figurent aux 12e et 14e rangs des États les plus riches du monde. Pour ceux qui détiennent des bitcoins, c’est Noël avant l’heure.
Cette envolée phénoménale, et même historique, doit beaucoup au futur président qui a multiplié les gages en faveur de la reine des cryptos. Certes, les perspectives étaient déjà meilleures ces derniers mois avec le “halving” (qui prévoit tous les quatre ans une réduction de moitié de la production de nouveaux bitcoins), mais aussi grâce à l’approbation des ETF sur le bitcoin et l’éther aux États-Unis, ainsi que les politiques monétaires qui montrent leurs premiers signes d’assouplissement. “Mais la réélection de Trump constitue le catalyseur dont manquait le marché pour afficher de nouveaux records : ces éléments combinés ont renforcé l’idée que la crypto pourrait connaître un nouveau cycle haussier”, plante Julien Vallet, CEO et cofondateur de la plateforme d’échange de cryptos Finst.
Retournement de veste
Pourtant, Donald Trump n’a pas toujours été un fervent défenseur des cryptomonnaies, bien au contraire. En 2019, alors qu’il était encore président, il déclarait sur X (ex-Twitter) ne pas être favorable au bitcoin et aux crypto-actifs dont “la valeur est très volatile et basée sur du vent”, allant même jusqu’à qualifier la devise numérique “d’arnaque” menaçant le dollar et la souveraineté monétaire des États-Unis. Et donc ? Durant sa campagne électorale, le candidat Trump a tout simplement retourné sa veste. Parce qu’il s’est rendu compte que le nombre de citoyens américains intéressés par les cryptos avait décuplé ces dernières années pour atteindre environ 50 millions de personnes, soit autant d’électeurs potentiels.
Longtemps critique vis-à-vis des cryptomonnaies, le candidat républicain n’a pas oublié non plus de participer, en juillet dernier, à la Conférence bitcoin 2024 de Nashville. Dans la capitale du Tennessee, il a même promis de faire des États-Unis le centre mondial des cryptomonnaies. Histoire d’abord ne pas décevoir son nouvel ami Elon Musk et les autres généreux donateurs de sa campagne issus de la planète crypto. Histoire aussi de se démarquer du camp démocrate, historiquement hostile à l’égard de ces devises numériques d’inspiration un peu trop libertarienne à son goût. Et puis, bien sûr, cette conversion tardive du président milliardaire Trump doit aussi au fait que lui-même et ses fils ont décidé de se lancer dans le business des cryptomonnaies en créant leur propre plateforme d’échange, World Liberty Financial.
Bref, “la position pro-crypto affichée récemment par Donald Trump a très clairement envoyé un signal fort au marché, ses déclarations promettant un environnement réglementaire plus clair et favorable ont rassuré les investisseurs”, résume Julien Vallet, citant l’exemple de XRP (Ripple) qui a engrangé 176% de gains sur un mois après avoir connu plusieurs années de différends juridiques avec la Securities and Exchange Commission (SEC).
Exit Gensler !
La SEC, parlons-en justement. Dans ses discours de campagne, Trump s’était aussi engagé à virer son patron dès son retour à la Maison Blanche le 20 janvier. Farouche adversaire de la communauté crypto, Gary Gensler, président de la SEC, l’autorité de régulation des marchés financiers américains, autrement dit le gendarme de la Bourse, s’est en effet illustré depuis sa nomination, en 2021, en multipliant les actions en justice contre ces acteurs de la planète crypto (Binance, Coinbase…). Mais plutôt que de subir une humiliation publique, alors que son mandat courait jusqu’à 2026, l’homme a préféré démissionner.
“Le bitcoin n’est rien d’autre qu’un actif sans véritable utilité autre que spéculative.” – Philippe Ledent (ING Belgique)
La démission annoncée fin novembre, et qui sera effective le 20 janvier, a été bien accueillie par les marchés. Elle a fait bondir le bitcoin de plusieurs pour cent, au point de flirter avec la barre symbolique des 100.000 dollars. Et pour cause : “Les promesses de Trump de créer un environnement réglementaire plus favorable ont renforcé la confiance et l’optimisme des investisseurs, notamment parmi les acteurs qui considèrent la réglementation comme un obstacle à l’adoption des cryptomonnaies. Ce type de position peut également encourager l’entrée de nouveaux acteurs institutionnels qui attendaient des signaux de stabilité juridique avant de se lancer”, entrevoit Julien Vallet, convaincu que celui ou celle qui succédera à Gary Gensler ne freinera pas le développement pour les années à venir du bitcoin, ce dernier bénéficiant désormais du soutien officiel de la Maison Blanche, par ailleurs totalement indifférente à l’empreinte carbone de la devise numérique.
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Tournant décisif
Mais la réélection de Donald Trump n’explique pas à elle seule cette nouvelle flambée des cours. De nombreuses figures publiques ont, elles aussi, revu leur avis sur le bitcoin et la blockchain ces derniers mois. Exemple ? Larry Fink, grand patron de BlackRock, leader mondial de la gestion d’actifs. Sa position a notamment évolué depuis le lancement à Wall Street, en début d’année, des premiers fonds négociés en Bourse basés sur le bitcoin, mieux connus sous l’appellation ETF (pour Exchange Traded Fund).
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Un lancement qui a été un succès et qui continue de booster la demande. Car même si les premiers ETF en bitcoin ont été approuvés au Canada et au Brésil en 2021, c’est surtout l’autorisation de ces ETF sur le marché hyper important des États-Unis, malgré la résistance et les mises en garde répétées de la SEC, qui marque un tournant décisif pour l’industrie des cryptos. Ces ETF permettent à chacun de jouer la monnaie électronique sans même en posséder, ce qui élargit fortement la clientèle. Ce sont en fait les promoteurs de ces fonds négociés en Bourse (BlackRock, Fidelity, etc.) qui, pour se couvrir, doivent en acheter, ce qui contribue au mouvement haussier. Résultat, ces nouveaux ETF cartonnent : l’ETF en bitcoin géré par BlackRock a dépassé les 40 milliards de dollars en 11 mois, ce qui représente la plus grande hausse en termes d’encours sous gestion de toute l’histoire.
L’appât du gain
Même s’il n’est pas possible chez nous d’en acquérir si l’on est un épargnant standard, car ces fonds ne sont accessibles qu’aux patrimoines en gestion privée, leurs chiffres fous témoignent d’une réalité de fond : de nombreux particuliers qui n’ont jamais investi en Bourse arrivent sur le marché des cryptos. Expert en placements spécialisé dans l’éducation financière, Grégory Guilmin en veut pour preuve les statistiques publiées par l’AMF, le gendarme boursier français. “En France, 12% des habitants détiennent désormais des cryptos, là où 8% de nos voisins détiennent des actions, indique-t-il en ce sens. Et si l’on regarde sur Google Trends, on peut voir que des termes comme bitcoin et cryptomonnaie se trouvent dans le top 10 des mots les plus recherchés en Europe.”
Pour Grégory Guilmin, la frénésie actuelle est d’ailleurs révélatrice du fameux effet FOMO (pour Fear of missing out, la peur de rater quelque chose). “Ici, avec le bitcoin et les autres cryptomonnaies, c’est cette peur irrationnelle de passer à côté de quelque chose d’incroyable, d’une opportunité, d’une expérience ou même d’un statut social qui gagne. En fait, le phénomène exploite un biais cognitif appelé la préférence pour la gratification immédiate. En d’autres termes, nous avons tendance à privilégier un plaisir à court terme plutôt qu’un gain à long terme. Cela explique pourquoi certains se ruent sur des investissements risqués, en espérant faire un gros coup et pouvoir être gratifié immédiatement.” Et Grégory Guilmin de prévenir : “Aujourd’hui, je vois beaucoup d’investisseurs particuliers qui se ruent sur les cryptos sans aucune formation préalable. Et lorsque le marché perdra 50% ou plus, les dégâts financiers et émotionnels seront difficiles à réparer.”
Et donc, attention, car nous n’échappons pas au phénomène. Voici quelques mois, le baromètre ING des investisseurs indiquait que 45% des investisseurs belges de moins de 35 ans envisageaient effectivement d’opter pour des cryptomonnaies dans les six prochains mois. Un appétit qui tient en une raison, abonde Philippe Ledent, senior economist chez ING Belgique et enseignant à l’UNamur et l’UCLouvain : “La motivation première des investisseurs en bitcoin reste l’appât du gain. Je ne suis pas certain que tous comprennent bien son fonctionnement ni qu’ils soient convaincus de l’avenir des cryptos. Le phénomène de rareté est par contre une justification assez facile à comprendre. Ces investisseurs en bitcoin connaissent le dicton : tout ce qui est rare est cher. Or, par définition, le bitcoin est rare. Toute perspective d’une plus grande demande ne peut faire que gonfler son prix et chaque investisseur a envie de participer à la fête. En fait, le bitcoin n’est rien d’autre qu’un actif sans véritable utilité autre que spéculative, sa rareté étant artificiellement entretenue par le fait qu’il ne sera pas émis plus de 21 millions d’unités. Une limite dont on est proche…”
En effet, près de 20 millions de bitcoins ont déjà été créés sur un maximum possible de 21 millions fixé par le concepteur supposé du bitcoin, l’énigmatique Satoshi Nakamoto.
“Le bitcoin a gagné en légitimité, mais beaucoup de particuliers se ruent sur les cryptos sans aucune formation préalable.” – Grégory Guilmin, expert en placements
Nouvel or digital ?
C’est d’ailleurs cette rareté, prolonge Philippe Ledent, qui fait qu’entre janvier 2024 et aujourd’hui, la valeur du bitcoin a quasiment doublé, atteignant, au moment d’écrire ces lignes 100.000 dollars, et tirant au passage derrière elle les autres cryptomonnaies.
“Rien ne permet d’expliquer ou de déterminer la valeur intrinsèque du bitcoin, poursuit l’économiste. C’est un actif qui est forcément sujet aux fluctuations de la demande et son prix à toutes les interprétations. Alors quand Trump dit qu’il veut faire du bitcoin une espèce de monnaie de réserve, au même titre que le dollar, qui garantirait les monnaies traditionnelles en circulation émises par les banques centrales, c’est le sommet. C’est même complètement paradoxal dans la mesure où les États-Unis profitent du statut du dollar comme monnaie de réserve. La seule raison pour laquelle les États-Unis n’ont pas de problème à financer leur déficit et à trouver preneur pour leur dette colossale, c’est précisément grâce au statut du dollar. C’est dire s’il est étonnant de voir des dirigeants américains discuter des cryptos comme alternative au dollar.”
Selon certaines rumeurs, le Trésor américain pourrait acheter jusqu’à un million de bitcoins durant les cinq prochaines années : un moyen pour Trump de s’affranchir du pouvoir de la banque centrale américaine (la Fed). Info ou intox ? Ce qui est sûr, c’est que seuls certains États, comme le Salvador, ont franchi le pas jusqu’à présent. Mais pour Julien Vallet, il n’est cependant pas impossible, voire même probable, que d’autres puissances mondiales considèrent la question de manière plus sérieuse dans les mois ou années à venir.
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“L’idée d’une réserve fédérale en bitcoin reflète une vision intéressante d’un système financier plus décentralisé, et pourrait permettre aux cryptos de constituer un nouveau pilier de la politique monétaire, en plus d’être considérées comme une valeur refuge digitale, estime en ce sens le patron de la plateforme Finst. Si des nations ou des blocs économiques, comme l’Union européenne ou les Brics (le club des pays émergents : Brésil, Russie, Inde, Chine…) décidaient de diversifier leurs réserves en bitcoin, cela pourrait transformer la perception du bitcoin en actif stratégique. Cela marquerait un tournant historique pour les cryptomonnaies, mais nous en sommes encore loin”.
Il n’empêche, c’est réaliste, acquiesce Grégory Guilmin. “Dans le bilan des banques centrales, on peut trouver des devises, de l’or, des obligations et même parfois des actions et des ETF passifs. Pourquoi pas dès lors aussi du bitcoin, c’est loin d’être impossible”, dit-il.
De folles prédictions
Reste bien évidemment une question brûlante : jusqu’où le bitcoin pourra-t-il grimper ? Dit autrement, faut-il investir ou se méfier ? Ou est-il déjà trop tard ? Aujourd’hui, les prédictions les plus folles circulent, comme celle de la papesse de la tech, Cathie Wood, dont le fonds crypto Ark voit le bitcoin à 1,5 million de dollars en 2030 ! Sans aller jusque là, certains ne sont toutefois pas étonnés de voir la reine des cryptos franchir maintenant le seuil psychologique des 100.000 dollars.
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Normal, “le bitcoin a gagné en légitimité”, souligne Grégory Guilmin. “Mais si les déclarations prometteuses de Trump ne sont pas suivies d’effets concrets, le marché pourrait rapidement se retourner, avance Julien Vallet. Cela pourrait entraîner un phénomène bien connu de ‘Achetez la rumeur, vendez la nouvelle’, qui est à surveiller. L’industrie crypto reste très récente. Le manque de données historiques à long terme rend la tâche des analystes particulièrement difficile sur ce sujet. La principale question reste de savoir si l’ampleur et le timing des cycles haussiers de 2013, 2017 et 2021 se reproduiront en 2025. Si oui, alors les prédictions de certains analystes évoquant un bitcoin à plusieurs centaines de milliers de dollars pourrait se matérialiser. Cela dit, il est essentiel pour les investisseurs de ne pas se laisser emporter par l’euphorie. La crypto reste un marché émergent, avec une forte volatilité, qui doit être abordé avec une gestion rigoureuse du risque.”
Depuis sa création en 2008, le bitcoin a en effet connu des envolées spectaculaires mais aussi plusieurs krachs mémorables (-77% entre novembre 2021 et décembre 2022). Mémoire de poisson rouge : tout le monde parle du bitcoin quand il flambe et pas quand il s’écrase. Julien Vallet reste néanmoins positif, vu notamment l’arrivée en début d’année de la nouvelle réglementation MiCA qui encadre de manière uniforme les cryptos en Europe (protection des investisseurs, surveillance des transactions).
“La crypto reste un marché émergent, avec une forte volatilité, qui doit être abordé avec une gestion rigoureuse du risque.” – Julien Vallet (Finst)
“Le cadre réglementaire que constitue MiCA est un prérequis important pour une institutionnalisation des cryptos à grande échelle. Un marché de plus de 3.000 milliards d’euros peut difficilement envisager de se développer de manière pérenne sans une fondation réglementaire claire. L’Europe montre ici qu’une régulation adaptée peut soutenir le développement des cryptos tout en protégeant les investisseurs. Cependant, il est crucial que ce cadre tienne compte des spécificités technologiques et décentralisées des cryptos, qui diffèrent radicalement de la finance traditionnelle. Si les régulateurs continuent d’adopter une approche équilibrée, cela pourrait placer l’Europe comme un leader mondial dans ce domaine”, conclut-il.
21 MILLIONS – Nombre maximum de bitcoins qui seront créés à terme, selon le protocole défini par son concepteur connu sous l’énigmatique patronyme Satoshi Nakamoto.
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