Typhanie Afschrift

Faut-il vraiment réguler la crypto?

Typhanie Afschrift Professeure ordinaire à l'Université libre de Bruxelles

Une réglementation tatillonne de plusieurs dizaines de milliers de pages n’a pas empêché, en 2008, la chute de Lehman Brothers et une crise financière mondiale.

Les cryptomonnaies mais aussi les autres actifs, comme les NFT (Non Fungible Token), qui utilisent la blockchain ou qui évoluent sur le métavers, ont beaucoup souffert ces derniers temps. D’un côté, il y a la chute du bitcoin, la monnaie la plus emblématique parmi les cryptos. D’un autre, l’écroulement de l’importante plateforme FTX. D’aucuns se posent la question de la fiabilité de cet univers et donc, bien sûr, des Etats commencent déjà à annoncer qu’il faut réguler celui-ci.

Le bitcoin est un actif d’ordre spéculatif. On n’entrera pas ici dans la controverse de savoir s’il s’agit d’une “monnaie” ou non ; il sert en tout cas rarement à payer un prix lors d’une transaction. Cependant, comme beaucoup d’autres actifs et certaines monnaies, il est extrêmement volatil et l’évolution de son cours a permis à certains de s’enrichir très vite. Evidemment, il en a aussi ruiné d’autres. Mais il n’en a pas ruiné davantage que ceux qui spéculent sur d’autres valeurs, y compris des matières premières. On aime ou on n’aime pas le bitcoin, comme on aime ou on n’aime pas le casino. Mais on ne se plaint pas d’avoir perdu à ce qui ressemble fort à un jeu.

Faut-il vraiment réguler la crypto?

Cette volatilité n’est pas une raison suffisante pour en assurer le contrôle. Volatiles, les monnaies étatiques peuvent en effet parfois l’être aussi, comme le rouble ou la livre turque. Certes, le bitcoin n’est “couvert” par aucun actif tangible. Mais après tout, ce n’est guère différent de l’euro ou des autres monnaies depuis que les banques centrales ne sont plus tenues de conserver dans leurs coffres quantités d’or pour couvrir leurs engagements. Ces monnaies papier ne valent que la confiance que l’on peut avoir en ces instituts d’émission. Et ceux-ci n’ont rien d’autre que des créances sur d’autres banques, dont la solidité dépend de celle de leurs débiteurs, et donc essentiellement des Etats, lourdement endettés. Ce n’est donc pas nécessairement mieux que le bitcoin…

Beaucoup, parmi ceux qui apprécient les monnaies cryptos, sont surtout séduits par leur indépendance à l’égard des Etats. A l’heure où ceux-ci veulent réglementer ou à tout le moins connaître la quasi-totalité des transactions, le bitcoin offre de fait un certain niveau de discrétion, apprécié par ceux qui n’aiment pas, même en toute bonne foi, être contrôlés par les autorités.

Croire que les règlements évitent les crises et que les autorités sont capables de les prévenir, c’est une illusion.

Tous les prétextes sont bons, pour ceux qui veulent tout réglementer. Y compris lorsque des plateformes s’effondrent, non pas par insuffisance de réglementation, mais parce que dans le monde crypto comme dans le monde réel, il existe de mauvais gestionnaires et aussi des escrocs. Une réglementation tatillonne de plusieurs dizaines de milliers de pages n’a pas empêché, en 2008, la chute de Lehman Brothers et une crise financière mondiale.

Croire que les règlements évitent les crises et que les autorités sont capables de les prévenir, c’est une illusion. Le principal point de déséquilibre, c’est l’endettement croissant des Etats et leur incapacité, à terme, à faire face à leurs obligations. Y compris pour les pensions, non inclues dans la dette publique.

Dans ces conditions, on ferait bien de laisser le monde crypto évoluer à sa guise, avec des risques que chacun connaît et qu’il faut assumer. Des individus libres n’ont pas besoin d’être protégés contre tous les risques de la vie et les conséquences de leurs décisions personnelles. Il faut qu’il existe un monde où, pour le meilleur et pour le pire, on ait le droit d’ignorer l’Etat, de ne rien demander de ses prétendus bienfaits, de ne pas l’appeler au secours lorsqu’on a fait un mauvais choix.

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