Les Américains vont-ils rafler les droits du foot belge ?

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Jadis au centre d’une bagarre entre les opérateurs Belgacom, VOO et Telenet, les droits de diffusion du championnat belge de football pourraient bientôt passer dans l’escarcelle du magnat des médias Rupert Murdoch. Gourmande, sa société 21st Century Fox songe même à créer une nouvelle chaîne sportive en Belgique.

C’est la stratégie tactique d’un match inédit qui se dessine aujourd’hui dans les vestiaires feutrés des équipes en présence. D’un côté, les joueurs traditionnels de l’espace médiatique belge qui tentent, tous les trois ans, de décrocher les droits de diffusion du championnat national de football : Telenet, Belgacom et VOO. De l’autre, un sacré challenger venu d’outre-Atlantique et qui ne cesse d’étendre son influence sur la scène européenne : la société américaine 21st Century Fox, qui réunit les activités de télévision et de cinéma du magnat des médias Rupert Murdoch. L’enjeu ? Les droits télé de la Jupiler Pro League qui seront renégociés au printemps 2014 pour les prochaines saisons du championnat belge de football. Redistribution des cartes Jusqu’ici, les choses étaient relativement simples sur les pelouses de Belgique car le décor du duel médiatique (l’ancien duel historique) était déjà planté avec Belgacom, d’une part, et le tandem Telenet-VOO, d’autre part. Pour rappel, Belgacom, qui avait remporté les droits télé du foot en 2008 pour un montant annuel de 44,7 millions d’euros, avait vu sa position de leader s’effondrer trois ans plus tard avec la charge musclée de Telenet et VOO dans la valse des négociations sportives. En 2011, le tandem flamando-wallon avait en effet décroché ces mêmes droits de diffusion pour les trois saisons suivantes en échange d’une somme de 55,2 millions d’euros par an — soit une augmentation conséquente de près de 25 % — ne laissant à Belgacom que les miettes d’un maigre lot de consolation, à savoir la diffusion des trois matchs les moins intéressants de chaque journée du championnat.

Prévisible, cet affrontement “belgo-belge” était censé se reproduire au printemps 2014 pour les droits des championnats à venir, si ce n’est qu’entre-temps un acteur inattendu du monde des médias a pointé le bout de son nez.

Et pas n’importe lequel : 21st Century Fox, l’une des deux sociétés nées de la scission de l’empire médiatique de Rupert Murdoch avec, d’un côté, la presse et l’édition ( sous le nom de News Corp) et, de l’autre, ce pôle audiovisuel qui génère désormais près de 28 milliards de chiffre d’affaires…

Offensive européenne Si le cadre des négociations n’a pas encore été défini par la Pro League, l’association des clubs professionnels de football belges a toutefois été approchée par 21st Century Fox lors de l’événement Sportel, le marché international des programmes sportifs qui s’est tenu il y a deux semaines à Monaco. Désormais installé à Anvers, le géant américain n’en est d’ailleurs pas à son coup d’essai européen puisqu’il vient de s’offrir les droits de diffusion du championnat de football allemand dans 80 pays (dont la Belgique) à partir de 2015 et qu’il a raflé, l’année dernière, ceux de l’Eredivisie aux Pays-Bas jusqu’en 2025 ! Montant déboursé pour l’équivalent de notre Jupiler Pro League outre-Moerdijk : 80 millions d’euros par an, au grand bonheur des clubs concernés. Inutile d’écrire que cette force de frappe financière ne réjouit guère les anciens et actuels détenteurs des droits du foot belge, d’autant plus que 21st Century Fox a créé sa propre chaîne de télévision aux Pays-Bas pour diffuser les matchs du championnat néerlandais…

Mais comment se fait-il que le championnat belge ne soit pas légalement réservé à des acteurs belges du secteur des médias ? “Contrairement aux Jeux olympiques ou à la Coupe du Monde de football qui doivent être diffusés sur une chaîne de télévision nationale en accès libre, le championnat belge de football n’est pas considéré comme ‘un événement d’intérêt majeur’ selon des critères prévus par une directive européenne, précise François Jongen, avocat spécialisé dans le droit des médias au cabinet Buyle Legal. Il peut donc être diffusé sur une chaîne cryptée et c’est ce qui se passe déjà chez nous. Les droits de diffusion du championnat national peuvent donc être négociés librement au plus offrant, qu’il soit belge ou pas.”

Des opérateurs inquiets Du côté des clubs professionnels belges, on se frotte déjà les mains puisque l’arrivée de 21st Century Fox va probablement faire monter les enchères et donc contribuer au renflouement des caisses. En revanche, dans les bureaux des opérateurs nationaux, on se montre nettement moins enthousiaste et on préfère même éviter le débat sur la place publique, comme chez Belgacom : “Nous ne voulons pas nous exprimer sur le sujet pour le moment car les détails de l’appel d’offre ne sont pas encore connus, commente Haroun Fenaux, porte-parole de l’entreprise. Nous sommes intéressés par le foot, certes, mais pas à n’importe quel prix”.

Chez VOO et sa filiale BeTV, on se montre toutefois un peu moins frileux dans l’affrontement et on imagine même des pistes qui pourraient satisfaire tout le monde : “Le schéma de l’exclusivité des droits de diffusion est un schéma ancien, analyse Christian Loiseau, directeur médias et BeTV chez VOO. Le plus rationnel, pour la Pro League, serait de forcer la non-exclusivité. Il y aurait ainsi, pour elle, plus d’argent à aller chercher du côté des opérateurs qui pourraient chacun, en retour, retransmettre les matchs à un prix moins élevé”. Ce qui éviterait aussi au fan francophone de foot de devoir s’offrir deux décodeurs — VOO et Belgacom — pour voir l’intégralité des matchs du championnat, comme c’est le cas actuellement.

Une nouvelle chaîne sportive ? Encore faut-il que le nouvel acteur américain accepte ce principe de collégialité. Car 21st Century Fox pourrait très bien rechercher cette fameuse exclusivité à coups de dizaines de millions posés sur la table et lancer, comme aux Pays-Bas, sa propre chaîne de télévision sportive à péage, déclinée ici en deux langues, qui proposerait aussi aux téléspectateurs les matchs d’autres championnats européens — comme celui de la Bundesliga — dont elle détient les droits. Tout aussi réaliste, l’autre scénario serait non pas de lancer une nouvelle chaîne de télé en Belgique — une opération longue et coûteuse — mais bien de revendre ces fameux droits de diffusion à un ou plusieurs opérateurs existants.

Quid du consommateur ? Risque-t-il d’être, au final, le dindon de la farce footballistique ? “Si les droits augmentent de façon considérable, il faudra bien s’attendre à ce que quelqu’un paie et cela pourrait bien être en définitive le consommateur, résume cet observateur des médias. Mais je n’y crois pas trop car je pense que l’on est proche d’un certain plafond. Donc oui, les prix peuvent encore augmenter un peu, mais ils n’exploseront pas, car il faut que la diffusion des matchs reste malgré tout rentable pour le détenteur des droits et que celui-ci ne peut tout simplement pas pénaliser davantage le téléspectateur, sous peine de le voir partir.” Fantasme ou réalité ? Résultat du match au printemps prochain.

FRÉDÉRIC BRÉBANT

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