Les 6 recettes des Belges pour échapper au fisc

© Image Globe/Benoît Doppagne

La Belgique figure parmi les nations les plus taxées au monde et la super-banque de données du fisc semble sur les rails. Face à cela, les contribuables s’organisent. Trends-Tendances a mené l’enquête pour savoir comment les Belges, fortunés ou pas, cherchent à éviter les nouvelles mesures fiscales de Di Rupo Ier… de manière tout à fait légale.

La Commission de la protection de la vie privée a donc donné son feu vert à Steven Vanackere , ministre des Finances, pour la création d’une banque de données accessible à tous les contrôleurs fiscaux. Le fisc intégrera dans cette base de données toutes les informations issues de ses divers départements – des informations de la douane aux déclarations liées aux droits de succession – et des services publics externes. Les contrôleurs fiscaux pourront ainsi obtenir le profil détaillé de tous les contribuables belges, particuliers et entreprises.

Comment se rendre invisible aux yeux du fisc ?

Inquiétude et mécontentement grandissent dans les rangs des contribuables. Le cadastre des fortunes n’a plus rien d’un monstre du Loch Ness. Loin de là. Beaucoup de portefeuilles bien garnis le redoutent plus que jamais. Et ils en tirent les conclusions qu’ils jugent utiles d’en tirer. Comment les Belges peuvent-ils se rendre “invisibles” face au fisc ? Tour d’horizon en six pistes, explorées par le magazine Trends-Tendances dans son édition du 15 mars.

Recette n° 1 : réagir face au relèvement de la taxe boursière

Rappelons-le d’emblée : la taxe sur les opérations de Bourse (achat et vente de titres belges ou étrangers conclus en Belgique), plus communément appelée TOB, n’est pas due lorsque les opérations sont conclues et exécutées à l’étranger. “Rien d’illégal à cela”, confirme François Parisis, professeur de droit fiscal à l’ULg, fustigeant la mesure au motif que celle-ci frappe avant tout les épargnants investissant dans l’économie réelle et non les spéculateurs. Il suffit en effet, pour l’éviter, de transférer son portefeuille titres à l’étranger et d’y passer là-bas ses opérations. Au Luxembourg, par exemple. La banque étrangère ne prélèvera pas la TOB, qui est une taxe uniquement applicable sur le territoire belge. Ne pas payer la TOB est donc tout à fait possible.

Le jeu en vaut-il la chandelle ? Ça, c’est une autre affaire. A chacun de faire ses propres calculs. Pour les actions, le gouvernement a prévu d’augmenter une nouvelle fois le taux de la taxe pour le porter à 0,25 %. La loi du 28 décembre dernier l’avait déjà majoré de 30 %, pour le faire passer de 0,17 % à 0,22 %. Côté sicav de capitalisation, on passerait de 0,65 % à 1 %. Le taux serait maintenu à 0,09 % pour les obligations, les bons d’Etat et autres titres de la dette publique. Quant au plafond, il est établi depuis le 1er janvier 2012 à 975 euros pour les parts de sicav de capitalisation et 650 euros pour les autres titres.

En clair, pour un achat d’actions de 10.000 euros, il faudra s’acquitter d’une dîme de 25 euros, contre 22 euros auparavant. Pour un achat d’actions d’un million d’euros par contre, il en coûtera 650 euros maximum et non pas 2.200 euros (un million x 0,22 %). “Dans la mesure où le gouvernement n’a pas annoncé le déplafonnement de la taxe ou une majoration des plafonds, ce sont surtout les petits investisseurs qui sont touchés, indique Bruno Orban, avocat spécialisé en droit fiscal au cabinet CMS-DeBacker. Le fait de payer 25 euros au lieu de 17 euros pour une opération de Bourse de 10.000 euros, soit une différence de 8 euros, ne me paraît pas une raison suffisante pour délocaliser un portefeuille de titres à l’étranger.” Par contre, ceux qui l’ont déjà déplacé à l’étranger ont une raison supplémentaire d’y rester…

Recette n° 2 : opter pour des sicav de capitalisation

Qui dit sicav de capitalisation, dit par définition absence de revenu (pas de coupon annuel). Et donc pas de précompte mobilier. Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre qu’il est dès lors possible de rester discret aux yeux du fisc en vendant son portefeuille d’actions (dont les dividendes font l’objet d’une déclaration et d’une taxation à 25 %) pour ensuite acheter à la place des parts de sicav de capitalisation. A condition toutefois que celles-ci soient investies à concurrence de moins de 40 % en titres de créance.

En effet, dans le cas contraire (sicav de capitalisation investie à concurrence de plus de 40 % en créances), “la partie obligataire de la plus-value réalisée sera assimilée à une perception d’intérêts à l’occasion de la revente des parts”, rappelle Bruno Ferrier, directeur du département estate planning chez Puilaetco Dewaay. Elle sera donc soumise au précompte mobilier de 21 % et fera l’objet d’une communication si la cotisation de 4 % n’est pas prélevée à la source. Seules les sicav dites de partie 1 (assorties d’un passeport européen) sont toutefois soumises à cette taxation à la sortie. Les sicav de partie 2 (sans passeport européen) y échappent. A titre d’exemple, imaginons un portefeuille de 500.000 euros comprenant 300.000 euros d’actions européennes dont le rendement tourne actuellement autour des 4 %. Cela fait un total de 12.000 euros de dividendes, taxés au taux de 25 %. Ce qui représente un prélèvement de 3.000 euros sur un montant de départ de 300.000 euros, soit 1 % du capital. Bref, avec un taux de dividende élevé et un précompte mobilier alourdi, l’incitation à économiser le précompte mobilier sur les dividendes, tout en préservant la confidentialité, est aujourd’hui accrue.

Recette n° 3 : la carte de l’assurance-patrimoniale

A côté du bon d’Etat Leterme et du compte d’épargne, il est un autre produit de placement particulièrement ménagé par les dernières mesures relatives à la fiscalité mobilière : l’assurance-patrimoniale. Outil de planification successorale très prisé par les Belges, celle-ci n’est pas du tout concernée par la loi du 28 décembre 2011. Sa taxation reste très avantageuse, peu importe qu’elle soit conclue auprès d’un assureur belge ou luxembourgeois. Ainsi, les produits d’assurance de la branche 23 (au rendement qui dépend des placements) bénéficient d’une exonération totale de précompte mobilier. On peut y loger un portefeuille de titres (fonds dédiés). On peut même se tourner vers les placements de la branche 21, à capital garanti, à condition de laisser les capitaux investis pendant plus de huit ans. Seul inconvénient : la taxe de 1,1 % due par les résidents belges sur les primes versées.

Les Belges souscrivent-ils pareil contrat d’assurance en Belgique ou à l’étranger ? L’exonération fiscale, rappelons-le, est la même. L’anonymat est toutefois mieux garanti vis-à-vis du fisc belge en cas de souscription à l’étranger. Echappant toujours à la directive sur la fiscalité de l’épargne (les négociations concernant son élargissement aux produits d’assurances semblent dans l’impasse), le contrat d’assurance conclu avec un assureur étranger ne fait en effet l’objet d’aucun échange automatique d’informations avec le SPF Finances. Il n’est pas non plus soumis à la retenue européenne de 35 %. Par contre, lors du démantèlement du contrat et du rapatriement des capitaux, il faut pouvoir montrer patte blanche à son banquier. Ce dernier posera sans doute des questions quant à l’origine des fonds. Il faut, par conséquent, pouvoir prouver que les capitaux placés dans cette police d’assurance ont été correctement déclarés et imposés en Belgique. Le cas échéant, il faudra certifier que les capitaux ont bien été déclarés dans la succession du preneur d’assurance.

Et la nouvelle mouture de la disposition anti-abus ? Faut-il craindre un retour de flamme de l’administration au motif qu’on évite le précompte mobilier en optant pour ce type de placement ? Non, assure François Parisis. “Lorsque je confie mes avoirs à un assureur, je n’en suis plus le propriétaire. Je n’ai donc plus la maîtrise de la gestion de ce capital. Par ailleurs, la disponibilité des avoirs logés dans un contrat d’assurance est limitée. On ne peut en disposer que durant les périodes de rachat. C’est pourquoi, il est impossible de faire jouer la nouvelle disposition anti-abus en pareil cas.” Cela étant, il convient de rester prudent. “Le preneur d’assurance qui gère directement les avoirs placés dans une police d’assurance en donnant ses instructions à son assureur, poursuit-il, ainsi que celui qui prélève de manière régulière des fonds sur sa police d’assurance, s’expose davantage au risque fiscal.”

Recette n° 4 : rouler en Smart ?

Côté voitures de société, la Smart figure en tête de liste des plus petits grammages de CO2 (86 g/km) actuellement disponibles sur le marché. Sans tomber dans la catégorie des voitures électriques, “on peut dire que c’est l’un des meilleurs choix si l’on a pour but de diminuer le plus possible le montant de l’avantage en nature lié à l’usage d’une voiture de société”, affirme Séverine Segier, avocate spécialisée en droit fiscal au cabinet Afschrift. Tout en ayant une “vraie” voiture (autonomie suffisante, certaine sécurité, etc.), cet avantage est limité à 1.200 euros par an. Un montant sur lequel s’applique bien sûr le taux de taxation personnel de l’utilisateur du véhicule.

Et rouler en Smart avec une plaque luxembourgeoise ? Il s’agit là d’une piste à oublier si on est résident belge, travaillant en Belgique pour une société belge. “C’est de la fraude pure et simple”, prévient Séverine Segier. Gare donc aux sites internet qui proposent l’immatriculation de voitures au Luxembourg. En revanche, faire immatriculer son véhicule sur les bords de la Pétrusse quand on y travaille vraiment (et pour une société luxembourgeoise), cela n’a rien de condamnable.

Recette n° 5 : la voie des sociétés luxembourgeoises

A côté des produits “grand public”, il existe des formules plus sophistiquées (et plus coûteuses) comme l’utilisation de structures sociétaires, qu’elles soient belges ou étrangères. L’idée ? “Puisqu’on taxe plus les revenus mobiliers des personnes physiques, celles-ci doivent éviter d’en percevoir”, avance Thierry Afschrift, avocat et professeur de droit fiscal à l’ULB. Ainsi, “il est possible avec une bonne vieille sprl de droit belge recourant aux intérêts notionnels d’afficher un taux de taxation final bien inférieur au taux du précompte mobilier du citoyen lambda”, avance à ce propos un banquier haut de gamme, prudemment anonyme.

Au Luxembourg, on peut se tourner vers la soparfi (société de participations financières) ou la SPF (société de gestion de patrimoine familiale). La première est une société classique soumise au droit des sociétés luxembourgeoises mais bénéficiant d’un régime d’exonération des dividendes et des plus- values sur actions. Pas conçue à l’origine pour l’investissement d’épargne en soi (mais on peut l’utiliser à des fins d’épargne), la seconde a pris le relais de la défunte holding 29. Dans les deux cas, c’est un bon endroit pour y loger, en toute discrétion, un portefeuille de titres. “A condition toutefois de ne pas commettre l’erreur de gérer sa société luxembourgeoise depuis la Belgique”, souligne à ce propos Thierry Afschrift.

Recette n° 6 : partir ?

Devant ce qu’ils considèrent comme un manque de confiance dans l’avenir du pays où règnent des niveaux de taxation parmi les plus élevés, “la délocalisation est une piste de plus en plus discutée avec les clients”, confirme Olivier Van Belleghem, directeur du département estate planning à la Banque Degroof.

Certains d’entre eux n’hésitent d’ailleurs plus à franchir le pas, comme nous le confirme Philippe Kenel, avocat fiscaliste suisse et auteur d’un guide pratique pour les particuliers qui désirent trouver asile en Suisse. “En moyenne, nous confie-t-il, je délocalise en Suisse entre 20 et 30 personnes par an, dont quatre ou cinq Belges. Depuis le début de l’année, j’ai déjà bouclé cinq dossiers pour de gros contribuables belges. J’ai donc fait en deux mois ce que je réalise habituellement en une année.” Sont très prisés les cantons francophones : Genève, Vaud (Lausanne, Montreux et Villars) et le Valais (Crans-Montana et Verbier). Coût d’une délocalisation dans la patrie d’Henri Dunant ? “Comptez environ quatre semaines et 20.000 euros de frais en tout genre”, chiffre Philippe Kenel.

Reste que s’exiler sous des cieux fiscaux plus cléments n’est pas donné à tout le monde. Outre les aspects d’ordre purement pécuniaire, cela suppose de s’établir effectivement à l’étranger, avec ses proches. Et ne pas se borner à louer une boîte aux lettres à Monaco. Histoire de ne pas devenir pas un faux non-résident… et donc un vrai fraudeur.

Trends.be, avec Sébastien Buron

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