Bruno Wattenbergh

‘La priorité doit rester la croissance, mais pas seulement…’

Bruno Wattenbergh Professeur de Stratégie et d'Entrepreneuriat à la Solvay Brussels School of Economics and Management

Après des années d’une faible croissance consécutive à la crise économique et financière, l’économie mondiale retrouve une vigueur certaine. C’est une excellente et rassurante nouvelle, car aucun pays n’a jamais amélioré durablement le bien-être de sa population sans croissance.

Nous avons tous besoin de croissance. Nos vieilles économies doivent financer le vieillissement de leur population et le renouvellement de l’économie. Les pays émergents doivent alimenter l’ascenseur social et le développement de leur classe moyenne naissante.

Pourtant, en dépit des indicateurs revenus “au vert”, un malaise subsiste, tant dans le monde économique que dans le monde politique ou encore associatif. Pourquoi ?

D’abord parce que chacun est conscient que personne ne peut parfaitement appréhender une économie mondiale qui a tant changé et si vite. Nous sommes conscients que la croissance actuelle repose, non pas sur ses fondamentaux appris dans nos livres d’économie, mais sur des taux d’intérêt extraordinairement bas. En dépit du déploiement massif de nouvelles technologies disruptives, nos gains de productivité continuent à stagner et la sacro-sainte innovation ne se transforme plus nécessairement en création d’emplois… au contraire. Dans un tel contexte, la tentation est grande de céder à la fatalité et de se réfugier dans le diktat de la théorie des cycles.

Ensuite, force est de constater que le retour de la croissance ne va pas forcément améliorer le climat politique dominé par le populisme, le radicalisme de gauche ou de droite, ou encore le repli sur soi.

Creusons quelque peu ce dernier constat…

La croissance d’aujourd’hui ne se traduit plus automatiquement par une amélioration du bien-être de tous les citoyens. Nos stratégies classiques de croissance, nos modèles de progrès économique ne correspondent plus aux réalités du 21e siècle. Nous avons en quelque sorte besoin d’un nouveau logiciel et cela ne peut que déstabiliser nos institutions construites sur le modèle social de plein emploi de l’après-guerre. Prenons simplement comme exemple d’un tel besoin, la difficulté que les États rencontrent pour taxer la nouvelle économie ou intégrer les mini-jobs dans la sécurité sociale.

Sans croissance économique durable, pas de légitimité politique. Sans répartition des fruits de la croissance, pas de légitimité économique pour l’entretenir

Le 21e siècle attend donc beaucoup plus que de la croissance, et nous devons arrêter de confondre le moyen (la croissance) et la finalité (le bien-être du plus grand nombre).

La croissance retrouvée doit permettre de créer les ressources nécessaires pour améliorer l’éducation, la formation, la santé, l’innovation, la recherche, la sécurité, et pour augmenter les revenus de chacun. Ou encore pour équiper les citoyens à s’émanciper dans un monde de plus en plus incertain.

Sans surprise, nous avons besoin d’autres mesures que le PIB (Produit Intérieur Brut) et nous devons également nous préoccuper de ce que nous allons faire de cette croissance.

6 priorités devraient guider l’action de la société civile et des institutions :

1. Rendre la mondialisation plus inclusive, moins inégalitaire… ce qui implique d’améliorer l’éducation de base, la qualification et la requalification, l’accompagnement des travailleurs tout au long de leur carrière. Dénoncer l’inégalité de la société, c’est bien. Utiliser les fruits de la croissance pour mieux la répartir, c’est très bien. Mais se battre pour que plus de citoyens puissent alimenter et profiter de cette croissance, c’est encore mieux. Pour ce faire il faut notamment convaincre les partenaires sociaux de formaliser et développer le “sac à dos” des compétences des travailleurs ; d’accepter que le travailleur aura plusieurs métiers, plusieurs vies professionnelles dans sa carrière et que le pire, finalement, c’est d’être éloigné durablement du marché du travail. Réformer, que dis-je, révolutionner la formation professionnelle est une urgente évidence.

2. Offrir une fiscalité et une sécurité sociale plus justes et plus lisibles. Les citoyens sont prêts à faire des efforts, à sacrifier certains acquis, voire à se serrer temporairement la ceinture… mais à deux conditions: qu’il y ait un véritable projet de société où ils se retrouvent et qu’ils soient convaincus que leur effort est partagé par chacun, quelle que soit sa classe sociale.

3. Arrêter de s’opposer désespérément à la quatrième révolution industrielle. Comme toutes les précédentes, elle est inéluctable. Si nous mettions autant d’énergie à nous adapter à cette révolution que celle que nous mettons à y résister, nous profiterions mieux de son potentiel économique et de ses gains de productivité potentiels. Oui, il faut accepter et comprendre que l’emploi évolue et qu’il ne sera plus “comme avant”. Prenons l’initiative, réinventons-le !

4. Privilégier une croissance respectueuse de l’environnement. Utiliser la créativité, la technologie, l’innovation par le business modèle pour augmenter la création de valeur tout en respectant la planète. Recyclage, économie de la fonctionnalité, réparation, fiscalité incitative, éducation, formation… doivent nous permettre de croître sans hypothéquer les ressources de la planète. Ce n’est pas le dogme de la privation, mais plutôt le dialogue et la créativité qui vont faire la différence.

5. Faire mûrir nos communications ; l’intelligence est et reste dans la nuance, dans la compréhension de phénomènes de plus en plus complexes, dans l’analyse, dans le questionnement, dans l’argumentation, dans le débat… Bref, dans une forme de doute, de recherche et d’échanges. Des notions fort éloignées de l’évolution de la communication monopolisée par les réseaux sociaux: polarisation des opinions, clichés sans nuance (et l’intelligence est souvent dans la nuance), diktat des affirmations, dichotomie avec des bons et des mauvais, voire même fausses informations. Sans plaider pour la technocratie, chacun doit balayer devant sa porte pour mettre ses dogmes en retrait et privilégier le sens pratique et le respect de chacun. Avec un impératif: faire des choix politiques judicieux, voire audacieux et s’assurer une adhésion la plus large possible à ceux-ci.

6. Enfin, accepter qu’il y ait une profonde inégalité entre les générations, avec des citoyens bénéficiaires nets et d’autres contributeurs nets… avec des générations sacrifiées aussi. La protection des acquis sociaux dans un monde qui change est bien sûr parfaitement défendable. Mais quand elle se fait au détriment de générations qui ne bénéficieront jamais des mêmes avantages, est-elle vraiment équitable ? Où est la notion de solidarité quand le gâteau se réduit ?

Si l’on ne veut pas voir les populismes, les radicalismes et les replis identitaires détruire l’économie et la démocratie, il est impératif que tous les acteurs de la société s’engagent pour non seulement créer les conditions de la croissance, mais aussi pour une meilleure répartition des gains économiques, une durabilité environnementale et une équité entre les générations.

Sans croissance économique durable, il n’y a pas de légitimité politique. Sans répartition des fruits de la croissance, il ne peut y avoir de légitimité économique pour l’entretenir.

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