Grèce: les scénarios de la faillite

© REUTERS/John Kolesidis

La faillite de la Grèce est désormais une hyptohèse de travail pour certains hauts responsables allemands. Mais elle n’est pas la seule. Tour d’horizon des trois options sur la table et de leurs conséquences.

L’Allemagne serait-elle sur le point de lâcher la Grèce? Alors qu’Athènes se bat pour obtenir de nouveaux prêts auprès de ses créanciers internationaux (UE, BCE et FMI), Berlin planche en coulisses sur une éventuelle faillite du pays. “Pour stabiliser l’euro, il ne doit plus y avoir à court terme d’interdiction de penser à certaines options. Parmi elles, il y a en cas d’urgence l’insolvabilité ordonnée de la Grèce”, a déclaré au quotidien Die Welt paru lundi Philipp Rösler, ministre de l’Economie allemand et chef de file des libéraux du FDP, partenaire de la CDU d’Angela Merkel au sein de la coalition au pouvoir. Et ce ne sont pas des paroles en l’air. Selon le magazine allemand Der Spiegel, les équipes du ministre des Finances, Wolfgang Schäuble, planchent sur le sujet. Voici les trois options qui s’offrent désormais à la Grèce.

Scénario rose: la Grèce obtient une nouvelle aide financière

Début septembre, le départ inopiné de Grèce de la “troïka” – la mission d’experts des bailleurs de fonds chargée de surveiller les comptes nationaux – a renforcé les inquiétudes quant à la capacité du pays à tenir ses engagements en matière de réduction du déficit. D’autant que la contestation sociale contre les réformes structurelles engagées se fait de plus en plus forte. Lundi, taxis, agents de fisc, et douaniers étaient en grève. Malgré la colère de la rue, le Premier ministre grec Georges Papandréou s’est engagé samedi à tenir sans dévier les efforts de rigueur. Dimanche, le ministre grec des Finances, Evangélos Vénizélos, a présenté des nouvelles mesures d’économies de deux milliards d’euros, ce qui limitera le déficit du pays à 17,1 milliards d’euros.

Satisfecit de l’Europe qui a annoncé le retour dans les prochains jours de la troïka. Celle-ci pourrait donner son accord au versement d’une nouvelle tranche de 8 milliards d’euros de prêts dans le cadre du premier plan de sauvetage de la Grèce de 2010. Sans ce prêt, Athènes serait condamné au défaut de paiement. Au-delà, de nombreuses incertitudes planent sur le deuxième plan d’aide de 160 milliards d’euros à la Grèce, adopté le 21 juillet dernier: la participation attendue du secteur privé n’est pas encore définie, la Slovaquie renâcle à voter cet accord tandis que la Finlande veut des garanties. Et même si les ministres des Finances de l’Eurogroupe parviennent à surmonter ces obstacles vendredi, lors d’un sommet en Pologne, la Grèce n’est pas pour autant sortie d’affaires. Ce nouveau plan de sauvetage n’est censé stabiliser l’économie hellénique que jusque fin 2014. Or la dette grecque est jugée “hors de contrôle”… par les économistes grecs eux-mêmes. Un avis que partagent de nombreux économistes et dirigeants politiques en Europe. Pour eux, la faillite de la Grèce est inéluctable.

Scénario gris: la Grèce fait faillite mais reste dans la zone euro

“Avec une dette à plus de 160 % du PIB en 2012, des taux structurellement élevés compte tenu du rehaussement durable du risque souverain, une faible croissance potentielle et une flexibilité de l’économie limitée, les exigences de surplus budgétaire présentées à la Grèce sont tout simplement hors d’atteinte”, écrivait en juillet dans le magazine L’Expansion Jean-Pierre Petit, président des Cahiers verts de l’économie. Selon les experts du think tank Open Europe, la Grèce doit faire défaut sur au moins la moitié de sa dette publique pour que celle-ci redevienne soutenable. Une telle faillite aurait bien sûr des conséquences pour les principaux créanciers du pays, à savoir les banques grecques elles-mêmes, la BCE et les banques européennes.

Les banques helléniques détiennent environ un quart des de la dette publique grecque. Une décote de 50% leur causerait 25 milliards d’euros de pertes, d’après les calculs de JP Morgan. Or les banques grecques sont déjà sous perfusion de liquidités de la banque centrale européenne (BCE). A moins de les recapitaliser – ce dont Athènes n’a pas les moyens, elles risquent donc de faire faillite. Un scénario catastrophe pour la population et l’économie grecques. Le “deuxième investisseur” en dette grecque est la BCE, qui depuis mai 2010 rachète de la dette publique des pays fragiles sur le marché secondaire. Selon le Financial Times, l’institut de Francfort détiendrait ainsi 20% de la dette grecque. Les experts d’Open Europe chiffrent à 140 milliards d’euros l’exposition de la BCE à la Grèce (dette souveraine et prêts aux banques). Un défaut de la Grèce sur la moitié de sa dette lui coûterait entre 44,5 et 65,7 milliards d’euros, selon les calculs du think tank. Quant aux banques européennes, notamment les françaises, elles devraient pouvoir amortir le choc, car elles se sont fortement délestées ces derniers mois de leurs actifs souverains grecs. Un défaut partiel de la Grèce provoquerait certes un choc violent pour l’économie mondiale, mais serait “plus facile à soigner” que le cas Lehman Brothers, estime Patrick Artus, directeur de la recherche économique chez Natixis, cité dans un article du Monde daté du 22 juin. Reste à savoir comment le pays lui-même peut survivre à un tel scénario.

Scénario noir: la Grèce fait faillite et sort de la zone euro

Certes, un défaut partiel de 50% rendrait la dette publique grecque plus soutenable. Mais en parallèle, c’est tout le système bancaire grec qui risque de s’effondrer. Sans compter que cette décision serait la preuve du manque de solidarité qui règne en Europe. Dans ces conditions, on ne voit pas pourquoi Athènes voudrait rester dans la zone euro. Avec un retour à la drachme, le gouvernement grec pourrait utiliser l’arme de la dévaluation monétaire, donc restaurer sa compétitivité à l’export et ainsi relancer son économie. C’est aussi un moyen d’alléger fortement les créances du pays, puisque la valeur des actifs serait diminuée de 55% selon Natixis. Mais ce ne sera pas sans conséquence négative pour la Grèce: la dévaluation la drachme et la nécessaire monétisation de sa dette publique vont créer une inflation persistante, tandis que ses intérêts d’emprunts sur les marchés souverains vont s’envoler.

Pour la zone euro, le coût semble a priori limité: la Grèce ne représente que 2% de son PIB. Et actuellement, le pays en récession à plutôt tendance à freiner la croissance de l’Euroland. La sortie de la Grèce seule ne change donc pas grand-chose à la situation économique de la zone euro dont la “qualité économique” pourrait même en être renforcée. Sauf que cet événement remettrait en cause la capacité des dirigeants européens à gérer les crises économiques que traversent ses membres. Dès lors, les marchés n’auraient plus de raisons de croire en la solidité financière de l’euro. Ils n’hésiteraient donc pas à attaquer la dette des autres pays considérés comme fragiles – Irlande, Portugal, Espagne, Italie et voire même la France, faisant grimper leurs taux d’intérêts d’emprunts à des niveaux insoutenables. Un à un, ces pays pourraient être eux aussi contraints de quitter l’Euroland. A terme, une faillite de la Grèce pourrait donc entrainer une explosion pure et simple de la zone euro. Ce qui serait bien pire pour l’économie mondiale que la faillite de Lehman Brothers.

Emilie Lévêque (L’Expansion.com)

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