Maman, la plus libre du monde

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Dans la famille Jardin, on a déjà demandé le père, écrivain et scénariste du Vieux Fusil et de bien d’autres films ( Le Zubial en 1997) ; le grand-père, dignitaire de Vichy ayant joué un rôle honteux dans la rafle du Vel’ d’hiv’ ( Des gens très biens en 2011) ou encore le clan tout entier ( Le Roman des Jardin en 2015).

Voici maintenant qu’apparaît la mère. En titrant l’ouvrage qu’il lui consacre Ma mère avait raison, Alexandre Jardin lui rend l’hommage en délicatesse et sincérité (avec un clin d’oeil à Sacha Guitry qu’il adore et qui signait en 1919 une pièce intitulée Mon père avait raison). Toutes ses histoires de famille semblaient mener à celle qui surgit en apothéose d’une longue course dans la mémoire familiale. L’émotion est forte, car le temps a rattrapé le fils. Stéphane ” va partir “.

Mais pourquoi avoir attendu ? Passer par tous les autres membres de la famille était apparemment un préalable essentiel. ” Certainement parce que ma mère est la plus radicale de tous, nous confirme le romancier. C’est le personnage qui m’a marqué le plus, qui est le plus puissant. ” Ce ” personnage “, bien réel toutefois, avait en effet de quoi bouleverser les esprits qui avaient le bonheur de croiser sa route. Et de ne pas être vexés de ses exigences. Car la médiocrité, Stéphane Jardin ne l’acceptait jamais, ni chez elle, ni chez son fils. Elle s’est autorisée à jeter au feu (littéralement) le manuscrit qu’elle jugeait trop médiocre. A juste titre, avoue Alexandre Jardin, qui écrira ensuite Le Zèbre en quelques semaines, un livre qui lui vaudra le prix Femina en 1988. ” C’est comme si elle allait chercher le héros grec chez tout le monde, dont moi. Il y a quelque chose de mythique. ”

De toi, j’ai appris que s’élancer dans les gouffres permet à nos ailes de pousser.

“Je veux un chef-d’oeuvre, sinon rien “, assénait, cette polyamoureuse à ses multiples amants. Dans la maison familiale de Verdelot se rassemblaient ceux qui la méritaient, en parfaite entente, selon ” des accords tacites “. Claude Sautet fut l’un des locataires de ce ” district de haute liberté “. Une époque qui inspira au réalisateur son film César et Rosalie. Le ménage à trois entre Yves Montand, Romy Schneider et Sami Frey n’est qu’une transfiguration de la réalité. Stéphane subjugua aussi l’acteur et producteur Jacques Santi. Et Pierre Caro, à qui Jardin fils dédie ce livre. La convivialité régnait.

Liberté dans les amours et dans les idées, il fallait être à la hauteur. C’est clair qu’elle n’était pas facile à vivre, mais qu’est-ce qu’on se sentait ” vivant “, nous confie Alexandre Jardin. D’une conversation faite de phrases courtes et hachées, il nous confie ce que sa génitrice lui a enseigné de plus important. ” On vit dans une époque complètement détraquée où l’on pense que ne pas souffrir est bien. Aller chercher ses ressources ne se fait pas dans le coton, en vrai. Les passages de votre vie qui ont pu être compliqués vous ont puissamment bâti. On est dans une société où le bonheur serait l’absence de souffrance, ce n’est pas vrai ! ” L’enseignement de Stéphane Jardin était tout autre : ” Osez vivre. Exposez-vous à la vie ! ” C’est lorsqu’il a 15 ans, au décès prématuré de son père, Pascal, – une épreuve qu’il décrit dans les premiers chapitres -, que l’auteur comprendra de sa mère que ” son rapport à la vie était profondément intelligent “. La relation avec Stéphane Jardin fut plus dure avec son autre fils, Frédéric, sur lequel pèse un secret, clé ultime de ce roman familial et intime.

Ces pages, écrites à la première personne, sonnent comme des incantations. Ou plutôt comme une demande d’autorisation. ” A-t-on le droit d’être toi ? “, pose Alexandre Jardin à celle qui l’a tellement forgé, dont il veille à poursuivre son oeuvre de perfection, faite d’échecs certes, mais offrant tellement de récompenses au final. Plaisant dans ses comédies romantiques, l’auteur prouve ici qu’il est le plus passionnant et émouvant quand il nous parle des siens.

Alexandre Jardin, ” Ma mère avait raison “, éditions Grasset, 216 pages, 18,50 euros.

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